
Ces jeunes étoiles du hockey adapté
Il y a des joueurs étoiles qui marquent l’histoire en décrochant la coupe Stanley. D’autres en rêvent. D’autres encore compétitionnent amicalement dans une ligue de garage. Puis il y a ceux dont on ne calcule pas les buts; c’est leur simple évolution sur la glace qui compte pour les parents en ovation dans l’estrade. Au hockey adapté, les règles du jeu sont différentes. Chaque enfant est l’étoile du match.
La tuque bleu poudre retroussée, Martin St-Pierre arrive tout fringant au complexe sportif Marc-Simoneau, à Québec, pour le tournoi annuel de hockey adapté. À ses côtés, sa femme Marie-Line Bourgeois entame sans tarder la conversation, qui sera un feu roulant. Leur bonne humeur est contagieuse. Je suis déjà charmée.
Dans les couloirs de l’aréna, poches et bâtons de hockey à la main, leurs deux enfants les suivent de près, comme dans la vie. Éliot, 13 ans, et Charles, 16 ans, ont reçu le diagnostic du trouble du spectre de l’autisme (TSA) dès la petite enfance. Une fois arrivés à l’âge adulte, ils ne jouiront jamais d’une pleine autonomie. «Une chance qu’on est bien en paquet de quatre, parce qu’on va l’être un bon bout de temps. On les a voulus, ces enfants-là», témoigne Marie-Line, dont les chances d’avoir des enfants étaient plutôt faibles.
Les joueurs sortent du vestiaire pour se lancer sur la glace. En arrivant, l’un des plus grands s’écrie: «Applaudissez-nous!» pendant qu’un autre fait le grand écart. Mise au jeu. Le numéro 38 se lance: c’est Charles. On le reconnait à son casque rouge vif, une relique appartenant à son père Martin, un ancien joueur de hockey.
Dans l’équipe des garçons St-Pierre, les Grizzly de Sainte-Julie, il y a des petits et des plus grands. Comme lorsqu’on joue entre voisins dans la rue. Le plus jeune, âgé de quatre ans, tente de frapper la rondelle; son père n’est pas bien loin derrière. Parfois, un moment d’inattention happe les troupes et le disque glisse sans que personne réagisse. Puis pic d’intensité, décharge d’émotions: un jeune se retire du jeu, en colère.
- Photo: Marie Laliberté
Esprit de famille
Marie-Line me commente la partie, tout en s’attelant à son tricot, son passetemps favori. On discute sans compter le temps ni les buts. Le hockey adapté, contrairement au hockey de ligue mineure, est non compétitif. Dans ce tournoi, il n’y a pas de points affichés ni aucune coupe à gagner. À la fin, chacun a droit à une médaille. Tout le monde se réjouit à chaque but, toutes équipes confondues. Il n’y a pas de bagarre entre fans dans les estrades ni entre rivaux sur la glace. «C’est pas comme dans Slap Shot», lance Martin à la blague.
Ghislain Dagenais, l’entraineur en chef des Grizzly, a tellement la cause à cœur qu’il continue d’entrainer l’équipe, même si sa fille atteinte du TSA n’y joue plus. «Je coache aussi au hockey mineur, mais c’est plus facile le hockey adapté. Les jeunes sont là pour jouer et peuvent faire un sport où ils sont normalement mis de côté. On a du plaisir. Ce qui est le fun, c’est l’esprit de famille, d’être ensemble, de jouer collectif. Tout le monde a le sourire, avec les joues toutes rouges. C’est le meilleur des mondes, au hockey.»
ET C’EST LE BUT! Tout le monde se lève et applaudit fièrement. Un des joueurs, fidèle à son habitude, s’incline pour saluer les spectateurs.
Dans les gradins, les conversations reprennent de plus belle. Les parents y trouvent un espace pour ventiler, pour échanger sur les enjeux qu’ils vivent avec leurs enfants. «Dans le hockey ordinaire, commente Martin, on ne parle pas à son voisin tant que ça. Si on lui parle, ça va presque être pour dire à quel point notre fils réussit bien à l'école, qu’il est inscrit en sport-étude. Ici, c’est plus un échange qu’une démonstration de performance. Dans les estrades, c’est comme sur la glace.»
- Photo: Marie Laliberté
«Ce serait triste qu’ils puissent détecter le gène de l’autisme, que des parents aient peur de tenter l’aventure jusqu’au bout, qu’il n’y ait plus d’enfants atteints du TSA.»
Point de vue d’étoile
«C’est pas écrit dans leur front que ces enfants sont différents. Parfois, c’est dur à gérer. Il arrive qu’un jeune se déshabille parce que ses vêtements le dérangent, qu’un autre va jeter des objets par terre. Mais ici, tout le monde est dans la même gang, on n’a pas besoin de se préoccuper du regard de l’autre. Avec les défis qu’ils ont au quotidien, les voir arriver à relever ces défis au hockey, c’est extraordinaire», affirme Vicky Jolicœur, l’administratrice du programme de hockey adapté.
Pendant les matchs, la sensibilité des personnes TSA est prise en compte. Pas de crécelles ni de trompettes, car ces stimulus ont le potentiel de désorganiser les joueurs. Le classique We Will Rock You qui résonne alors dans l’aréna est une exception. Marie-Line m’explique que généralement, c’est surtout le silence qui prime… et l’écho des bâtons frappés sur les bandes de la patinoire.
«Éliot, recule!» lance Martin. Sa mère m’explique qu’une des particularités d’Éliot est qu’il présente une forme de dissociation du bassin par rapport au reste de son corps, se traduisant par un manque de flexibilité. Bébé, il n’a pratiquement pas marché à quatre pattes, ce qui a eu pour conséquence d’altérer la fluidité de ses mouvements. «Il lui manque de l’huile de bearing dans la taille, mais ça ne l’empêche pas de jouer au hockey!» déclare affectueusement Marie-Line, avec le charme de ses expressions pittoresques.
«Si tu remarques, sur leurs chandails, poursuit-elle, il y a un morceau de casse-tête: c’est un symbole autistique. Dans l’autisme, rien n’est blanc ou noir. Le casse-tête est une bonne image, car il n’y en a pas deux pareils, c’est pour ça qu’ils appellent ça un spectre.»
Derrière nous, une dame s’immisce dans la conversation. «Le professeur de mon enfant disait que les enfants autistes sont comme des étoiles: ils rayonnent en éclairant un point de vue différent. Le mien connait tous les noms d’oiseaux et est super bon en algèbre. On apprend plein de choses avec lui.»
Le couple acquiesce en disant que, pour Charles et Éliot, c’est plutôt «les sortes d’autos et la géo». En admirant l’unicité de chacun, comme celle de tout être humain finalement, on évite de tomber dans le piège de la comparaison, m’explique Martin. À l’image de l’instructeur de hockey, il faut tenter d’aller chercher le meilleur en eux, tout en respectant leur rythme.
- Photo: Marie Laliberté
Quelque chose de divin
«Ce serait triste qu’ils puissent détecter le gène de l’autisme, que des parents aient peur de tenter l’aventure jusqu’au bout, qu’il n’y ait plus d’enfants atteints du TSA. Car ces enfants peuvent être les rayons de soleil d’une vie», lance tout bonnement Marie-Line entre deux mouvements de crochet.
Si, pour elle, recevoir le diagnostic de son premier a été comme de se faire «frapper par un train», Marie-Line s’est remise rapidement sur pied, avec l’aide inestimable de son époux. «Comme couple, on ne s’est jamais demandé: c’était à qui la faute? Tout de suite, on s’est dit qu’on devait faire tout pour améliorer la situation», témoignent-ils.
«Ça m’émerveille de voir le chemin parcouru jusqu’à maintenant. Quand on a reçu le diagnostic, on n'aurait jamais imaginé être là où nous en sommes aujourd'hui. Ça nous a ouverts à des personnes qui ont beaucoup de bienveillance, qui nous ont montré le beau côté de l’humanité. Des anges, on en a eu plusieurs sur notre chemin. Et on rencontre encore plein de gens patients et passionnés, qui se donnent corps et âme. C’est peut-être parce qu’on avait les épaules pour l’assumer, mais je pense qu’il y a eu de quoi de divin quelque part», se réjouit Marie-Line.
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Au tournoi de hockey adapté, moi aussi j’ai rencontré plein de bon monde. Entre les sportifs uniques en leur genre et leurs parents admirateurs, il y a une véritable synergie. Les uns et les autres forment une équipe, et c’est là finalement que tout se joue.