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Illustration : Judith Renauld/Le Verbe

Comment bien dialoguer, avec Martin Desrosiers

Savons-nous dialoguer? Je veux dire, bien dialoguer? Martin Desrosiers, professeur de philosophie au collège Jean-de-Brébeuf, croit que non. Ça n’aurait d’ailleurs jamais été le cas, selon lui. En guise de solution, l’auteur de L’art de ne pas toujours avoir raison propose de redécouvrir la pensée de Montaigne pour apprendre à raisonner contre nous-mêmes, à avoir tort et à discuter sainement pour mieux vivre ensemble. Dialogue sur le dialogue.

Le Verbe: Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ce livre? 

Martin Desrosiers: J’étais un peu exaspéré – et je ne suis pas le seul – par l’état du débat public et de la manière dont on discute des enjeux politiques aujourd’hui. Dès qu’il est question d’un sujet le moindrement épineux, ça vire à la chicane. On a du mal à se comprendre, à se parler, à vivre avec nos désaccords et à penser nos désaccords. Mon premier malaise était donc lié à la conversation démocratique qui ne se passe pas bien depuis un bon bout de temps.

J’avais un autre malaise, soit celui du diagnostic qu’on pose sur la polarisation affective – le problème central de nos discussions infructueuses – qui n’est, d’après moi, pas toujours bien formulé. Qu’est-ce que la polarisation affective pour commencer? Pourquoi est-elle dangereuse pour le vivre ensemble? Le diagnostic me semblait flou et j’ai voulu essayer de contribuer à identifier un certain nombre de causes et, surtout, d’outils pour apprendre à penser ensemble.

Qu’est-ce que la polarisation affective et en quoi est-elle un frein au bon dialogue?

La polarisation affective, c’est lorsque l’autre, celui à qui je parle, devient un ennemi et que j’exagère les différences qui nous opposent parce que je pense que son opinion est indigne de considération. Elle découle du premier obstacle au bon dialogue, soit notre tendance à penser toute discussion comme étant un débat, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, on pense ce débat en termes militaires, comme si débattre signifiait partir en guerre parce que l’un a tort et l’autre a raison. C’est ce que j’appelle la logique adversative. Or, au lieu d’être des adversaires, on devrait être des collaborateurs.

Le deuxième problème qui ne permet pas le bon dialogue – c’est le point de départ du livre – c’est que les réseaux sociaux n’aident pas dans la mesure où ils sont des espaces discursifs qui offrent beaucoup d’incitatifs à l’arrogance et à l’agressivité, attitudes moins propices aux échanges fructueux. C’est toutefois un peu trop facile de dire que c’est la faute des réseaux sociaux, j’apporte donc ce bémol: ils exacerbent des tendances déjà présentes en nous, ils ne créent pas le problème.

La nuance est-elle alors de mise lorsqu’on prend la parole? 

Tout à fait, mais encore là, j’apporterais une nuance à la question de la nuance (rires). La nuance a souvent du bon, surtout pour éviter les mauvais extrêmes, mais des fois on fait appel à la nuance pour défendre des positions modérées et centristes et ça, ce n’est pas mieux. Je ne crois pas que la solution à la polarisation affective soit de défendre des positions modérées pour éviter les extrêmes. Il y a de bonnes et mauvaises idées radicales, il y a de bonnes et mauvaises idées modérées. Autrement dit, la nuance n’est pas la fin qu’on devrait viser, mais est plutôt une disposition. Les conclusions que je vais tirer ne seront peut-être pas modérées, mais ma disposition le sera. Je dirais donc oui à la nuance et la modération, mais avec modération. 

Quel est le but du bon dialogue? Est-il de trouver la vérité ensemble, de la construire, d’échanger des opinions sans but commun?

Je pense qu’il y a deux buts au bon dialogue. Le premier est de cheminer vers la vérité – si on y croit encore – et de se débarrasser de nos biais, de nos préjugés, pour ensemble y voir plus clair et s’approcher d’une vérité sur un objet ou un enjeu en particulier. Mais avant ça, je pense qu’il est beaucoup plus important d’essayer de comprendre la perspective de l’autre.

Ça m’amène au deuxième but du dialogue, celui que j’aime peut-être un peu plus. Il est moins ambitieux que le premier, donc plus réaliste: cheminer non pas vers une vérité, mais vers une plus grande compréhension mutuelle sans décider qui a tort et qui a raison. C’est un travail très difficile, mais très intéressant. Ça nous oblige à nous ouvrir à l’altérité, à nous questionner, à essayer de voir le monde avec les yeux de l’autre, ce qui nous permet d’être moins dans le jugement et d’être plus à l’écoute de l’autre.

Nos croyances sont-elles alors des obstacles au dialogue sain? 

Les croyances ne sont pas un obstacle au dialogue, tout dépend du rapport que nous entretenons avec elles. C’est sûr que si nous entrons en dialogue avec la conviction que nos croyances ne sont pas juste nos croyances, mais la vérité, le dialogue sera difficile et surtout très frustrant. Mais c’est possible d’avoir un dialogue sain, même quand on pense détenir la vérité, si l’objectif est la compréhension mutuelle. Il y a une différence entre avoir un dialogue sain et convaincre l’autre.

Il faut aussi faire la distinction entre les croyances qu’on hérite – non choisies, mais dans lesquelles on baigne – et celles qu’on adopte – choisies de manière autonome. L’important est de savoir pourquoi on adhère à une croyance et non pas y adhérer juste parce qu’on l’a héritée.

Quels outils proposez-vous pour bien dialoguer? 

L’humilité. Elle a souvent mauvaise presse. On pense qu’on est mou, qu’on manque de convictions alors qu’au contraire, ça prend un grand courage pour être humble, pour se remettre radicalement en question et se dire «peut-être que je me trompe». Je pense qu’un problème majeur dans notre système d’éducation est qu’on se concentre beaucoup plus sur la transmission des compétences que sur celle des vertus intellectuelles telles que l’humilité. C’est certainement plus difficile à transmettre que des connaissances, mais c’est justement parce que c’est difficile que c’est important. L’humilité, le doute, l’écoute sont des vertus qui permettent le véritable dialogue, on devrait les enseigner plus tôt.

Frédérique Bérubé
Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique est passionnée de voyages, de rencontres humaines et, bien sûr, d’écriture. À travers ses reportages, elle souhaite partager des histoires inspirantes et transformantes!