Croyez-le ou non

Au début de décembre 1804, dans le chœur de Notre-Dame de Paris, Napoléon se couronne lui-même empereur sous le regard résigné du pape Pie VII (retenez vos calembours, je vous en prie).

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Deux-cent-vingt ans plus tard, encore au début de décembre, le président de la République se couronne grand champion de la prodigieuse reconstruction de Notre-Dame non pas sous le regard dépité du pape – il avait piscine ce jour-là, selon nos sources –, mais sous celui flagorneur de l’ancien et futur président étatsunien Donald J. Trump. Grâce à Dieu, les pompiers qui ont sauvé la relique de la couronne d’épines du Christ ont aussi sauvé la face des dignitaires en représentant pour eux le peuple.

Que la religion ait mis le grappin sur la politique au cours de l’histoire, nous le concevons facilement au Québec. D’ailleurs, à en croire le récit officiel, l’avant-Révolution tranquille ressemblait presque aux théocraties du Moyen-Orient.

Mais il arrive aussi, ici comme ailleurs, que le monde politique tente d’instrumentaliser la religion à ses fins… et ce n’est pas moins une entorse à la laïcité.


La vaste majorité des 47 voyages du pape François a eu lieu hors des grands circuits financiers et politiques, en périphérie des pôles du pouvoir. Difficile de ne pas y déceler une sorte de programme: François ne croit pas tant avoir été élu sur la chaire de Pierre pour adouber les puissants que pour rejoindre l’âme de tous les oubliés de la Terre avec l’annonce du Christ crucifié et ressuscité.

Ainsi, une petite semaine après la grande fête parisienne où il était «malencontreusement» absent, le souverain pontife a choisi d’aller fouler le sol de la Corse, ce territoire périphérique français pétri de piété populaire et reconnu pour la foi profonde de ses habitants.

Il est de bon ton, de nos jours, de nous moquer des chapelets de nos grands-mères et des processions de nos aïeux. La Corse tire pourtant dans ces dévotions, et bien d’autres, la sève d’une culture riche, d’une vitalité familiale et d’un sens à l’existence.

Le pape y a prononcé un discours sur la «saine laïcité» où il invitait les croyants corses et ceux du monde entier à ne pas réduire la foi à une patente privée.

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Qu’elle soit publique ou privée, la prière n’est pas dangereuse, répondait l’Assemblée des évêques catholiques du Québec à notre premier ministre qui souhaitait, la veille du «sacre» de Macron, interdire les manifestations pieuses en public.

Évidemment, la prière n’a jamais fait de mal à personne. Je suspecte toutefois nos chefs politiques d’avoir de sérieux motifs d’inquiétude. Peut-être soupçonnent-ils, à juste titre, que la prière a un pouvoir caché… celui d’extraire l’orant, pendant un instant, du monde productiviste.

La foi n’est pas un saut dans le vide. C’est un saut à côté du «tapis roulant» – pour reprendre l’expression de Catherine Dorion – de nos vies de consommateurs.

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Croyez-le ou non, depuis maintenant 50 ans, Le Verbe, et ses prédécesseurs, se dédie tant bien que mal à cette «saine laïcité», à ce dialogue entre la foi catholique et la culture contemporaine, entre la piété populaire et les politiciens populistes, entre le monde horizontal de nos préoccupations quotidiennes et la verticalité d’un Dieu qui prend chair dans l’histoire.

Dans chaque histoire, qu’on le croie ou non.

Antoine Malenfant
Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.