Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Retour à la foi après l'apostasie

En 2015, Émilie Morasse a choisi de renoncer officiellement à la religion catholique par un acte d’apostasie. Récemment, elle décidait de revenir vers l’Église dans un élan de foi renouvelée. En effet, l’apostasie, un geste radical qui porte son lot de conséquences, n’est pas irréversible. Le récit d’Émilie nous pousse à vouloir mieux comprendre les motivations de ceux qui quittent l’Église et qui ensuite réintègrent officiellement la famille chrétienne à laquelle ils avaient renoncé. Analyse d’un phénomène qui témoigne de la grandeur du pardon.

Émilie nait dans une famille catholique. Une suite d’évènements difficiles la pousse cependant à chercher ailleurs une façon de combler ses besoins spirituels. Elle se tourne vers l’ésotérisme et le nouvel âge pour «reprendre le contrôle de [sa] vie» après avoir vécu un grand sentiment d’abandon de ses proches, et aussi et surtout du divin. «Je me demandais: “Où est Dieu?”» C’est finalement dans la wicca, un mouvement religieux néopaïen qui mélange des éléments du chamanisme avec plusieurs emprunts à diverses mythologies, qu’elle trouve refuge. Elle devient vite une figure de proue du mouvement à Québec et se voit même attribuer le titre de «grande prêtresse wiccane».

C’est à ce moment qu’elle décide de faire les démarches pour quitter l’Église, vu l’incompatibilité de la wicca avec le christianisme. Elle ressent alors un profond besoin de cohérence. «L’apostasie, c’est très facile, en fait. Tu n’as qu’à chercher “lettre modèle d’apostasie” sur Internet et tu as déjà tout le texte écrit. Tu remplis les petites cases, et tu envoies ça au diocèse. Le chancelier te renvoie une lettre, qui t’explique ce que ça a comme conséquences: tu ne peux plus te marier à l’église, tu ne peux plus servir de marraine, tu ne peux plus être enterrée dans un cimetière catholique; en bref, c’est l’excommunication. Peu de temps après, tu reçois une lettre officielle qui confirme que tu as la mention d’apostate dans les dossiers.»

Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas ici d’être débaptisé, puisqu’on ne peut refaire l’histoire. «Ce qui est fait est fait», explique Élisabeth Sirois, doctorante en sociologie des religions. Elle insiste sur le caractère public et formel de la démarche. «Il s’agit d’une renonciation publique et institutionnelle à la foi. Il y a vraiment un acte concret qui a une force symbolique dans la mesure où cette affiliation-là revêt visiblement plus d’importance pour certains qui décident de s’en éloigner. C’est comme si le poids symbolique de l’appartenance pèse trop pour ces gens-là, au point où ils vont ressentir le besoin de s’en éloigner et de faire cette coupure-là par le biais de l’apostasie.»

Respecter la liberté

L’abbé Tidjani est chancelier au diocèse de Québec. C’est lui qui a le mandat de gérer les quelque 150 demandes d’apostasie adressées à l’évêque chaque année. Pour lui, il n’est jamais facile de voir quelqu’un quitter l’Église. «C’est sûr que c’est quelque chose qui fait mal, quand on est dans une équipe ou dans une famille, quelqu’un qui part… Même l’enfant le plus difficile dans la famille chez nous, on n’a pas envie qu’il s’en aille, il est des nôtres. Mais s’il veut s’en aller, on le respecte.» Il insiste: «Personne n’est là pour les juger. Le seul avec qui ils ont à traiter, c’est celui qui les a créés, Dieu.»

Parmi les personnes qui demandent l’apostasie, plusieurs le font parce qu’elles considèrent que le sacrement du baptême leur a été imposé à un moment de leur vie où elles n’étaient pas aptes à donner leur consentement. «C’est dire: “Moi, je n’ai pas demandé à être baptisé. Je considère que cette appartenance-là, qui est réelle – il y a quand même une inscription dans une institution –, n’est pas authentique”», résume Élisabeth Sirois.

«Le père de l’enfant prodigue a tout simplement couru, a ouvert les bras et l’a accueilli. C’est l’image que j’ai quand je vois un apostat qui revient.» – Abbé Serge Tidjani

Se sentir rappelée

Au fil des circonstances et des expériences, certains en viennent à regretter leur acte d’apostasie et souhaiter revenir vers l’Église. C’est le cas d’Émilie. Son retour à la foi ne s’est pourtant pas fait d’un seul coup. Après une grave expérience de violence conjugale qui la plonge dans une profonde dépression, elle a l’impression de recevoir tout d’un coup une série de «clins d’œil» qu’elle ne peut ignorer. Le premier se manifeste par un de ces petits pains de la parole – petit carton en forme de pain où est inscrite une parole de la Bible – qu’elle trouve sur le trottoir. Elle a la forte impression que les mots qu’elle y lit: «Sois fort et courageux […] ton Dieu sera avec toi» (Jos 1,9), s’adressent directement à elle.

Peu de temps après, elle trouve sur son chemin un autre objet qui lui rappelle tous les petits bibelots religieux que possédait sa grand-mère: un médaillon du Sacré-Cœur, qu’elle met dans sa poche, comme elle l’avait fait avec le petit pain de carton.

Mais c’est lors d’une visite à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré qu’elle vit un véritable moment de transformation. Elle accepte le chapelet qu’un ami qui l’accompagne lui offre en cadeau. «Quand je l’ai eu dans les mains, j’ai reçu quelque chose, les prières de mon enfance sont toutes revenues… Là, je suis devenue toute mêlée. Je me demandais ce qui se passait.» Les questions se mettent à émerger: «Est-ce que je me suis trompée? Qu’est-ce que j’ai fait?»

Elle souhaite alors recommencer à assister à la messe, mais pour ne pas se sentir comme un «imposteur», elle décide d’entreprendre les démarches nécessaires pour réintégrer l’Église qu’elle avait quittée. Après quelques péripéties administratives, elle trouve un prêtre qui prend en charge son dossier de réadmission. Les démarches impliquent une série de rencontres qui préparent au sacrement de la réconciliation. Au cours de l’une d’entre elles, Émilie lit la parabole de la brebis égarée (Lc 15,1-7). «Clairement, je suis la centième brebis. Le berger a travaillé fort, mais en même temps de façon tellement subtile et tellement douce, pour me ramener… Personne, aucune puissance au monde, à part Dieu, n’aurait pu parler mon langage comme ça pour créer cette relation-là.»

Les rencontres de préparation sont très significatives pour Émilie. Elles lui permettent de vérifier à quel point elle adhère aux aspects importants de la foi chrétienne. Selon Élisabeth Sirois, un rapport plus authentique à la foi s’instaure lors de ces démarches, notamment parce que la personne s’assure qu’il existe «une forme de cohérence entre ses propres valeurs et un contenu religieux qui lui est offert».

Accueillir de nouveau

Pour l’abbé Tidjani, il y a autant de joie associée au fait de voir quelqu’un revenir qu’il y avait eu de peine à le voir partir. Encore une fois, l’accueil se fait sans jugement. «Je prendrais l’histoire de l’enfant prodigue (Lc 15,11-32). Quand l’enfant revient à la maison, son père ne lui dit pas: “Tu viens d’où, toi? Tu as fait quoi, là? Je t’avais dit que tu te trompais. Tu vois, tu as dû revenir.” Non. Le père de l’enfant prodigue a tout simplement couru, a ouvert les bras et l’a accueilli. C’est l’image que j’ai quand je vois un apostat qui revient.»

Un des moments forts du cheminement d’Émilie a lieu pendant la neuvaine à la Miséricorde Divine, une série de neuf journées de prière qui commence le Vendredi saint. La prière du cinquième jour, dédiée aux apostats, vient la toucher droit au cœur. «Il y a des millions de gens qui font cette neuvaine-là chaque année, et chaque jour cinq, tout ce troupeau-là pleure pour une brebis égarée. C’est là que j’ai entendu le berger, Dieu qui prend soin de toutes ses brebis.»

Ainsi se poursuit le chemin qui mène progressivement Émilie vers le pardon. Le point culminant de cette démarche a lieu au moment de sa réintégration officielle, qui passe d’abord par une confession, puis par une profession de foi prononcée devant un prêtre et deux témoins. Émilie a même demandé au prêtre de rallumer son cierge de baptême, en signe de réconciliation. Mais sa route ne se termine pas là pour autant. Émilie continue son chemin dans le service aux autres.

L’abbé Tidjani insiste quant à lui sur le fait qu’il ne faut pas tant chercher à «tout réparer», par certaines actions. «Dieu a déjà pardonné, il ne nous calcule pas des points bonis.» Mais une autre question se pose, selon lui: «Est-ce que je me suis pardonné?»

Inspirée par le charisme de sainte Marie-Léonie Paradis, qui a dédié sa vie au service des ministres de l’Église, Émilie aide désormais comme elle peut les prêtres de sa communauté en les soutenant dans leur mission. C’est ainsi qu’elle vit concrètement sa foi retrouvée et qu’elle se sent reprendre sa place au sein de la grande famille chrétienne.

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Stéphanie Grimard
Stéphanie Grimard

Après avoir enseigné la philosophie au collégial durant plusieurs années, Stéphanie est maintenant journaliste chez nous! Toujours à la recherche du mot juste qui témoignera au mieux des expériences et des réalités qu’elle découvre sans cesse.