On passe à la vitesse grand V!

Comment trouvez-vous notre nouveau site web?

Je donne mon avis
Fermer
scroll

Rien ne me stresse autant que la musique relaxante. Je dois avoir un problème avec mon cerveau reptilien (qui serait plus dans le genre dragon de Komodo que petit lézard qui se dore au soleil) et une surdétermination de mon néocortex. C’est du moins ce que l’on m’a suggéré. Je réfléchis trop à l’intention avec laquelle les choses sont faites.

Quand quelqu’un agit tout exprès pour me détendre, ça me tend. J’ai l’impression que ses trop bonnes intentions s’évertuent à me traiter aussi gentiment que si j’étais une machine ou quelque minet qu’une simple caresse à l’encolure suffit à faire ronronner. Cela me rappelle ma femme qui me lance : « Calme-toi, à la fin! ». Injonction qui a la propriété infaillible de m’encolérer davantage, mais qui a du moins la fraicheur, l’honnêteté d’une verte réprimande.

Le plus terrible, sans doute, ce qui me hérisse pis que porc-épic et me fait regretter de ne pas être un putois capable de se sanctuariser au moyen d’une subite explosion nauséabonde, c’est la voix mielleuse d’une jeune femme qui me parle comme à un enfant tout en cherchant à m’étourdir comme un client de maison close. Aussi, lorsque j’ai découvert, sur YouTube, des vidéos rassemblées sous l’enseigne ASMR, j’ai mieux approché ce que pourraient être pour moi les peines de l’enfer. La damnation m’a paru pleine d’ondes positives.

Pour ceux qui sont aussi ignorants que je l’étais naguère, il me faut expliquer ce sigle où le Français croit entendre quelque chose à propos de sa « mère », alors qu’il ne s’agit que de frissons qui partent du cuir chevelu et se répandent le long de votre échine. ASMR veut dire autonomous sensory meridian response, ce qui peut se traduire par « réponse autonome sensorielle méridienne ». Mais il s’agit moins d’une réponse – terme qui implique la responsabilité et, par voie de conséquence, la raison et la volonté – que d’une réaction, d’un état physiologique induit, lequel peut se mesurer à travers le rythme cardiaque et la conductivité galvanique de la peau.

La situation de référence se rencontre dans le salon de coiffure, quand la shampouineuse vous pétrit délicatement le crâne. Mais cet effet de picotements électriques passe également par des stimulus auditifs et visuels. De là ces vidéos de midinettes désœuvrées qui chuchotent, soupirent, inspirent dans le micro, se tapotent les dents avec les ongles, brassent de leur langue les clapotis d’une petite ébullition de salive, se caressent les lèvres avec une peluche, mastiquent tendrement un muffin à la fraise…

Qui, en vérité, peut supporter cette double déchéance d’une infantilisation violente et d’une érotisation niaise ? Chaque fois que la jolie jeune femme fait ces petits bruits de langue bullée, je pense à l’esseulement, à la détresse extrême de ses auditeurs, et je me tourne vers ma petite statue de Notre-Dame de La Salette, celle qui pleure.

Je ne crois pas qu’il y ait d’ASMR ni de feng shui catholiques. À moins de les reconnaitre dans l’office du Vendredi saint : contempler le crucifié, entendre les passants et les grands prêtres se moquer de lui. Ça crie. Ça pue. C’est notre faute. Le massage de la shampouineuse est remplacé par la couronne d’épines. Si cela parvient à chasser notre anxiété, ce n’est pas en flattant nos oreilles, mais en déchirant notre cœur.

Fabrice Hadjadj

Fabrice Hadjadj est philosophe et dramaturge. Il dirige l’Institut Philanthropos, à Fribourg, en Suisse.