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« À hauteur d’enfant » : élever notre vision du monde
« Il neige des étoiles », lance la petite Béatrice, les yeux tournés vers les flocons qui se confondent avec l’immensité du ciel opaque d’une nuit d’hiver. Prendre conscience de l’acte même d’exister, en questionner la source : c’est une étincelle toute primitive et existentielle qu’allume en nous le film À hauteur d’enfant.
Après avoir réalisé le documentaire Errance sans retour, une incursion dans la misère humaine des camps de réfugiés Rohingyas, le couple de réalisateurs Mélanie Carrier et Olivier Higgins désirait produire un film qui apporte lumière et douceur. Cette lumière, ils l’ont trouvée dans les yeux de leurs deux jeunes enfants, Émile et Béatrice. Dans un rythme empreint de poésie, avec une caméra portée à leur hauteur, comme pour nous prêter leur regard, ils nous racontent leur monde, le temps d’un popcorn.
« Toutes les personnes ont été des petits enfants, mais peu d’entre eux s’en souviennent » – Antoine de Saint-Exupéry
Les réalisateurs ont introduit subtilement l’objectif dans leur intimité familiale – un quotidien bien ordinaire, mais parfois extraordinaire – et aussi dans les salles de classe au huis clos intriguant. Sans vouloir se prêter au jeu du sensationnalisme des téléréalités, tiennent-ils à préciser avant le début du film, ils ont voulu documenter l’enfance, dans ce qu’elle a de merveilleux, par une approche respectueuse et bienveillante.
Avant de filmer, les réalisateurs ont toujours pris soin de juger s’il convenait ou non de le faire. Le tournage s’est déroulé sur quatre ans pour ne rien brusquer : autant leurs enfants qu’ils ont impliqués dans le processus artistique que la réalisation elle-même.
Devant le public, Émile, 11 ans, tient à livrer le message qu’il souhaiterait que l’on retienne : « Toutes les visions du monde comptent, dont celle des enfants. »
La quête des origines
Pour les réalisateurs de Asiemut et de Québékoisie, documentaires primés de nombreuses fois ici et à l’international, ce film intimiste est le plus important de leur carrière. Quels sont les récits oubliés et ceux qui nous ont façonnés ? Lesquels raconter pour assurer la suite du monde ? Ils considèrent avant tout leur œuvre comme un legs à transmettre… à leurs enfants.
Sans proposer d’explications, le film nous laisse en suspens. On y remet en question les traditions héritées, véhiculant de fausses croyances, mais qu’on s’évertue à transmettre pour susciter la magie chez les tout petits. Pourquoi parler du père Noël et des lapins de Pâques ?
Le documentaire a toutefois le mérite de nous plonger au cœur d’une recherche de sens palpable par la manière d’être des enfants et fait émerger les réponses que l’on se donne. « Qu’est-ce qu’on voit quand on est mort ? Qui a fait les licornes ? Les atomes sont-ils vivants ? », s’interrogent-ils.
Recouvrir l’innocence
Tandis qu’on met sur pause nos occupations pour visionner le documentaire, nous le traversons en nous interrogeant sur la valeur que nous accordons à notre vie, à notre place dans l’histoire à la suite des premiers hommes qui ont peint la leur sur les parois rocheuses. Par l’apprentissage de l’écriture en première année, l’histoire de l’humanité se retrouve soudainement condensée sur la pointe de crayon des jeunes de la classe d’Émile qui apprennent à décoder le monde.
Mais malgré tout, le jeune garçon voit son bonheur menacé par la discipline de l’école qui l’attend à 8 heures du matin pendant qu’Olivier Higgins se demande, en voix hors champ, si l’on perd quelque chose en vieillissant. Comment assurer un avenir paisible à notre progéniture si nous-mêmes avons perdu nos raisons d’espérer et de nous émerveiller ? C’est un renversement : la quête de l’enfant fait advenir celle de ses parents. Alors que l’écran nous dévoile le papa, en trottinette, on devine que c’est tout à coup son petit Émile qui se trouve derrière l’objectif.
Parce qu’il est incomplet, imparfait et vulnérable, l’enfant doit mettre sa confiance en un autre. Cette confiance appelle une réponse, celle de la gratuité de l’amour du parent. N’est-ce pas une bonne raison d’espérer : celle d’aimer jusqu’à donner sa vie pour les petits qui nous entourent?
« Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » dit l’évangile. À sa manière, À hauteur d’enfant nous en entrouvre la porte.
Il est à l’affiche jusqu’au 17 octobre et sera ensuite présenté en cinérencontres un peu partout au Québec cet automne et l’hiver prochain.