Illustration: Marie Laliberté/Le Verbe

La repentance d'Ulric Riverin

«Waseskun» est un mot de la nation crie désignant le moment spécifique où, après une tempête, les nuages se dissipent et font place de nouveau au ciel bleu et aux premiers rayons de soleil», explique Ulric Riverin. Sur scène, guitare à la main, c’est ainsi qu’il introduit une composition inspirée de son histoire. Alors que sa conscience est assombrie depuis longtemps par la haine et la culpabilité, c’est à la cour, devant une juge, que le calme se fait. Ulric nous raconte ce qui le pousse à assumer une inconduite sexuelle, au moment où il s’apprête à en être acquitté, mais, surtout, comment la vérité le rend libre de regarder le ciel à nouveau.

Au Cabaret de la seconde chance — un spectacle conçu pour sensibiliser le public aux enjeux de la réinsertion sociale des personnes judiciarisées —, Ulric déroge au programme bien minuté en improvisant une apologie de sa foi en un Dieu sauveur devant un auditoire ébahi. C’est pourtant de là que provient le repentir de l’ancien criminel. Comment pouvait-il ne pas en parler? Dans nos échanges, il y revient sans cesse.

Accompagné d’Édith, sa fiancée, qui l’accueille tel quel avec son parcours atypique, et de son vieil ami Clermont, qui, à l’image d’un père adoptif, le suit fidèlement à travers tous ses procès, Ulric ne cache pas ses larmes. Des larmes de douleur, puisque son passé n’est pas des plus roses; des larmes de reconnaissance, vu les multiples guérisons expérimentées.

«J’ai vécu des traumas. J’ai été agressé sexuellement. J’ai vu mon père battre ma mère. Mon père me battait. Ça buvait. J’aurais voulu être le garçon de Clermont. Il s’amusait dehors avec son fils dans la neige. Mon père ne faisait jamais ça avec moi», témoigne Ulric.

Autant de sévices ne laissent pas indemne. Pour engourdir le mal, le jeune Innu inhale des vapeurs d’essence dès l’âge de 12 ans. Il enchaine les partys et les relations, durant de longues années. Mais, en décembre 2017, c’est le point de bascule: âgé de 48 ans, il commet une infraction criminelle qui lui fera prendre conscience que cette vie décadente doit cesser. Lors d’une soirée bien arrosée, il a une relation sexuelle avec une jeune fille, une mineure.

«J’ai caché mon crime, je n’ai pas voulu l’avouer. Je suis allé dans le bois, j’ai crié tellement fort: “Dieu, aide- moi. J’ai tellement honte de ce que j’ai fait!” En retournant chez moi, j’ai encore prié. J’ai dit au Seigneur que je voulais qu’il mette sur ma route une personne qui m’apprenne à mieux le connaitre. J’ai reçu un appel cinq minutes après. C’était Clermont.»

Ulric et Clermont ne s’étaient plus parlé depuis des années.

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Loyauté d'un ami

Alors qu’il n’a que cinq ans, Ulric est marqué par la perte de son voisin et meilleur ami, heurté de plein fouet par une voiture. C’est le fils de Clermont. De ces évènements, Ulric garde le souvenir d’un père éploré qui, à la suite du drame, vit un parcours intérieur surprenant.

Il l’entend chanter des louanges et parler de l’amour de Dieu. Clermont apparait alors comme la figure d’un homme de foi, droit dans l’épreuve. Au fil du temps, Ulric et Clermont se perdront de vue.

Après bien des années, pourtant, Clermont réémerge à point nommé dans la vie d’Ulric, comme le père qui lui a manqué. L’amour inconditionnel que Clermont a pour Ulric se manifeste tout spécialement quand ce dernier est finalement mis en état d’arrestation, en 2019. Alors qu’Ulric est accusé d’agression sexuelle sur une mineure, Clermont est auprès de lui durant toute la saga judiciaire, parcourant parfois des centaines de kilomètres à cette fin.

Même s’il ne sent pas une once de jugement chez Clermont, Ulric est incapable de lui révéler les détails de son délit. En fait, lui-même vit une forme de déni face à son crime, craignant le jugement et la prison. Quant à lui, Clermont évite de le questionner. Il se contente de l’accompagner.

«Entre les séances en cour, j’ai décidé de donner ma vie à Jésus. Clermont m’a demandé si j’étais prêt à recevoir le Christ dans mon cœur. J’ai demandé pardon pour tout ce que j’avais fait et j’ai décidé de me faire baptiser, en aout 2020», se souvient Ulric.

«C’était vraiment une journée spéciale, ton baptême, poursuit Clermont. Le ciel était noir, il pleuvait. On s’est dit qu’on allait le faire quand même.»

«J’ai avancé dans l’eau du lac, raconte Ulric. Les nuages se sont dissipés. Quand je me suis fait baptiser, c’est là que tout a changé pour moi. La peine que j’avais, la haine que j’avais pour les autres et tout ce que j’avais fait dans mon passé, c’était parti. J’étais en paix.»

«J’ai caché mon crime, je n’ai pas voulu l’avouer. Je suis allé dans le bois, j’ai crié tellement fort : “Dieu, aide-moi. J’ai tellement honte de ce que j’ai fait!”»

La sentence

Malgré tout, durant les procédures qui s’étalent sur quatre ans, Ulric soutient auprès de son avocat que la victime lui avait dit être majeure. Chemin faisant, par l’œuvre de la grâce et d’un travail en psychothérapie, il trouvera l’élan pour vaincre sa peur de faire la lumière sur son histoire.

«Je voulais sauver ma peau, je ne voulais pas aller en prison, puis il y a eu ce moment précis.»

Un matin de janvier 2023, Ulric prie comme il en a l’habitude. Mais, ce matin-là, il sent une force à l’intérieur de lui, une paix incroyable. «J’avais toujours peur d’aller en cour, et là, en dedans de moi, ça me dit: “Dis la vérité à la juge.” Je me suis dit que j’allais aller en prison.» Une parole de la Bible lui revient: «Ne crains pas: je suis avec toi» (Is 41,10).

«Madame la juge, j’ai quelque chose à vous annoncer, rapporte Ulric en surprenant tout le monde durant l’audience. Je suis un homme chrétien qui croit en Dieu et j’ai foi en lui. Je ne peux plus continuer. Je dois vous dire la vérité.» À ce moment, la juge l’interrompt et lui demande de parler avec son avocat avant de faire sa déclaration.

«J’ai dit à mon avocat que je savais que la fille était mineure, relate Ulric. Il m’a répondu: “Tu pourrais être acquitté. Es-tu certain?”»

Sûr de vouloir écouter sa conscience, Ulric fait l’aveu de son parjure à la juge, se disant prêt à aller en prison. Clermont apprend la vérité au même moment. «Je me disais qu’il y avait seulement Dieu qui pouvait faire ça en lui, personne ne l’avait poussé à ça. C’est ça, la foi chrétienne: se repentir et assumer les conséquences de ses fautes», affirme-t-il, ému.

«Un mois après, ils m’ont donné ma peine: 30 mois au pénitencier. J’ai dit: “Gloire à Dieu!” C’est sûr que j’ai eu un choc, mais ma foi n’est pas tombée, elle a grandi, plutôt», témoigne Ulric.

Réparation

Durant sa première semaine au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines, Ulric se morfond. Il tente de copier de mémoire les versets de la Bible qu’il connait. Il parle de Dieu aux autres détenus. Rapidement, il retrouve la paix. «Il y avait des murs autour de moi, mais ici [il pointe son cœur], j’étais libre», avoue Ulric, en croisant le regard de sa fiancée, silencieuse jusqu’ici.

Quelques mois plus tard, il est déplacé au Centre Waseskun, un lieu de guérison pour hommes autochtones qui œuvre en collaboration avec les services correctionnels du Québec. Après un jeûne de quatre jours, il pardonne à chacune des personnes qui l’ont blessé et demande aussi pardon pour ses mauvaises actions. Dans ce processus thérapeutique, il demande également à Dieu de lui faire connaitre une femme croyante, si telle est sa volonté.

C’est dans un centre de transition, durant le temps qu’on lui accorde sur Internet, qu’il reprend contact avec Édith, une ancienne fréquentation. «Quand je lui ai parlé, j’étais vraiment surpris qu’elle soit devenue croyante, elle aussi. Et elle avait fait la même prière que moi», se réjouit Ulric.

  • Illustration : Marie Laliberté/Le Verbe

Lors de leurs premiers échanges, Ulric insiste pour qu’elle sache ce qui lui arrive: il est en train de purger une peine pour inconduite sexuelle. Cet aveu ne repousse toutefois pas Édith. Au contraire, elle est touchée de voir son repentir sincère.

«Ulric voulait vraiment me raconter tout son délit pour que je sache à quoi m’en tenir. J’ai trouvé ça honorable de sa part. J’étais prête à l’accepter tel qu’il était», raconte Édith, consciente des restrictions qu’implique un casier judiciaire. Même si leurs premiers rendez-vous galants doivent se tenir dans des lieux publics, car Ulric a des comptes à rendre à son agent de libération conditionnelle, Édith est prête à le soutenir. Tout comme Clermont, qui n’a cessé de le visiter durant sa détention.

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Nutshemashkuessim veut dire «princesse», en langue innue. C’est le titre de la deuxième composition d’Ulric, une lettre d’amour qu’il chante à Édith, assise dans la salle aux côtés de Clermont. Émus, ils pèsent le poids de chaque mot. Ils savent qu’aucune issue désirable n’était possible sans la grâce d’un Dieu venu transfigurer ce mal pour en faire rejaillir du bien.

Sarah-Christine Bourihane
Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.