Dossier spécial

Articles, analyses, émissions : découvrez notre dossier complet sur le pape François et son impact sur l’Église et le monde.

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Illustration : Judith Renauld/Le verbe

François, le pape de toutes les périphéries

Le pape est avant tout le chef spirituel de l’Église catholique. Mais les paroles et les gestes de François ont résonné bien au-delà des enceintes du Vatican. Son encyclique Fratelli tutti appelle d’ailleurs à la fraternité entre toutes les personnes humaines. Le Verbe a rencontré des non-catholiques pour découvrir ce qui les a touchés de ce pontificat, au-delà de leurs convictions respectives.

Réconciliation

Piita Irniq, survivant inuit des pensionnats

En 2022, Piita Irniq est présent lors de la visite du pape au Canada et il danse pour lui. Ils s’étaient déjà rencontrés en 2009, au Vatican, et M. Irniq lui avait offert un tambour inuit, qu’il avait confectionné la veille avec son fils, symbole de son pardon envers l’Église. Mais la présence de François sur les terres canadiennes représente, selon lui, un pas de plus vers la guérison et la réconciliation, même si le passé ne pourra jamais être oublié.

« Cet homme a eu le courage de venir, de parler et de faire la paix avec les Premiers Peuples du Canada. Lorsqu’il a parlé de “génocide culturel”, dans l’avion, c’est quelque chose qui va continuer d’avoir un impact majeur sur les survivants, et sur l’Église. »

Le pape François vient au Canada à l’été 2022 demander pardon, au nom de l’Église, pour toute la souffrance vécue par les communautés des Premiers Peuples au sein des pensionnats. Il passe par Québec, mais se rend également à Iqaluit, au Nunavut, pour ne pas oublier les Inuits.

Écologie

Laure Waridel, écosociologue et autrice

Laure Waridel, comme beaucoup d’autres, a lu l’encyclique Laudato si’ avec beaucoup d’attention et d’émerveillement. Militante écologiste de longue date, elle considère que ce petit ouvrage aurait pu tout à fait être écrit par un écologiste comme elle ou David Suzuki, tant les propos du pape visent juste pour les acteurs de ce milieu.

Elle retient de l’encyclique la notion de responsabilité morale. Alors que l’on reproche souvent aux écologistes d’être moralisateurs, Laure Waridel voit justement dans Laudato si’ le lien intrinsèque entre la moralité et la défense de l’environnement. « C’est clairement le pape qui s’est le plus battu pour les valeurs que je défends. Il a réussi à faire des liens entre des enjeux divers – l’environnement et la justice sociale, par exemple – qui vont pourtant ensemble. »

« Si tu détruis la base de la vie sur Terre, nécessairement, ça aura des conséquences qui te dépassent. Tous les bouleversements qui s’en viennent vont restreindre nos libertés beaucoup plus que les politiques pour protéger les bases de la vie. C’est un appel à la responsabilisation à long terme », explique-t-elle. Mme Waridel se réjouit que le pape ose pointer du doigt les rouages d’un système économique qui carbure à l’exploitation environnementale et sociale.

Et, surtout, elle trouve d’autant plus extraordinaire que ce message soit porté par une personne «tellement respectée et écoutée à travers les cultures et les frontières».

Le pape François publie en 2015 un document « sur la sauvegarde de la maison commune ». C’est un appel à une conversion écologique, à prendre conscience du fait que nous recevons cette terre en héritage et que nous sommes responsables de la transmettre aux générations suivantes. Il récidive en 2023 avec Laudate Deum, qui porte plus explicitement sur la crise climatique.

Fraternité

Boufeldja Benabdallah, cofondateur du Centre culturel islamique de Québec

Quand survient l’attentat de la mosquée de Québec, le 29 janvier 2017, le cardinal Lacroix, archevêque de Québec, se trouve à Rome, aux côtés du pape François. Lorsqu’il apprend la nouvelle, le pape le mandate aussitôt pour donner une accolade à un musulman ou à une musulmane comme signe de fraternité et de sympathie.

Dès son retour à Québec le lendemain, Mgr Lacroix célèbre une messe à l’église Notre-Dame-de-Foy en présence de dirigeants politiques et de membres de la communauté musulmane. À la fin de la célébration, il invite un musulman à venir le rejoindre à l’avant. C’est M. Benabdallah qui est désigné. « Sa fraternité débordante s’est déversée à 6000 km, de l’autre côté de l’océan, et a revêtu pour moi l’aspect d’une humanité proche des individus, peu importe la religion. »

« Il a dit: “je vous donne une accolade, qui est l’accolade du pape François”. J’ai alors senti toute son empathie, ça m’a bouleversé complètement. C’était devant une ovation debout, les gens étaient très touchés par ce geste. » Pour M. Benabdallah, c’est un moment décisif dans une relation d’amitié qui se tisse avec la communauté catholique de Québec. C’est d’abord un geste personnel, mais qui a aussi une incidence directe sur les relations spirituelles entre les différentes communautés.

Le pape visite plusieurs pays à majorité musulmane et s’engage activement dans la lutte contre l’islamophobie et les conflits comme celui à Gaza. En 2019, il embrasse le grand imam de la mosquée al-Azhar, Ahmed el-Tayeb, à Abou Dabi et 2021, il se rend en Irak pour rencontrer la plus grande autorité spirituelle des musulmans chiites, le grand ayatollah Ali al-Sistani.

Antisémitisme

Sonia Sarah Lipsyc, juive orthodoxe, fondatrice d’Aleph — Centre d’études juives contemporaines

D’emblée, Mme Lipsyc insiste pour dire à quel point elle a souhaité la guérison du pape François lors de son hospitalisation en février dernier. Elle témoigne que, dès son élection, les institutions juives lui réservent un accueil favorable. Son amitié avec le rabbin argentin Abraham Skorka lui a permis d’approfondir le judaïsme. «On a relevé dans nos milieux cette amitié. C’est quand même important les choses qui se passent entre personnes. C’était pour nous de bon augure.»

Attachée au dialogue judéo-chrétien, elle reconnait les efforts déployés par le pape François pour réaffirmer le message de Nostra aetate. Ce document paru en 1965 pose les bases du dialogue interreligieux. Cinquante ans plus tard, le pape François déclare : « Si un chrétien était antisémite, il couperait la branche sur laquelle il est assis, renoncerait à son identité originelle, se déracinerait et flotterait dans un espace indéfini… ».

Un baume pour Sonia Sarah Lipsyc, qui rappelle les siècles de tensions entre juifs et catholiques. Alors que se multiplient les gestes de haine à l’encontre des communautés juives dans le monde, elle salue le fait qu’à plusieurs occasions, le pape condamne l’antisémitisme.

En 2016, le pape se rend au camp d’Auschwitz. Il laisse ce message dans le registre des visiteurs : «Seigneur, prends pitié de ton peuple. Seigneur, nous te demandons pardon pour autant de cruauté.» Il invite à la lutte contre l’antisémitisme, soulignant les racines juives du christianisme;

Unité

Patrice Michaud, pasteur de l’Église réformée Saint-Marc de Québec

M. Michaud pense que toutes les Églises sont prises avec une marge plus importante que le cœur formé par les membres officiels. « On sent que Jésus voit l’Église beaucoup plus grande que les autres ne la voient. Le pape était pas mal dans une idée semblable. C’est un homme qui va au-devant, en s’adressant à des gens qu’il a commencé à appeler la “marge” de l’Église. Ce sont les gens à qui le pape François a pensé tous les jours, de qui il faut s’occuper. »

Le fait qu’il ne soit pas Européen, mais originaire de l’hémisphère Sud, contribue sans doute à ce « qu’il brasse plus la cage et s’attire des voix contestataires. » Mais, selon le pasteur calviniste, les fenêtres ouvertes ne se refermeront pas.

Il souligne le travail commencé par rapport au concept de synodalité, qui signifie « faire route ensemble ». Ce n’est pas seulement les évêques qui sont concernés, mais tout le monde. Pour M. Michaud, la base, ce sont les petites églises domestiques. « J’ai senti que le pape voulait en faire une façon d’être Église. »

En 2016, le pape se rend à Lund, en Suède, pour affirmer l’importance de l’unité des chrétiens et en appeler à la réconciliation avec les protestants, dans un esprit de communion. L’année suivante, pour marquer les 500 ans de la Réforme, le pape va en Finlande et affirme que Martin Luther voulait «renouveler l’Église, et non la diviser».  

Accueil

Christine Ebrahim, Copte de l’Église orthodoxe d’Égypte, impliquée dans le dialogue pour l’unité des chrétiens

À l’âge de cinq ans, Christine Ebrahim quitte l’Égypte avec sa famille pour le Canada. Sa communauté est tissée serrée, mais, malheureusement, encore marquée par les nombreux traumatismes subis en situation de minorité. Son histoire la rend sensible aux gestes posés par le pape en faveur des migrants et à son souci de s’occuper des plus petits d’entre tous. « Pour moi, un bon leadeur religieux, c’est quelqu’un qui accueille tout le monde. Si Dieu a créé l’humain à son image, on devrait être capable de voir Dieu dans chacun et dans nos différences. » 

« Il a lavé les pieds des réfugiés. Les migrants, c’est souvent ceux qu’on rejette le plus dans une société, parce qu’ils sont sans-papiers, n’arrivent avec rien, doivent se refaire une vie. Ça, pour moi, c’était une symbolique très forte. Le pape, je l’admire. »

En 2023, François invite le patriarche égyptien Tawadros II, pape de l’Église copte orthodoxe, au Vatican. Il s’agit de leur troisième rencontre. À cette occasion, François inscrit vingt martyrs coptes orthodoxes assassinés par Daech au Martyrologe romain.