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Les martyrs coptes, 10 ans plus tard

Le 15 février 2015, Daech (État islamique) filme 21 hommes qui sont sur le point d’être égorgés sur une plage de Libye. Ils récitent le nom de Jésus, celui-là même qui les a tenus pendant 47 jours de torture, celui qu’ils refusent de renier, au prix de leur vie. Si le réalisateur, Samuel Arminius, en place un court extrait dans son documentaire Les 21, la puissance de la foi, c’est pour mettre en perspective le chemin de pardon que parcourent les familles des martyrs coptes depuis la tragédie. Dans une approche aux antipodes d’un sensationnalisme vendeur d’images, il recueille le fruit d’une démarche murie avec le recul du temps. Quelques jours après avoir reçu le prix du Père Jacques Hamel pour ce documentaire qui porte un message de paix, il a accepté de répondre à nos questions.

Le Verbe : Qu’est-ce qui t’a motivé à faire ce film ?

Samuel Arminius : Je peux comparer mon vécu à ce qui s’est passé avec l’apôtre Mathieu quand il était dans son bureau de douane. Il sent qu’il doit tout laisser pour se mettre à la suite du Christ. Dans mon bureau à Paris, j’ai senti une impulsion intérieure qui m’a déplacé. Tu sens que si tu dis non à ça, ton cœur ne sera pas heureux.

Pourquoi Dieu permet-il que des vies soient sacrifiées ?

La providence ne s’est pas manifestée où on l’aurait souhaitée. Dans la sagesse de Dieu qui est folie pour les hommes, il faut que le grain de blé meurt pour qu’il porte du fruit. On a la conviction que par cette mort, les fruits seront beaucoup plus nombreux qu’un simple miracle où les portes se seraient ouvertes pour que s’évadent les martyres.

C’est ce que dit l’évêque dans le documentaire : Daech voulait effrayer les chrétiens en montrant leur victoire et leur domination par cette vidéo. Mais cette vidéo a fait tout le contraire. Elle a glorifié l’acte héroïque de ces chrétiens dans le monde entier, ça s’est retourné contre les bourreaux.

Quel a été le parcours de ces personnes qui ont été conduites au martyre ?

Le martyre, ce n’est pas un pur acte volontaire. Ça vient d’une foi tellement forte que tu la considères première par rapport à la vie sur terre.

Nous, les Coptes, on a été éduqués depuis notre enfance par la vie des martyrs. C’est facile de reconnaitre un commerce copte. En haut de la caisse, il y a le crucifix, les images des martyrs Saint-Georges ou Apanoub. L’Église copte orthodoxe en est une de martyrs. Cette réalité ne nous est pas étrangère.

En partant pour la Libye, ces hommes connaissaient les zones à risque. La zone où ils travaillaient était relativement paisible. Mais quand tu ne peux pas nourrir ta famille, à un moment donné, il faut travailler, quel que soit le risque. Ils ont été vendus à Daech par le chauffeur de leur minibus.

Ils étaient jeunes, entre 25 et 35 ans. Quand on les voit à genoux, on perçoit à la fois la crainte et la force, peut-être comme pour le Christ à Gethsémani. L’un des martyrs, à un moment donné, a les yeux tournés vers le ciel. Il a les pupilles de quelqu’un qui voit quelque chose. Qu’ils sont beaux ces martyrs de Libye, qu’ils sont dignes.

Un Ghanéen se trouvait parmi les martyrs. Que sait-on de lui ?

Il s’appelait Matthew Arayiga. C’était un des surveillants du groupe de Daech. Il a été témoin de signes qui se seraient produits durant les 47 jours d’emprisonnement. Il se serait joint aux coptes en disant : « Leur Dieu est mon Dieu. »

On le sait à cause du témoignage d’un ancien de leur groupe qui n’a pas pu se remettre de ce qui s’est passé. Il est allé rencontrer un prêtre orthodoxe copte en Libye pour demander un exorcisme. Pour que cette histoire arrive à nous, elle a été vérifiée à chaque étape.

Personne n’a réclamé le corps de Matthew. Il incarne tous ces chrétiens persécutés dans le monde dont on ne connait pas le visage.

Qu’est-ce que ce jeune homme t’inspire ?

Je ne l’appelle pas le 21e martyr, je l’appelle le premier. Jésus a dit que les derniers seront les premiers. Lui n’avait pas ses frères à côté de lui, il ne connaissait personne parmi les coptes et ne parlait pas leur langue. Les martyrs, eux, vivaient dans le même village depuis l’enfance, fréquentaient la même église, se réconfortaient ensemble. C’est une grande personne ce petit Matthew.

Qu’est-ce qui t’a frappé dans les rencontres que tu as faites sur le terrain ?

Ce sont des familles qui veulent vivre l’enseignement du Christ et pardonner leurs ennemis. Dans le film, il y a un père qui dit : « Si je rencontre son bourreau demain, je prendrais la main qui a tenu le couteau et je l’embrasserai en disant : ‘’merci, car tu as envoyé mon fils au Ciel.’’ »

On voit bien aussi la tension entre l’idéal du pardon qu’ils expriment et où ils en sont sur le chemin. Il y a aussi cette mère qui me dit : « Si c’est Jésus qui demande de pardonner, je veux bien pardonner avec ma tête, mais mon cœur n’y est pas. »

Quelle a été la réaction de la communauté musulmane locale à la suite de ces atrocités ?

En Égypte, beaucoup de musulmans sont sortis dans la rue en pleurant, en criant : « Ils ont touché aux nôtres! ». Cet acte ne doit pas faire oublier qu’au quotidien, chrétiens et musulmans fréquentent les mêmes écoles, le même travail, se connaissent dans le quartier.

Ce qui est très beau dans ce film, c’est que les familles reconnaissent que ceux qui ont fait ça ne respectent pas leur religion. Dans l’islam, il est dit qu’il est interdit de tuer un innocent. Les assassins ne l’ont pas fait au nom de l’Islam, ils l’ont fait en leur propre nom.

Le pape François a fait avancer le dialogue pour l’unité des chrétiens (œcuménisme) grâce à ces martyrs. Peux-tu nous en dire davantage ?

Le pape Jean-Paul II, son prédécesseur, a dit que l’œcuménisme du sang, c’est l’œcuménisme le plus convaincant. Les chrétiens sont persécutés dans le monde du seul fait qu’ils portent le nom de chrétiens, sans égard à leurs différences confessionnelles.

Quand le patriarche d’Alexandrie Tawadros II apporte les reliques des 21 martyrs le 11 mai 2023 au pape François, ce dernier dit qu’il va les inscrire dans le martyrologe romain.

Qu’est-ce qu’il se passe dans le cœur du pape François pour qu’il prenne ainsi tout le monde par surprise ? Normalement, il aurait fallu un long processus d’étude échelonné sur plusieurs années pour y arriver, mais le pape l’a déclaré. C’est une parole performative. Voilà comment il a fait avancer l’œcuménisme du sang.

Pour une première fois depuis la séparation des Églises d’Orient et d’Occident, les catholiques et les coptes orthodoxes peuvent célébrer les mêmes saints. Peux-tu nous en dire davantage sur l’initiative que cette nouvelle t’a inspirée?

J’ai écrit au Vatican pour leur proposer qu’on fasse une célébration ensemble, maintenant que les martyres coptes sont inscrits au martyrologe romain. Le 15 février 2024, à la basilique Saint-Pierre de Rome, coptes orthodoxes et catholiques avons célébré les vêpres des 21 martyrs coptes de Libye.

On s’est toujours invité les uns des autres, que ce soit à Noël ou à Pâques, mais aucune de ces fêtes ne tombe la même date. La nouveauté, c’est que nous sommes enfin réunis pour une même fête. Ce sont 21 pauvres d’un village perdu au fond de l’Égypte qui ont créé cette unité chez les chrétiens. Après ces évènements, je me suis dit que c’est vraiment Dieu qui m’a dit de faire ce film.

Sarah-Christine Bourihane
Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.