Photo : Laurence Bédard-Lamarche/Le Verbe

Paroles de scouts: toujours prêts?

Fondé en Angleterre au début du siècle dernier, le scoutisme fait son chemin jusqu’au Québec, où il devient un mouvement très populaire. Même s'il est aujourd’hui moins en vogue, le scoutisme a encore beaucoup à offrir à la jeunesse. Au-delà des foulards et de la perspective d’apprendre à faire des nœuds, que proposent les scouts aux jeunes en 2025? Tour d’horizon d’une organisation qui a plus d’un tour dans son sac.

Le terme d’origine anglaise scout signifie «éclaireur». C’est le soldat qui s’avance devant les autres pour repérer le terrain et avertir ceux qui sont restés derrière des dangers potentiels. Cette manière de désigner les membres du mouvement de jeunesse international n’est pas étrangère au passé militaire de son fondateur, le lieutenant-général Robert Baden-Powell. Fortement influencé par son expérience d’officier de commandement pendant la seconde guerre des Boers, il écrit en 1908 Scouting for Boys, le livre qui jette les bases du scoutisme.

  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Pourtant, Badin-Powell insiste sur le fait que, même si plusieurs des principes fondateurs du scoutisme proviennent du monde militaire, «les outils de la guerre peuvent devenir, auprès de la jeunesse, les outils de la paix et du développement humain, moral et spirituel».

Spiritualité au naturel

À son arrivée au Québec, le scoutisme est d’abord reçu avec une certaine réticence par le clergé, étant donné qu’il provient du milieu protestant. Au milieu des années 1920, cependant, des intellectuels comme le chanoine Lionel Groulx commencent à parler d’un «scoutisme bien à nous». Il n’en faut pas plus pour que le mouvement prenne son essor dans la province.

Jusque dans les années 1980, l’Église est bien présente dans l’univers du scoutisme. Dans la plupart des paroisses, le curé est considéré comme un chef scout. Il vient même bénir les troupes avant leur départ en camp. Si plusieurs groupes scouts sont encore associés aux paroisses, leurs partenaires principaux sont aujourd’hui majoritairement les services de loisirs municipaux.

L’apport de la foi catholique se voit tranquillement remplacé par une certaine forme d’humanisme. Certaines valeurs demeurent néanmoins semblables, comme l’aide au prochain, par exemple. Ce grand principe perdure, mais sous une forme sécularisée. On demande toujours aux scouts de faire de bonnes actions, mais le civisme remplace ici la charité.

L’aspect de communion et de solidarité au sein des groupes scouts est lui aussi encore très présent. Margaux, du 45e Groupe scout et guide Saint-Yves à Québec, témoigne de l’importance des amitiés qui naissent au fil des rencontres et des camps: «Émotionnellement, on est toutes des sœurs.»

Malgré une prise de distance par rapport à l’Église, la recherche d’une forme de spiritualité est encore au cœur de la démarche des scouts. Vincent Duval, commissaire en chef de l’Association des scouts du Canada, nous dit que «dans toutes les choses que le scoutisme fait, il y a l’objectif de faire vivre aux jeunes une expérience spirituelle dans laquelle ils se questionnent sur leurs valeurs. Pourquoi font-ils les choses? C’est quoi le sens de la vie?» Cela se fait à travers les groupes de discussion, où tout le monde est appelé à s’exprimer librement. «Les sujets sont infinis, et les jeunes ont soif de ces conversations-là.»

L’esprit de reconnaissance fait également partie de la philosophie derrière le scoutisme. Philippe Renaud, animateur au 77e Groupe scout Sainte-Geneviève à Québec, donne cet exemple: «On fait ce qu’on appelle la “paix du soir”. C’est une forme de prière, un chant qui dit: “Merci pour la nature, pour les oiseaux, pour la pénombre, aide-moi à trouver le sommeil.” C’est un chant de gratitude qui pousse les jeunes vers la spiritualité.»

  • Photo : Avec l'aimable collaboration de scout Sainte-Geneviève

Oser le risque

Un autre grand principe scout est l’importance de la prise de risques, qui vise une plus grande autonomie pour le plein développement du potentiel des jeunes. Pour Vincent Duval, «on évite trop le risque pour nos enfants. […] Ce qu’on fait, c’est qu’on les met dans des situations où ils vont explorer leurs limites et être capables d’essayer des choses. Ils vont peut-être se faire mal – des égratignures, des bleus –, mais dans un cadre où l’on sait qu’ils ne vont pas aller trop loin de leurs limites, là où ça pourrait représenter un danger. Ça leur permet de progresser, d’explorer, de se connaitre, de se découvrir.»

Apprendre la survie en forêt, de la meilleure façon d’allumer un feu à la construction d’un abri temporaire – même dans la neige! –, permet de se mesurer aux forces de la nature et d’affronter ses peurs.

Tout est une question de confiance, pour Vincent Duval. «Il suffit qu’on donne des responsabilités aux jeunes, et ils nous récompensent en nous montrant tout ce qu’ils sont capables de faire, en se montrant dignes de toute la confiance qu’on met en eux.»

Cette idée de progression et d’amélioration de soi revient beaucoup dans les propos recueillis auprès des jeunes de Saint-Yves. Isabelle, qui en est à sa cinquième année dans les scouts, aime l’idée d’apprendre «comment être une personne meilleure», notamment dans les relations qu’elle entretient avec les autres, avec la nature et avec elle-même. Margaux abonde dans le même sens: «C’est comme devenir une meilleure version de soi-même.»

Plusieurs parmi ceux qui passent par les scouts en perçoivent les fruits pendant longtemps. Même si l’on est très jeune lorsqu’on vit les expériences proposées, cette façon d’être guidé et encouragé dans le dépassement de soi est formatrice pour toute une vie.

«Quand, dans le bois, seul, je dis le Notre Père, je m’associe à un monde qui a été le mien depuis que je suis tout petit, autour du scoutisme.» – Jean Désy

Scout un jour, scout toujours

Jean Désy, poète, médecin et professeur, affirme que ce qui le définit avant tout, c’est d’être un scout. «Ce qui a été le plus fondateur dans ma vie – plus que la médecine et plus que l’enseignement –, ce que j’ai été toute ma vie, c’est un scout. C’est ma vraie vocation.»

Une de ses activités favorites est d’organiser des «camps littéraires de brousse» avec ses étudiants. Une fin de semaine en plein bois, avec des périodes d’écriture en nature, inspirées par l’esprit du scoutisme. Plusieurs des activités qui sont au centre de la pratique scout donnent accès, selon lui, à une grande spiritualité. «Même si l’on ne fait plus de prières, le feu de camp est un moment de rencontre spirituelle intense. Quand il y a cinq flos qui regardent l’étoile Polaire ensemble pendant vingt minutes, c’est une activité spirituelle.»

Le christianisme reste néanmoins partie prenante de l’expérience du scout que demeure Jean Désy. «Dans ma tête, le scoutisme tel que je l’ai vécu, c’est associé à la religion catholique. Quand, dans le bois, seul, je dis le Notre Père, je m’associe à un monde qui a été le mien depuis que je suis tout petit, autour du scoutisme.»

Le contact avec la nature est également une occasion de se rencontrer soi-même, d’après le poète. «Plus le rapport à l’extérieur et à la nature est intense, plus le rapport à l’intériorité devient intense, ça va de soi.»

  • Photo : Laurence Bédard-Lamarche/Le Verbe

Jeunesse connectée à la nature

Les jeunes sont aujourd’hui plus connectés à Internet qu’à leur environnement. Il est donc impératif, affirme Jean Désy, de rétablir ce lien avec ce qui les entoure, et en premier lieu avec la nature. Le médecin nous met en garde: «La déconnexion des forces de la nature qui est proposée partout dans le monde est pathologique. Tous les médecins vous le diront: il n’y a jamais eu autant de souffrance chez les adolescents et les jeunes adultes. La moitié de la population est anxieuse ou dépressive.»

Les jeunes de Saint-Yves abondent dans le même sens. Charlotte, qui est dans les scouts depuis trois ans, nous parle de ses expériences de camps, où le téléphone et les montres sont interdits: «On est vraiment dans le moment présent.» Béatrice ajoute que ses deux années de scoutisme l’ont aidée à se «recentrer sur ce qui compte pour vrai: la nature, et le fait d’aider les autres». «C’est moins superficiel que la société de faux-semblants où l’on est», renchérit Isabelle, chez les scouts depuis cinq ans.

À l’heure de l’inquiétude grandissante à l’égard des changements climatiques, il faut voir à quel point faire l’expérience de la beauté et de la grandeur de la nature peut susciter chez les jeunes le désir de la protéger. Et cela implique une ouverture à une forme de spiritualité. «Si l’on veut croire en une stabilisation des problèmes environnementaux, il faut absolument que les humains acceptent de reprendre un contact intime avec la nature», nous dit Jean Désy.

Voilà ce qu’offre le scoutisme: la chance de redécouvrir le lien intime qui nous unit au monde, pour retrouver le désir d’en prendre soin. Soin de l’environnement, soin des autres, soin de soi aussi. Un ancrage nécessaire qui peut redonner un sens aux gestes que nous posons, chaque jour.

Stéphanie Grimard
Stéphanie Grimard

Après avoir enseigné la philosophie au collégial durant plusieurs années, Stéphanie est maintenant journaliste chez nous! Toujours à la recherche du mot juste qui témoignera au mieux des expériences et des réalités qu’elle découvre sans cesse.