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Un Compostelle «fabriqué au Québec»
Ralentir le rythme. Avancer, un pas après l’autre, sur les routes du Québec avec pour tout bagage un sac à dos de quelques kilos. Les 1200 km du Chemin du Québec, allant de Montréal au Phare de Cap-Gaspé, sont empruntés par des marcheurs qui expérimentent la rando communautaire. Le Verbe a voulu découvrir ce qui motive tout ce beau monde à mettre un pied devant l’autre.
Pascal Auger, ancien journaliste et animateur, accompagne des gens et les aide à se préparer pour réaliser leur rêve de marcher, que ce soit ici au Québec ou sur le célèbre chemin de Compostelle. Ce projet a commencé à germer en 2012-2013 alors qu’il parcourait, en deux séjours de trois semaines, le Camino francés. Il me raconte ce qui l’a mené sur les chemins de Compostelle.
«Les gens font Compostelle en général pour des raisons fantastiques ou des raisons dramatiques. Moi, c’est un mélange des deux. J’avais besoin de démêler, réfléchir, déposer des choses et célébrer les bons coups dans ma vie. J’avais le gout d’être dans un cadre qui me permettait de faire ça, d’avoir du temps pour moi.»
Marcher de village en village
De retour au Québec, il constate que malgré l’existence de plusieurs circuits de marche de longue durée, il manque un chemin qui remplisse les valeurs de Compostelle: libre, autonome et abordable. À ce moment de sa vie, travailleur autonome abordant la cinquantaine, il souhaite que ce qui lui reste à vivre ait du sens. Il démarre en 2017 Québec Compostelle et amorce le Chemin du Québec, unissant plusieurs chemins existants.
Bien que la randonnée sur le Chemin du Québec puisse se pratiquer librement et gratuitement, Pascal Auger propose un service de préparation et d’accompagnement personnalisé avec Québec Compostelle, particulièrement pour ceux qui désirent s’initier à la rando communautaire.
Pour lui, ces voyages sont remplis de rencontres authentiques. «En faisant de la rando, on réalise qu’il y a tellement plus de bon que de mauvais sur cette planète. On le découvre en marchant de village en village. On ne demande absolument rien et les gens sont prêts à nous aider.»
Pascal me raconte qu’il s’est fait offrir des biscuits tout chauds, des muffins aux bleuets, de l’eau, du transport. Lorsque je lui demande ce qui suscite cette bonté envers les pèlerins, il me répond : «On a un sac sur le dos, pis on marche. On n’a pas l’air menaçant. On intrigue, on inspire les gens.»
En plus des liens qui se forgent avec les communautés qui les accueillent, les marcheurs forment eux-mêmes une petite communauté qui s’entraide. En novembre dernier, Pascal accompagnait un petit groupe de neuf personnes qui faisait route de Montréal à Granby. Marie-France Landry et Marie Vertefeuille-Drouin étaient du nombre. Elles ont tissé une belle amitié au fil des conversations et de leurs enjambées.
Marie-France | Dépassements et providence
Dès le départ, Marie-France apprécie la cohésion du petit groupe. «Moi, ce que j’aime, c’est de ne pas avoir de masques, d’être dans l’authenticité, d’avoir de vraies conversations sur le chemin. […] Tout le monde est libre d’aller à sa vitesse. Il y a des points de rencontre. J’ai aimé être un peu coupée du temps, ne plus regarder l’heure, vivre au rythme de mon corps.»
Tout le long de ce chemin, il y a différentes propositions d’hébergement abordables, dont des auberges de jeunesse, des salles communautaires, des particuliers, des arénas et même des églises.
Marie-France se rappelle la nuit qu’elle a passée dans une église. «Moi, je dormais tout près des petits lampions. C’était vraiment spécial.»
Elle confie que cette aventure la sortait par moment de sa zone de confort. «Je n’ai jamais dormi dans une auberge de jeunesse. Il y a des endroits qui n’avaient pas de douche. Moi, j’ai peur de manquer de bouffe (rires). Puis là, Pascal disait : ″On ne traine pas de bouffe avec nous. Faites confiance que sur le chemin, il y a des dépanneurs, des épiceries.»
Si Marie-France a dû lâcher prise, ces éléments d’inconnu l’ont maintenue dans un état de gratitude. «Il y avait beaucoup de solidarité. Chaque fois qu’il y avait une brique qui tombait, il arrivait plein de belles choses autour de ça.»
À 51 ans, elle souhaite surtout avoir du temps pour profiter de chaque chose. Cette expérience de randonnée communautaire lui a fait prendre conscience de la nécessité d’«arrêter d’amasser des biens et [de] vivre.»
Marie | Embrasser le monde qui nous entoure
Pour Marie, la marche est une façon de se sentir vivante.
«Quand on part marcher avec notre sac à dos, on n’a pas de clés parce que toutes les portes sont ouvertes. Tout le monde nous accueille partout. On est les premiers à s’accueillir soi-même.»
Marie, 76 ans, a déjà emprunté les sentiers de pèlerins qui sillonnent le Québec. La première fois, en 2005, elle marche de Montréal à Sainte-Anne-de-Beaupré. Puis en 2009, elle effectue un pèlerinage de Pointe-Au-Père à Sainte-Anne-de-Beaupré.
«Quand on part le matin, le prêtre nous donne sa bénédiction et nous donne chacun une mission. Il fait sonner les cloches quand on sort de l’église. On a l’impression de se marier avec la semaine qui s’en vient. De se marier avec tout ce qui va arriver.»
La mission qui lui est confiée : prendre soin des gens qu’elle rencontre, s’arrêter, regarder ce qui se passe autour d’elle, prendre soin de la misère.
«Je partais avec l’idée que j’allais au-devant. On rencontrait des gens. On s’arrêtait pour parler, juste pour faire un compliment.»
Elle se sent dynamisée par les rencontres sur la route, même lors de ses marches quotidiennes préparatoires aux grandes randonnées. Mais il y a toujours l’incertitude du départ : «Au début, on part, pis là on se dit : Ah! Il fait chaud. Il fait froid. Ah! Mes souliers sont trop serrés. J’aurais dû mettre des gants.»
Toutefois, l’un des avantages de la marche de longue durée, selon Marie, c’est qu’elle passe de moins en moins de temps à se demander si elle a tout le matériel nécessaire. «Dans les premières minutes, c’est comme si on inspectait l’appareil. On est dans l’inspection. Après, c’est de l’introspection.»
Si certains entreprennent l’aventure pour l’attrait de la randonnée pédestre, le sentiment d’accomplissement, les rencontres ou encore pour vivre une démarche spirituelle, tous ont une quête qui les met en marche. Le pèlerinage n’est pas l’une des plus anciennes formes de voyage sans raison. À travers l’inconnu et les rencontres, plus grand que soi se révèle.
Photos : Avec l’aimable autorisation de Pascal Auger