Illustration : Judith Renauld/Le Verbe

Une villa pour les ados

La réputation de l’adolescence n’est plus à faire. Période charnière dans laquelle se concentre de multiples développements, elle est complexe à naviguer. Qu’ils soient hormonaux, physiques ou psychologiques, les changements foisonnent. Et à cela s’ajoutent la quête de sens et la recherche de validation des pairs. Au cœur de cette tempête, la Villa des jeunes accueille, écoute, accompagne. Entre ses murs, le jugement et les regards réprobateurs sont bannis. Chacun est libre. Libre de se confier, de pleurer, de se fâcher, de se taire. Ce qui se passe à la villa reste à la villa.  

Le concept de la villa est unique et original. Les animations ont lieu dans une seule pièce, immense, dite le «Foyer». L’éclairage est tamisé, et l’ambiance, chaleureuse. Dès l’entrée, on se sent instantanément bien. Le «pit à feu», qui trône au centre de la pièce, est certainement l’intérêt principal du Foyer, mais ce n’est que l’un de ses multiples décors.

Le participant peut monter à bord de «la barque de Pierre», pénétrer dans «la grotte» composée de stalactites illuminées, séjourner dans un «désert» évoqué par un paysage aride peint sur les murs; pousser la porte de l’Auberge d’Emmaüs ou s’assoir dans la «tente de réunion» au décor oriental.

  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
    La barque de Pierre
  • La grotte
  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
    Le désert
  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
    L'auberge d'Emmaüs
  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
    La tente

Par année, c’est quelque 6000 jeunes qui passent par la villa, dont 200 groupes scolaires de la 5e année du primaire jusqu’à la fin du secondaire. Une visite dure six heures, soit la journée entière, et elle se déroule autour d’une formation spécifique. Les thèmes possibles sont aussi variés que le civisme et l’inclusion, l’unité et la cohésion de groupe, la confiance et le courage ou le stress et la résilience. Chacune des dix formations offertes a un public suggéré, mais non imposé.  

«Lorsque l’école réserve une journée, elle va nous spécifier ce sur quoi elle veut que l’on travaille, c’est elle qui choisit le programme», explique la directrice générale du centre, Julie Baillargeon.

Si le thème de la religion n’est pas abordé avec les groupes scolaires, l’organisme ne cache pas ses origines catholiques. Les statues de saints, crucifix, sculptures chrétiennes et références bibliques ont la part belle dans les décors.

Être vu, entendu, reconnu

Fondée en 1971 à Saint-Augustin-de-Desmaures par la congrégation des Frères des Écoles chrétiennes, la Villa des jeunes avait pour objectif de «contribuer à la formation humaine et chrétienne des jeunes en privilégiant les plus défavorisés», rappelle Mme Baillargeon. Et, 54 ans plus tard, l’organisme perpétue la mission grâce au précieux soutien financier de la congrégation.  

«Même si on accueille tout le monde inconditionnellement, on continue de privilégier les jeunes qui vivent une forme de vulnérabilité que ce soit de la gêne, de la solitude ou un manque de confiance», poursuit la directrice.

L’animateur Philipp Dugas remarque vite ces élèves-là et, dès qu’il le peut au cours de la journée, s’assure de «mettre le spotlight sur eux […] pour souligner leurs qualités. […] Souvent, ces jeunes repartent avec le sentiment d’avoir été vus, entendus, validés et avec la certitude qu’ils ont le droit, eux aussi, de s’exprimer», dit-il.

En s’inspirant de la pédagogie et de la spiritualité de saint Jean-Baptiste de La Salle, la petite équipe de la Villa des jeunes, formée actuellement de sept membres, souhaite que les adolescents saisissent la richesse qu’ils portent en eux.

«En d’autres mots, le but, c’est que les jeunes découvrent le sens sacré de leur existence, formule Mme Baillargeon. Nous sommes tous enfants de Dieu, et je souhaite que les jeunes sachent qu’ils sont tous aimés et importants», ajoute-t-elle, le regard pétillant.

Le fondateur de l'institut des Frères des écoles chrétiennes, saint Jean-Baptiste de La Salle, est un prêtre français. Né en 1651 à Reims et mort en 1719 à Rouen, il a consacré sa vie à éduquer les enfants pauvres. Le monde de l'éducation lui doit deux innovations: la leçon est donnée dans une classe et non plus individuellement, et l'on apprend à lire en français et non en latin. Ces nouveautés ont bouleversé la pédagogie en France. Canonisé en 1900, il est reconnu comme modèle des éducateurs chrétiens.

Oser parler de sa foi

Outre la formation scolaire, la villa offre une formation chrétienne pour ceux qui souhaitent aborder le thème de la foi. L’une de ces activités, Oser la Parole, a pour objectif d’amener les jeunes à se questionner sur un passage de la Bible et à en discuter entre eux.  

«Nous, les animateurs, on propose des pistes de réponse, mais on n’offre pas un enseignement catéchétique», explique Philipp. Selon lui, de la curiosité vient l’étonnement puis, éventuellement, la recherche. Ce qui importe, c’est d’éveiller la curiosité chez les jeunes.

  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Pour Alicia, finissante au Juvénat Notre-Dame du Saint-Laurent, participer à Oser la Parole l’aide à cheminer dans sa foi et lui permet d’en parler librement avec d’autres jeunes de son âge. «C’est plus facile vu qu’ils sont croyants comme moi, c’est soulageant. J’aime aussi les activités qu’on fait avec la formation chrétienne: on a monté une montagne, on est allé faire du canot et, à Noël, on a cuisiné et distribué de la nourriture aux itinérants dans Saint-Roch. J’ai vraiment aimé ça, je sentais que j’aidais les gens», témoigne l’adolescente de 17 ans.


Tous les employés de la Villa des jeunes ont la foi. «On commence chaque journée dans la chapelle pour prier pour notre équipe, pour les élèves que nous allons accueillir, pour bien faire notre travail. Notre foi, c’est le centre de tout», confie la directrice.

Philipp est quant à lui convaincu que sa foi l’aide dans son travail en lui rappelant que «chaque élève a une valeur, est un être sacré et mérite le meilleur de [lui]-même.»

Extérioriser, ça fait du bien

En plus des formations de groupe, la Villa des jeunes propose deux expériences de 28 heures aux élèves de secondaire 4 et 5: la Traversée et le Relais-Jeunesse. Ce dernier est très populaire auprès des adolescents. Alexis et Maëva, également finissants au Juvénat Notre-Dame du Saint-Laurent, y ont participé l’an dernier.

«Quand tu entres, tu sens l’esprit de la villa faire effet direct: ton stress, tes problèmes, le monde extérieur, tu oublies tout !, s’exclame Maëva. Extérioriser, ça fait beaucoup de bien […], la villa est définitivement un safe space parce que tu peux parler de n’importe quoi et on ne te jugera pas. Je pense que c’est la place où je me suis sentie le plus en sécurité dans ma vie.»

D’abord réticent à s’inscrire, Alexis s’est laissé convaincre par un ami et ne regrette en rien sa décision. «Grâce au relais, j’ai appris à m’ouvrir aux autres et à ne pas tout garder pour moi, partage le jeune homme à la carrure d’athlète. Il y a ce stéréotype, ce tabou, que nous, les gars, on ne doit pas parler de nos sentiments, on ne doit pas être sensibles, qu’on doit toujours être tough. À la villa, j’ai compris que c’est faux et que c’est correct de pas toujours feeler et de vouloir en parler.»

De toutes les formations qu’il donne, Relais-Jeunesse est la préférée de Philipp Dugas, car «personne n’en ressort inchangé. […] Dans les grandes lignes, car on veut garder le programme secret, c’est un groupe de 16 jeunes au maximum qui viennent volontairement passer 28 heures à la Villa. Ils dorment sur place, ils n’ont pas leur téléphone et ils désirent prendre un temps pour eux. Nous leur donnons le lieu et l’occasion d’enlever les masques qu’ils portent pour découvrir qui ils sont réellement et pour réfléchir à leur vie», explique-t-il. 

«On aide les jeunes à mieux se comprendre en mettant des mots sur leurs émotions, leurs relations et leurs besoins qui vont dans tous les sens à l’adolescence», continue l’animateur de 34 ans. «Les ados mettent un petit orteil dans ce qu’on pourrait appeler la spiritualité et la quête de soi, ajoute-t-il. Je vois leurs regards changer au fur et à mesure qu’on pose des questions, ils comprennent quelque chose d’eux-mêmes et de leurs problèmes. C’est surement ce que je préfère dans mon travail: voir l’impact qu’on a sur les jeunes. C’est magique.»

  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Un lieu unique

Pour Doreen Perreault, animatrice de pastorale au Juvénat Notre-Dame et travailleuse sociale de formation, il n’y a pas de doute qu’une expérience comme le Relais-Jeunesse est bénéfique et même essentielle à l’adolescence. Depuis plusieurs années, le Juvénat envoie à la Villa tous ses groupes de deuxième secondaire et fait la promotion des programmes volontaires que sont la Traversée et le Relais-Jeunesse auprès des plus vieux.

«Ça a plein de bienfaits autant sur les plans spirituel et identitaire que psychologique et social, affirme celle qui y accompagne chaque année près de 60 élèves. Les jeunes y vivent une épreuve qui va les transformer: ils vont poser un regard sur eux et leur vie, traverser des émotions difficiles et s’ouvrir aux autres. C’est hyper épeurant à leur âge.

Elle voit les élèves revenir «joyeux, soulagés et allégés». Selon elle, «s’il y avait plus de lieux comme la Villa des jeunes, on règlerait beaucoup de problèmes dans notre société. Ça devrait être davantage offert aux jeunes, mais ça manque. La villa est un lieu unique».

Un constat qui désole Philipp, qui aimerait, lui aussi, voir de tels centres s’ouvrir un peu partout au Québec: «La société offre des professionnels pour t’écouter, c’est très bien, mais nous, en plus d’une écoute, on offre un lieu sécuritaire où les ados peuvent se parler entre eux. Ils sont vus et entendus par leurs pairs, et ça, c’est puissant et ça n’existe pas ailleurs.»  

Photos : Marie Laliberté/Le Verbe et La Villa des jeunes (foyer et stalactites)

Frédérique Bérubé
Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique est passionnée de voyages, de rencontres humaines et, bien sûr, d’écriture. À travers ses reportages, elle souhaite partager des histoires inspirantes et transformantes!