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Photo : Stéphane Bourgeois

« Paul à la maison » : la profondeur du banal

Cet automne, le fameux Paul du bédéiste Michel Rabagliati foule les planches du Trident. L’album adapté pour la scène par la dramaturge Anne-Marie Olivier est « Paul à la maison », paru en 2019. Dans ce récit, non seulement Paul a vieilli, son pas est aussi alourdi par la mort qui s’infiltre, de diverses manières, dans son existence. Tout au fond, pourtant, une petite lumière s’entête à tromper l’obscurité.

Paul a maintenant 51 ans. Si on a l’habitude de lire un Paul qui replonge dans ses souvenirs de jeunesse, ici on regarde notre protagoniste vivre un présent marqué par la solitude et la perte, réelle ou à venir, de ce qui lui est le plus cher.

Vivre, c’est mourir lentement

C’est d’abord la mort d’une longue histoire d’amour. Lucie, qui partage sa vie depuis de nombreuses années, la mère de sa fille Rose, n’est plus dans le décor. Un cadre se pose, face cachée, sur la table du salon.

Rose, son « chou », est maintenant une jeune fille pleine de vie et de projets. Si pleine de vie et de projets, qu’elle annonce à son père qu’elle part bientôt vivre à Londres. C’est à son désir de garder son « bébé » auprès de lui que Paul doit ensuite mourir. Les Mini-Wheats à la cassonade qu’il a achetées pour elle ne rivalisent pas avec l’exotisme anglo-saxon. Évidemment.

Finalement, la mère de Paul, qu’il visite régulièrement – pour lui apporter du bouillon Campbell ou du fromage Cracker Barrel, ou simplement pour lui tenir compagnie – traine de la patte, dans tous les sens du terme. Combien de temps lui reste-t-il à chérir sa présence ?

Rien d’exceptionnel dans ces histoires de divorce, d’enfant qui quitte le nid et de parent vieillissant. C’est la banalité du quotidien. Et c’est pour cette raison qu’on n’a aucun mal à se mettre dans les bottes – ou les gougounes – trop lourdes de Paul. Ce n’est pas un effort d’imagination à fournir. Debout, devant son pommier à demi mort, Paul et son jardin à l’abandon sont un rappel de la réalité : tout est en train de mourir.

À qui le dernier mot ?

Paul erre donc dans les espaces trop vides de sa vie. Mais ces absences  révèlent une vérité : tout ce qu’on veut, c’est être en relation. Tout ce qu’on cherche, c’est le silence partagé, la parole échangée. Quitte à parler à son chien et à l’imaginer se réjouir qu’on ait trouvé la solution à son apnée du sommeil – et à ses ronflements. 

Plus encore, dans ce quotidien lent et ordinaire, mélancolique même, ce n’est pas la désespérance qui gagne. Le jazz feutré en fond sonore – sorte de chaos joyeux qui soutient le développement de l’action –, l’humour indémontable du protagoniste, la tendresse et la bienveillance sans artifice des relations sont autant d’humbles gages que la perte de repères ou la perte d’êtres chers n’a pas le dernier mot.

« Paul à la maison » est une pièce qui ne combat ni ne revendique rien, mais qui est plutôt une annonce de la beauté et de la bonté de ce qui est, à travers même la souffrance et la mort. Ce n’est pas une pièce engagée – au sens d’une révolte quelconque visant à changer le cours des choses –, mais une pièce qui embrasse la vie dans tous ses ratés, ses épreuves, ses croix. La croix, monument bétonné d’un parc de quartier où Paul s’aventure à essayer – sans grande euphorie – la course à pied, trône d’ailleurs sur la planche centrale, à différents moments de la pièce.

Cette œuvre est grande et mérite d’être vue parce qu’elle réussit à révéler, non pas en étalant le sublime, mais en dessinant l’ordinaire de l’existence, que le fond de l’être est bon. Qu’il y a, sous les pots cassés que nous sommes, un sol qui nous recueille et nous rapaille.

Même quand l’automne annonce la mort du vivant, la nature murmure une promesse de résurrection. Comme le chante Léo Ferré, dans la pièce même : « Y a nos chagrins qui ont des couleurs, y’a même du printemps chez l’malheur ».

La pièce « Paul à la maison » est présentée au théâtre le Trident jusqu’au 19 octobre 2024.

Anne-Marie Rodrigue
Anne-Marie Rodrigue

Embauchée à titre de journaliste, Anne-Marie s’émerveille aisément. Diplômée en philosophie, elle est animée par un désir de créer des ponts entre l’univers des grandes questions et la vie bien incarnée de tous les jours.