
L’épopée d’un rameau
Le dimanche avant Pâques, c’est la messe des Rameaux. À cette occasion, les catholiques brandissent une palme verte au début de la célébration. Pourquoi? Qu’est-ce qu’un rameau pour qu’il donne son nom à une messe et ses cendres à une autre? J’ai voulu suivre ce surprenant parcours. Nous avons voyagé des temps anciens jusqu’au fond d’un rang de campagne où la tradition du tressage est demeurée vivante. Parce que, oui, les rameaux sont aussi tressés!
Je me souviens de mon premier dimanche des Rameaux, il y a 15 ans. La cérémonie me semble plutôt théâtrale. Sur un chant solennel, nous suivons le prêtre qui tient bien haute une longue palme. En pleine procession dans les rues encore enneigées de Québec, nous agitons une version plus petite, timidement pour les uns ou fièrement pour les autres, devant des passants intrigués ou indifférents.
Cette procession rappelle l’entrée de Jésus à Jérusalem. Peu de temps avant la Pâque juive, la foule a agité des palmes pour acclamer Jésus qu’elle reconnaissait comme son messie. Ces tiges évoquent deux-mille ans d’histoire et de traditions, elles sont aussi le signe de toute une culture populaire, symbole de la piété d’un peuple.
Du sud au nord
Dans un rang de Cap-Santé, Marie Laliberté et moi rejoignons la jeep de Michel Berthrand, marguiller de la paroisse du village. Il est accompagné de sa conjointe, Line Dumont, et de leur ami Jean-Claude Filion, restaurateur d’objets patrimoniaux. Avant d’aller récolter l’eau de ses érables, Michel tenait absolument à nous conduire chez une tresseuse de rameaux passionnée qui, depuis 20 ans, fournit chaque année près de 200 rameaux à l’église.
- Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
Madame Cameron, chaleureuse dame de 92 ans, se lève pour nous accueillir. Dans sa petite maison bleu azur, le poêle à bois réchauffe l’ambiance. Les portraits de famille accrochés aux murs rendent les lieux aussi accueillants que notre hôtesse qui nous dit d’ailleurs de faire comme chez nous. Elle se rassoit, sort quelques palmes d’un sac qu’elle a commandé de Miami. «Ça ne vient pas de Jérusalem», lance Michel. Je leur fais la remarque que la Procure Ecclésiastique, un magasin d’articles religieux, reçoit aussi ses rameaux des terres publiques marécageuses de Floride.
Rejoint par téléphone plus tôt dans la semaine, le directeur de la Procure, Jacques Laroche, me raconte qu’il reçoit plusieurs centaines de sacs en jute environ un mois avant le dimanche des Rameaux. Il doit les entreposer dans des réfrigérateurs loués à cet effet afin de conserver les plantes au frais. Durant tout le mois, on s’affaire à les trier pour acheminer les commandes aux différentes paroisses du diocèse. Les paroisses, à leur tour, doivent les garder au frais dans un garage, une chambre froide ou tout simplement sous la neige. Mais attention, il est déjà arrivé qu’on les perde sous la neige ou qu’une souffleuse les déchiquète!
« Mais je sais aussi que même si le patrimoine passe, Dieu, lui, ne passe pas. » - Madame Cameron
- Photo : Marie Laliberté/ Le Verbe
Passer au suivant
Madame Cameron nous fait la conversation tout en séparant une tige en quatre. Elle nous dit en riant qu’elle n’a pas appris la technique sur internet, mais de manière autodidacte. «Le plus dur est de commencer», ajoute Line, qui a appris à en faire l’an passé et tente le coup de nouveau cette année.
«Si on ne l’apprend pas, qui va le faire?», demande Michel qui a transmis la technique au Cercle de Fermières de Cap-Santé et aimerait y initier les élèves de l’école située juste derrière l’église.
Mais pourquoi s’adonner au tressage de rameaux et le transmettre? Les palmes se conservent mieux sous la forme d’une cocotte. Et une longue tige sèche n’est pas très esthétique pour orner un crucifix! Jean-Claude renchérit: «La plupart des traditions sont des reflets du passé qui nous suivent, ce sont les traces des gens qui sont passés avant nous autres».
- Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
- Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
Michel et madame Cameron se souviennent de cette époque où l’on utilisait les branches de sapin et d’épinette en guise de rameaux. «Des rameaux, on n’en avait pas. Papa allait chercher dans le bois des branches de sapin. Ils mettaient un bouquet dans les étables, dans les hangars, dans les maisons. C’était un symbole de protection», se souvient la nonagénaire, native de L’Isle-aux-Grues.
Avant notre visite chez madame Cameron, je me suis entretenue avec l’abbé Scalia, passionné de liturgie. Il m’explique que dans le monde ancien, chez les Grecs et les Romains notamment, les rameaux étaient utilisés pour célébrer la victoire. Les athlètes olympiques ou les empereurs portaient des couronnes faites de palmiers, symboles de la joie du triomphe. Dans la société hébraïque, ils jouaient le même rôle.
«L’utilisation des rameaux a été intégrée dans la piété populaire à partir du Moyen Âge. C'était à ce moment que tout le monde avait son propre rameau pour participer à la liturgie. Les rameaux nous rappellent cette victoire de Jésus. Ils sont le souvenir du fait que Dieu est toujours fidèle à ses promesses», m’explique le vicaire de la Cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal.
Le chemin du cœur
Madame Cameron a rendu à peu près tous les services possibles à la messe. Maintenant, elle offre son savoir-faire parce qu’elle aime son église. Les cocottes de rameaux tressés sont offertes avant la messe en échange d’un don. «On ne vend pas les rameaux. C’est important de le dire. Sinon, on est comme les vendeurs du temple», insiste Michel.
Madame Cameron entonne le chant Credo du paysan, tout en continuant d’entrelacer les tiges de sa cocotte. «Je crois en toi maitre de la nature, je crois en ta grandeur, je crois en ta bonté», chante-t-elle.
Ces végétaux, la nonagénaire les assemble dans un climat de recueillement. Aucune radio ou télévision en bruit de fond. Elle préfère fredonner des chants religieux. Pour Michel, le simple fait de s’adonner à cet artisanat est pour lui une prière. «Ça prend du recueillement, de l’attention. Tu es devant quelque chose de la nature, tu fais de l’art avec et tu vas le partager. Il y a quelque chose de spirituel dans ça.»
- Photo : Marie Laliberté/Le Verbe
Madame Cameron prend la peine d’insérer une petite carte autour de chaque rameau où elle inscrit à la main une parole: «Tu es là au cœur de nos vies et c’est toi qui nous fais vivre».
Retourner à la terre
Qu’arrivera-t-il à de tous ces rameaux ensuite? «On les brule ou on les enterre, mais il ne faut certainement pas les jeter à la poubelle!», s’exclame Jean-Claude. Dès qu’un objet est béni, il devient un objet sacré, dédié à un service saint. «On les ramène à l’église et ceux qui restent sont brulés pour le mercredi des Cendres suivant», ajoute madame Cameron.
Lors de la messe qui inaugure le carême, le prêtre prend soin d’apposer une croix de cendres sur le front des fidèles en disant: «Tu es poussière et tu retourneras à la poussière.» Ainsi se boucle la boucle.
À la terre qui a les donnés, ils retournent. Le cycle de la vie est complet. Pour l’abbé Scalia, le sens spirituel est flamboyant. «Nous sommes poussière et nous retournons à la poussière. Mais le fait que la cendre vient des rameaux, c'est aussi un rappel pour nous que la mort n'est pas la fin. On utilise les rameaux comme souvenir de la victoire de Jésus qui est le vrai messie. Ça devient aussi un geste d'espérance. La victoire est toujours entre les mains de Dieu malgré le fait que nous sommes mortels.»
Il est temps pour nous de partir. Madame Cameron et ses acolytes ont toujours le cœur à l’ouvrage. La nonagénaire se réjouit de notre passage et conclut: «Tant que je vais avoir les yeux ouverts, je vais essayer d’en faire. Je souhaite de tout mon cœur que ça continue. Mais je sais aussi que même si le patrimoine passe, Dieu, lui, ne passe pas.»