Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Le chemin de rédemption d’une ex-travailleuse du sexe

Enfant unique d’un père alcoolique absent et d’une mère monoparentale peu disponible, Sayeh Golchin a grandi avec ses voisins et a passé plus de temps à survivre qu’à vivre. L’important: avoir un toit et à manger. Le reste, peu importe. Elle a longtemps cherché sa place dans ce monde avant de la trouver à l’église, où une autre famille l’attendait. Portrait d’une ex-travailleuse du sexe transfigurée par le Christ.       

«La clientèle, c’est ça qui m’a le plus traumatisée, lance Sayeh après un bref moment de réflexion. Ça m’a frappée de voir tous ces hommes, en couple ou mariés, qui vont dans les bars de danseuses, ajoute la femme de 33 ans avant de confesser: Je ne suis pas fière d’avoir participé à ça, c’est sûr, et je vis encore mal avec cette pensée, mais j’essaye de me pardonner.»

Jusqu’au primaire, la jeune Iranienne connait une vie plutôt normale, malgré une relation blessée avec sa mère. Monoparentale, elle tente du mieux qu’elle peut de faire vivre sa famille, mais elle est peu présente mentalement et émotionnellement. La jeune fille se tourne vers ses voisins, chez qui elle trouve une deuxième famille. C’est avec eux qu’elle passe la majeure partie de son temps et qu’elle célèbre Noël et ses anniversaires.

Au secondaire, son parcours prend «un tournant plus dark». En manque d’amour et avide de plaire, la validation des autres est importante aux yeux de l’adolescente, qui fait alors tout pour être acceptée par les autres.

«Ils fumaient des joints, je fumais des joints, ils prenaient du speed, je prenais du speed, ils allaient là, j’y allais aussi, les filles couchaient avec des gars, je faisais pareil», énumère Sayeh. C’est à cette période qu’elle se met à consommer: pot, speed, ecstasy, mush, et beaucoup d’alcool.

Un cercle vicieux «justifiable»

À 17 ans, Sayeh commence à fréquenter un fraudeur. La relation devient toxique et psychologiquement abusive, mais la jeune femme ne dit rien à son entourage. Elle est terrifiée par son conjoint, qui la menace de toutes sortes de choses si elle parle.

Sayeh confie: «C’est l’un des moments où je me suis sentie le plus seule dans ma vie. C’est ce gars qui m’a menée vers le travail du sexe. Il me disait que je pouvais faire plus d’argent comme ça.» Jusque-là, elle n’a été que barmaid dans des bars de danseuses et ne veut rien savoir de danser. Elle méprise profondément ce métier.

«Quand je me suis retrouvée sur un poteau, je me suis dit : Ark! J’étais la première à dire que je ne ferais jamais ça, déclare-t-elle, mi-triste, mi-dégoutée. Je me disais aussi que jamais je n’allais faire du contact, continue-t-elle en riant jaune, mais tu le fais une fois et tu te dis que c’est pas si pire et tu entres dans un cercle vicieux justifiable, c’est bizarre…».  

À l’époque, la travailleuse du sexe se promet de ne faire cela qu’un an, puis deux, pour finalement pratiquer le métier pendant dix ans. Si certaines danseuses disent s’y plaire et s’achètent «des Mercedes et des sacs Louis Vuitton parce qu’elles font la palette», ce n’est pas le cas de Sayeh, qui le fait pour survivre.  

«Pour faire ce travail, tu dois soit prendre de la drogue, soit te dissocier de ton corps, parce que quand tu es consciente de ce que tu fais, c’est trop difficile», explique-t-elle. Elle choisit pour sa part la seconde option et perd toute notion de la valeur de son corps. 

«Tu ne sais plus qui tu es après autant d’années à te dissocier de ton corps, et je ne m’en rendais pas compte sur le coup. C’est aujourd’hui, avec la thérapie, que je réalise que j’étais complètement déconnectée de mon corps», ajoute la femme maculée de tatouages.

D'une solitude à l'autre

C’est finalement un homme rencontré sur ses heures de travail qui pousse Sayeh à quitter les bars, à la fin de l’année 2019. «Il travaillait pour une agence de sécurité et ne pensait pas travailler là ce soir-là, il n’avait jamais mis les pieds dans un bar de danseuses», raconte-t-elle.

«On s’est croisé, on a eu un intérêt l’un envers l’autre et on a discuté. C’était un bon gars, et c’est pour cette raison je ne me sentais pas à l’aise d’aller plus loin avec lui. C’est là que je me suis dit que j’étais prête à arrêter de faire ce que je faisais», partage Sayeh. Pour la première fois, elle est regardée pour qui elle est et ne se sent pas sexualisée par un homme.

Bien que leur relation ne dure qu’un temps, elle se termine sur une bonne note et permet à Sayeh de sortir de son calvaire. Elle lui en sera toujours reconnaissante. Mais un autre roller coaster débute pendant la pandémie de COVID-19: Sayeh découvre l’univers du New Age.

«J’étais surtout intéressée par le tarot et l’astrologie, commence Sayeh. Je ne savais pas où je m’en allais dans la vie, je n’étais plus danseuse, donc je ne savais plus qui j’étais et je pense que je me suis réfugiée là-dedans pour trouver un sens à ma vie.»

Mais sous des apparences «très love and light», Sayeh découvre une tout autre facette de cette spiritualité. «C’est très centré sur soi-même, sur le self, le self-love, le self-health, décrit-elle. Il y a cette idée qu’on peut tout faire tout seul et qu’on peut manifester des trucs par nous-mêmes, mais à un moment, tu réalises que t’es rendu complètement isolé.»

Elle vit deux années sombres marquées d’insomnies, de paralysie du sommeil et de peurs irrationnelles. «Il faut mettre de côté son ego pour reconnaître qu’on a besoin des autres.»

À la même époque, la jeune femme décide de partir en voyage au Mexique, où elle atteint «le pire rock bottom» de sa vie. «Je n’avais vraiment plus rien: pas de chez-moi, plus d’argent et pas de billet de retour. J’étais en dépression et je n’avais plus rien à quoi me raccrocher», témoigne-t-elle.

Et c’est là, au fond du désespoir, que Sayeh rencontre Dieu. Ne sachant plus quoi faire, elle pousse un cri du cœur vers le ciel sans savoir à qui elle s’adresse: «Dieu, si tu existes, prend le contrôle de ma vie!» Elle rend les armes, elle lâche prise, elle s’abandonne.

Le lendemain, au réveil, c’est une paix intérieure indescriptible qui l’habite.

«Des méditations de dix heures, des moments de silence pendant des jours, j’en avais faits et je n’avais jamais rien ressenti de pareil, s’exclame la femme qui précise avoir vécu plusieurs expériences spirituelles avant celle-ci. Ce n’était pas humain, c’est comme une lumière qui est entrée en moi. J’ai senti que tout ce qui était mort en moi revenait à la vie.»

«Ce n’était pas humain, c’est comme une lumière qui est entrée en moi. J’ai senti que tout ce qui était mort en moi revenait à la vie.»

Comme les autres

Après cette expérience mystique, Sayeh revient à Montréal et se rend dans une église pour la première fois de sa vie. C’est le dimanche de Pâques — jour de la résurrection du Christ — précise-t-elle, un sourire aux lèvres.  

«Ce qui m’a le plus frappée, c’est que je ne me sentais pas différente des autres personnes présentes dans l’église, s’étonne encore Sayeh. J’ai senti que j’étais acceptée malgré qui j’avais été auparavant, que moi aussi je pouvais être une enfant de Dieu».  

Sayeh découvre, ce jour-là, «la nation de Dieu», comme elle aime l’appeler, sa «vraie famille». Celle qui était autrefois une athée anticléricale demande le baptême peu de temps après. Depuis, son seul but est de se «rapprocher un peu plus de Dieu, tous les jours».

«Je ne veux pas être confortable dans ma foi et jamais je ne veux m’entendre dire: “Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de Dieu” ou “J’ai réussi à accomplir ça toute seule”», clame Sayeh, qui a soif d’en apprendre plus sur sa foi et l’enseignement du Christ.

En rigolant, elle finit par dire: «Je veux juste crier sur tous les toits: “Oubliez tout ce qu’on vous a appris, toutes vos questions peuvent être répondues par le Seigneur, qui est allé à la croix pour vous!”»

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Frédérique Bérubé
Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique est passionnée de voyages, de rencontres humaines et, bien sûr, d’écriture. À travers ses reportages, elle souhaite partager des histoires inspirantes et transformantes!