
Le pardon, pour ou contre?
Côté baseball, nos Capitales de la Capitale-Nationale-qui-n’est-pas-Ottawa, ont remporté les grands honneurs dans la ligue Frontière. Ils ont battu, en territoire américain, les Boomers de Schaumburg, en Illinois.
Pourtant, lors des réchauffements d’avant-match, les Boomers (ça ne s’invente pas comme nom!) portaient tous un chandail sur lequel on pouvait lire “Jesus won” (Jésus a gagné).
C’est pas faux.
Mais, clairement, la victoire de Jesus sur la croix, c’était pas suffisant pour que les Boomers win. (On leur pardonnera donc ce petit écart à la laïcité puisqu’ils ont perdu.)
Le pardon, pour ou contre?
Question piège. Vous êtes plutôt pour ou contre le pardon?
Ça peut sembler évident. Généralement, on est tous pour le pardon. Surtout quand il est question de se faire pardonner une bêtise qu’on a faite. Mais quand c’est notre collègue, notre sœur ou notre voisin qui a commis une erreur, est-ce qu’on est encore partisans de la miséricorde?
Et si la bêtise en est une grosse; du genre, un gars a tué votre époux ou votre bon ami d’une balle dans le cou? Ça peut se corser.
Un peu de mise en contexte, avant d’aller plus loin.
L’histoire raconte que Jésus se rendait vers le Comptoir Emmaüs avec deux de ses amis qui se magasinaient une sécheuse usagée. Ils n’avaient pas reconnu le messie qui marchait avec eux parce qu’il revenait tout bronzé d’un séjour aux enfers pour extirper de là quelques bandits repentis. Mais ça, c’est une autre histoire.
Jésus leur demande: «De quoi vous jasiez en marchant?» Alors, ils s’arrêtent, tout tristes. L’un des deux lui répond: «Tu es bien le seul à Québec qui ignore les évènements de ces jours-ci!»
Le messie leur dit: «Quels évènements?»
Les deux magasineux d’électro de seconde main lui répondent: «Ce qui est arrivé à Charlie Kirk, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple: comment il a été méprisé par les grands médias et les élites pharisiennes démocrates. Et comment il a été violemment abattu devant sa femme et ses enfants en Utah. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer l’Amérique des complots gauchistes. Mais avec tout cela, voici déjà la troisième semaine qui passe depuis que c’est arrivé.»
Désolé Erika…
Dimanche dernier avait lieu la grosse méga MAGA power-célébration de quasi-canonisation de Charlie Kirk où s’entremêlaient chants chrétiens sirupeux, discours d’État et éloges funèbres. L’Amérique, quoi!
Je me suis tapé la prise de parole du président américain lors des funérailles-spectacle. Au cours de l’évènement, Trump n’a pas manqué de qualifier Kirk de martyr et son assaillant de monstre. J’ai noté aussi quelques autres points fort intéressants dans ce discours-fleuve de 45 minutes, dont cet extrait:
«Charlie ne haïssait pas ses opposants, rappelle Donald Trump. Il leur voulait du bien. Mais je n’étais pas d’accord avec Charlie sur ce point. Je hais mes adversaires. Et je ne veux pas leur bien. Désolé Erika.»
Si Trump, sans réelle vergogne, s’excuse à Erika, c’est que la veuve éplorée du nouveau héros des chrétiens nationalistes venait tout juste de dire qu’elle pardonnait au tueur de son mari. Parce que c’est ce que Jésus aurait fait et ce que son mari aurait fait. «Ce jeune homme, je lui pardonne.» Jesus won, diraient les Boomers de Schaumburg.
On voit ici une ligne se tracer bien au-delà des divergences d’opinion, des pro-vie et des pro-choix, des conservateurs et des progressistes. Une question traverse ainsi tous les camps: qu’est-ce qu’on fait avec notre monstre intérieur qui ne veut qu’en découdre avec l’ennemi? Et au fait, qui est le véritable ennemi? Les trumpistes? Les gauchistes? L’extrême centre?
Je me méfie de tous ceux qui, un peu comme les disciples d’Emmaüs avant que leurs yeux ne s’ouvrent, ne pleurent pas tant la perte d’un ami ou d’un frère en Jésus Christ, mais la disparition d’une idée, l’évanouissement de l’espoir d’une libération politique.
Qui ne souhaite pas un messie sans croix? «Sauve-toi toi-même, et nous avec!», disait le mauvais larron. On nage alors en plein messianisme: l’espoir qu’un sauveur vienne régler mes problèmes, ceux de ma famille et ceux de ma patrie.
«Si mon royaume était de ce monde…», disait aussi Jésus.
Que ton règne vienne
Quand les disciples du Christ prient «Que ton règne vienne», il peut être tentant de forcer les choses pour qu’advienne la Cité de Dieu dans la Cité des hommes. C’est ainsi que nous nous retrouvons dans une situation en plusieurs points analogue à la contrerévolution durant le 19e siècle en France. Dans les deux cas, de bons chrétiens espèrent rétablir l’ordre ancien en utilisant les mêmes armes d’exclusion, d’effacement et d’élimination que leurs opposants politiques. Ce triste jeu n’a fait que des perdants.
Il faudra attendre la fin de ce siècle révolutionnaire et réactionnaire pour voir poindre l’une des plus fécondes cohortes de saints, de mystiques et de vrais martyrs de l’ère moderne en Occident. Je porte la même espérance pour notre époque marquée par autant de clivages.
Je me ferai surement quelques ennemis avec ce commentaire. Ne me restera qu’à implorer leur pardon.