Photo: Marie Laliberté/Le Verbe

Elka Morales, la rédemption d'une schizophrène

Au Guatemala, la maladie mentale, ça n’existe pas. Cette conviction, Elka Morales ne la met pas en doute. Mais à 31 ans, un diagnostic chamboule tout. Elle est schizophrène. Et soudainement seule, car elle ne peut pas parler avec sa famille, pour qui ce sujet est tabou. C’est dans une communauté catholique, à Montréal, que la Guatémaltèque rencontre des gens à qui elle peut enfin se confier librement. Elle y découvre aussi une ressource qui l’aide aujourd’hui à vivre avec sa schizophrénie: la foi. Portrait de la maladie mentale sur fond d’espérance chrétienne.

«Certaines personnes ont des hallucinations visuelles, moi, elles sont auditives», déclare Elka. Depuis 14 ans, elle entend une voix d’homme, toujours la même, qui lui répète cette phrase en espagnol: «Quelqu’un va venir te tuer.»

Le jour où le diagnostic tombe, elle n’est pas vraiment surprise. Le sujet était tabou, mais pas inconnu, car sa mère était elle-même schizophrène. «On avait placé ma mère à l’hôpital psychiatrique Federico Mora, au Guatemala, qui ressemblait plus à une prison: les gens sont tous nus, assis par terre ou errant à longueur de journée. Elle ne recevait aucune médicamentation, on la traitait de folle, et après six mois environ, elle est sortie et s’est suicidée.» Elka est tout juste âgée de 4 ans au moment des évènements.

Le quotidien d’une schizophrène

«Des épisodes de schizophrénie, j’en ai toutes les deux semaines, parfois un par semaine», explique la femme qui a 45 ans aujourd’hui. Dans ces moments-là, elle s’isole et prend un antipsychotique plus fort encore que ceux qu’elle prend quotidiennement. «Quand j’entends la voix, je suis incapable de parler à quelqu’un d’autre; il faut que je sois seule et que j’attende que la médicamentation fasse effet.»

Bien qu’elle sache que ce qu’elle entend n’est pas vrai et que personne ne veut la tuer, Elka finit généralement par aller se cacher dans un garde-robe ou dans la salle de bain. «Sur le moment, je n’arrive pas à réfléchir, je perds ma logique, et c’est difficile de ne pas écouter la deuxième voix, qui est souvent menaçante et plus forte que la mienne.»

Si les nombreux médicaments qu’elle prend chaque jour sont essentiels pour qu’elle cohabite avec sa schizophrénie, sa foi l’est tout autant. Elka ne manque pas de mentionner l’importance de cet autre puissant remède. «Je n’imagine pas les gens qui n’ont rien à quoi se raccrocher, ce doit être encore plus tough. Je pense à Jésus avec sa croix et ça donne du sens à ce que je vis. Je me reconnais un peu et je me rappelle qu’on ne peut pas porter notre croix seul, que le Seigneur est là pour nous aider.»

«Je crois énormément au pouvoir de la prière; sans ça et sans ma relation avec Jésus Christ, je ne serais pas ici.»
- Elka Morales

Sans jugement ni étiquette

La foi, Elka ne l’a pas toujours eue. Bien que baptisée catholique à sa naissance, elle grandit dans une famille non pratiquante où Dieu n’est pas évoqué. C’est en 2008, à 28 ans, qu’elle fait sa rencontre, grâce à une amie qui l’invite à l’église. Après plusieurs refus, la jeune femme finit par accepter.

Elle y trouve, selon ses propres termes, «une nouvelle famille». Dépendante de la drogue pendant 13 ans, puis recevant un diagnostic de schizophrénie – maladie qui n’existe pas, selon les membres de sa propre famille –, Elka n’a jamais été proche de ses frères et sœurs. «Dès le début, je me suis sentie accueillie et pas jugée du fait que j’étais toxicomane, ce qui était rare. Ça m’a amenée à penser que ces gens à l’église étaient différents des autres.»

Elka trouve un grand soutien dans cette communauté catholique où elle peut enfin être elle-même. Autre nouveauté, elle peut également compter sur la prière de «ces gens à l’église» lorsqu’elle fait une crise: «Je texte mes amis pour qu’ils prient pour moi dans ces moments-là, je me sens moins seule et plus légère; ça m’aide beaucoup, j’ai moins de pensées négatives», explique-t-elle.

Elka remarque, en effet, que prier lui apporte un profond apaisement lors d’épisodes de psychose, et elle prend l’habitude de réciter un Notre Père quand ça lui arrive. «Je crois énormément au pouvoir de la prière; sans ça et sans ma relation avec Jésus Christ, je ne serais pas ici», témoigne la quarantenaire. Elle est d’ailleurs persuadée que Dieu l’a préservée des trois tentatives de suicide qu’elle a faites au cours de sa vie.

En 2009, des membres de sa communauté l’encouragent à aller faire une thérapie fermée de deux ans offerte par les sœurs passionnistes de Toronto. Non sans peine, Elka accepte dans l’espoir de se débarrasser de sa dépendance une bonne fois pour toutes.

Bien que difficiles, ces deux années de désintoxication la transforment. C’est une fière jeune femme qui en ressort en 2011: elle a réussi à finir la thérapie, a acquis plusieurs savoir-faire et, surtout, elle est «clean». À 31 ans, elle peut enfin repartir à zéro.

«Je t’aime comme tu es»

Dernière d’une fratrie de cinq, Elka quitte le Guatemala à 9 ans pour s’installer au Canada avec sa famille. Ouvrier dans l’usine Kraft, à Montréal, son père n’est pratiquement jamais à la maison. Travaillant d’arrachepied pour subvenir aux besoins de sa famille, il laisse ses enfants à eux-mêmes. Dans le foyer, c’est la loi du plus fort qui règne, au détriment des trois filles, qui se font maltraiter par leurs frères.

«Ils nous battaient très souvent, et pas juste à petits coups», relate Elka. Pour échapper à sa misère, elle tombe dans la drogue à l’âge de 16 ans. Sa consommation augmente sans cesse, en quantité et en intensité: cocaïne, marijuana, LSD, champignons, speed, etc. «Je consommais à longueur de journée; je pouvais passer une paie en un jour dans la drogue. J’étais rendue à voler ma propre famille pour pouvoir m’acheter de quoi consommer.» Ses relations avec ses frères et sœurs, déjà tendues, se dégradent de plus en plus.

Elka affirme qu’à l’adolescence elle consommait pour oublier la disparition de sa mère. Jusqu’ici, elle associe la voix qu’elle entend aux effets secondaires de la drogue. Alors pourquoi, lorsqu’elle se retrouve en désintoxication chez les passionnistes et ne consomme plus, l’entend-elle encore?

C’est qu’il y a plus. Elka tente aussi – surtout – d’effacer de sa mémoire un traumatisme qui la hante encore aujourd’hui: un abus sexuel commis par un proche alors qu’elle a 16 ans. «C’était un homme hispanophone; il m’a menacée de me tuer si je le dénonçais», témoigne Elka. Elle en parle pour la première fois 15 ans plus tard, lors de sa thérapie chez les sœurs.

Elka comprend que quelque chose cloche et se rend chez son médecin dès qu’elle sort de thérapie. Elle est dirigée vers une psychiatre puis, après deux rencontres, passe une IRM qui révèle des anomalies au niveau de ses neurotransmetteurs. Le diagnostic tombe: schizophrénie. Sur le moment, Elka ressent énormément de colère. Adieu la vie normale et l’emploi rêvé!

«On pense, avec ma psy, que la phrase que j’entends est liée à l’abus que j’ai subi, mais on ne peut pas être sûr à 100%.»

Aujourd’hui, après plusieurs années de travail sur elle-même et d’accompagnement psychiatrique – sans compter la grâce de Dieu et son filet social tissé serré –, la femme de 45 ans est capable de dire qu’elle a «fait la paix avec [sa] condition».

«Je l’accepte. Ça prend du temps, mais c’est possible», dit Elka en prenant une grande respiration. «Évidemment, c’est parfois dur de croire que Dieu m’aime même si je suis schizo et toxicomane. Je n’avais jamais entendu quelqu’un me dire: “Je t’aime comme tu es” avant lui, mais j’ai fini par y croire.» C’est un long cheminement, mais aujourd’hui, elle accueille pleinement cet amour.

«Dans la minute où tu arrives à t’enlever l’étiquette de schizophrène – que je me mettais moi-même, d’ailleurs – et à arrêter de ne t’identifier qu’à ça, c’est possible de vivre avec la schizophrénie. C’est sûr que ça change une vie, mais il ne faut pas que tu en fasses ta vie. Tu peux avoir des amis, des passetemps, même un chat!» finit-elle par dire en souriant.

Frédérique Bérubé
Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique est passionnée de voyages, de rencontres humaines et, bien sûr, d’écriture. À travers ses reportages, elle souhaite partager des histoires inspirantes et transformantes!