Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Superman, le punk dont l’Amérique a besoin?

La dernière création cinématographique de DC Studios était attendue avec impatience, alors que Marvel n’en finit plus de créer des films sans intérêt. Le Superman de James Gunn — un ancien ténor de l’équipe adverse — sauve-t-il la réputation des héros au grand écran? Oui, mais en partie seulement.

Je me rends au cinéma en juillet dernier avec mon cousin préféré, grand geek en chef devant l’Éternel. Je ne regarde plus aucun film de superhéros sans lui. Quand le rideau tombe, je me retiens d’applaudir en criant haut et fort: «C’est EXCELLENT, ENFIN!». Mais j’attends de voir ce qu’il en pense pour éviter le malaise.

Personne n’applaudit, et lui non plus. Je crains sa réponse. On tourne un peu autour du pot avant que j’attaque avec l’inévitable question: «Pis, as-tu aimé ça?» Son «non» est catégorique. Misère!

La discussion qui s’ensuit, presque aussi longue que le film de 2 heures et 9 minutes, me permet de tempérer mon enthousiasme, et lui, sa déception. Il faut dire que mes attentes n’étaient pas très élevées. Mon principal critère: un scénario qui ne dégouline pas de réinterprétations à la mode. À mon avis, le film ne pèche pas en ce sens.

Un héros immigrant?

Tous ne partagent toutefois pas cette opinion. Les partisans de l’administration Trump qualifient déjà l’œuvre de woke, voyant dans les questionnements identitaires de Superman un plaidoyer pour l’immigration. Le réalisateur a jeté de l’huile sur le feu en rappelant que «Superman est l’histoire de l’Amérique» parce qu’il parle «d’un immigrant qui est venu d’ailleurs pour peupler le pays.»

Des commentateurs accusent dès lors James Gunn de vouloir politiser le superhéros. Le cinéaste semble plutôt vouloir retourner au cœur de la vision originale des concepteurs, Siegel et Shuster, deux immigrants juifs qui ont donné aux États-Unis un héros qui protège les plus vulnérables parce qu’il est lui-même un outsider, un marginal qui se bat contre l’injustice des grands de ce monde.

Pour la petite histoire, Superman, dernier descendant d’un peuple extraterrestre natif de la planète Krypton, est envoyé sur Terre pour survivre à la disparition des siens. Ka-El, de son vrai nom, devient Clark Kent parce qu’il est adopté par deux fermiers du Midwest. Toute sa vie, il est partagé entre ses deux identités.

Un élément important (et novateur) du scénario de Gunn joue sur cette ambivalence. Ka-El possède un message numérique de ses parents dans lequel ceux-ci lui expliquent son origine et sa mission pacifique et bienveillante sur Terre. Or, son ennemi juré, Lex Luthor, réussit à le voler et révèle une partie abimée du message que Superman ne connaissait pas. Cette nouvelle portion contredit l’ancienne, et Luthor s’en sert contre lui pour miner sa réputation auprès des Terriens.

Alors qu’il croyait avoir pour mission de protéger la Terre et ses habitants, il devait plutôt dominer une race faible dans l’intérêt de la survie de son peuple. Cette révélation le plonge dans une profonde crise existentielle. Mais Clark Kent résout ce conflit intérieur en écoutant plutôt la sagesse de son père adoptif: «Tes choix, tes actions déterminent qui tu es.»

James Gunn nous donne le Superman dont notre époque a fortement besoin: un héros dont les faiblesses ne ternissent pas l’espérance en une bonté inaltérable.

Entre forces et faiblesses

Pour Superman, il n’y a pas d’ambivalence dans cette liberté: il cherche toujours le bien de l’autre avant le sien — jusqu’à éviter de faire du mal aux méchants et à sauver tous les êtres vivants possibles. Il possède une pureté et une droiture d’intention qui lui confère une aura de messie. L’origine du nom Ka-El pourrait d’ailleurs être hébraïque et, dans ce cas, signifierait littéralement «voix de Dieu».

Certaines de ses actualisations passées en font pour cette raison un personnage qui semble parfois distant, trop parfait, mu par une force pratiquement inatteignable, mais qui défend malgré tout l’humanité.

En ce sens, il est sans doute le héros qui rappelle le plus le Christ Jésus qui, «(…) ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect. Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.» (Ph 2, 6-8)

Dans l’une de ses répliques phares, Superman dit (citation libre): «Je suis un humain comme tous les autres. J’aime. J’ai peur. Je me réveille chaque matin et, même si je ne sais pas toujours quoi faire, je mets un pied devant l’autre et j’essaie de prendre les meilleures décisions. Je fais tout le temps des bêtises, mais c’est cela être humain, et c’est ma plus grande force.»

On a ici l’impression de lire saint Paul, qui écrit que c’est dans la faiblesse qu’il est véritablement fort (2 Co 12, 10).

Un Superman pour aujourd’hui

Chaque décennie des États-Unis produit le Superman dont elle a besoin, affirme un commentateur. Un peu comme chaque siècle a eu besoin d’un visage du Christ différent, parfois plus humain pour montrer son Incarnation, parfois plus divin pour montrer sa Rédemption.

Ce Superman de Gunn est résolument humain, voire trop humain pour certains.

Il manifeste une grande faiblesse, autant dans ses combats intérieurs qu’extérieurs. Il n’est clairement pas le plus fort, du moins en apparence. Et c’est peut-être ici que le bât blesse pour bien des admirateurs d’un certain Superman. Quand il triomphe, c’est surtout en raison de ses alliés, notamment le chien Krypto, dont la présence amène une touche de légèreté et d’humour. Cet aspect un peu quétaine nuit malheureusement à la crédibilité du héros et de l’histoire. Mais il a ce côté naïf, rêveur, idéaliste, qui le rend excessivement attachant.

Sa collègue journaliste et petite-amie Lois, qui, dans une discussion, cherche à se distinguer de lui, se définit comme une personne à contrecourant, une punkrock. Clark Kent se défend aussi de l’être.

– Mon point, c’est que je questionne tout et tout le monde. Toi, tu as confiance en tout le monde et tu penses que toutes les personnes que tu rencontres sont… belles.

– Peut-être que c’est ça être vraiment punkrock?

Ce film révèle les mêmes fractures présentes aujourd’hui dans le christianisme de l’hémisphère Nord: certains voudraient que Jésus soit un messie politique apportant la libération sociale, et d’autres, un pourvoyeur de repères culturels et moraux. Et si tous les deux nous invitaient d’abord à une transformation intérieure radicale? James Gunn nous donne le Superman dont notre époque a fortement besoin: un héros dont les faiblesses ne ternissent pas l’espérance en une bonté inaltérable.

James Langlois
James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.