Illustration: Marie Laliberté/Le Verbe

L'Église a un nouveau Docteur

Celui qui complète un doctorat reçoit le titre de docteur, soit. Mais qu’en est-il pour un Docteur de l’ÉgliseC’est un titre plutôt rarissime, car, en 2000 ans d’histoire chrétienne, on n’en dénombre que 38. Le dernier a été nommé par le pape Léon XIV le 1er novembre 2025. Il s’agit de saint John Henry Newman (1801-1890), une figure incontournable dans le paysage intellectuel britannique de l’époque victorienne.

Tous les saints de l’Église ne sont pas des docteurs, mais tous les docteurs sont des saints. Canonisé en 2019, ce professeur d’université a été reconnu saint à la suite de la rigoureuse enquête des théologiens. Le 22 octobre dernier, le pape Léon XIV lui a aussi donné le titre de «co-patron de la mission éducative de l’Église». Mais qui est-il pour se mériter tous ces honneurs?

Né à Londres, Newman vit une première conversion qui marquera toute sa vie et même son enseignement. Dans son livre Apologia Pro Vita Sua, il décrit: «Quand j’eus quinze ans, un grand changement se fit dans mes pensées. [Cette conversion] concentra toute ma pensée sur deux êtres seulement: moi-même et mon créateur». À la suite de cette expérience, tout le reste lui semble futile et évanescent. Rien n’est plus réel que l’être de Dieu, et il en est plus certain «[…] que d’avoir des pieds et des mains.» Il découvre le lieu intérieur de sa liberté, d’une relation personnelle avec son Créateur.

Cette prise de conscience essentielle s’approfondit à chacune des nombreuses crises qui jalonnent son parcours. Après la perte subite de l’une de ses sœurs, il affirme qu’il est impossible d’être matérialiste en présence d’un mort. Atteint plus tard d’une fièvre importante, il frôle la mort et descend alors au fond de lui-même, dans une lutte entre lui et Dieu. Il constate qu’il manque de foi et qu’il est trop attaché à sa volonté; un changement de cap est amorcé.

Parcours du combattant

La vie de Newman est parsemée de quêtes et d’embuches. De quêtes, puisqu’il évolue du protestantisme évangélique à l’anglicanisme et, enfin, au catholicisme, chacun de ces passages étant précédé d’un examen minutieux des raisons de croire. D’embuches, puisqu’il sera considéré comme un hérétique chez les anglicans et un suspect chez les catholiques.

Professeur d’influence de l’Université d’Oxford, Newman est critique des rapports trop serrés entre l’État et l’Église d’Angleterre. Il publie des tracts en guise de protestation, diffusés partout en Angleterre, mais ses écrits sont condamnés par la hiérarchie.

Convaincu par l’enseignement des pères de l’Église, découvert en étudiant le christianisme primitif, il se tourne vers le catholicisme, comme «[s’il] arrive au port après avoir traversé une mer agitée». C’est la publication de son œuvre autobiographique, Apologia Pro Vita Sua, dans laquelle il se confie sur sa quête de vérité, qui contribuera à rassurer ses détracteurs. Ce livre inspirera d’ailleurs des intellectuels notables comme G.K. Chesterton ou Edith Stein.

Foi et raison

Dans un siècle d’essor du positivisme, Newman propose une défense de la foi dans Grammaire de l’assentiment, un de ses chefs-d’œuvre. Comment donner son assentiment à une doctrine religieuse? L’accumulation d’arguments probants ne suffirait pas selon lui à conduire à la foi. Newman soutient que la raison seule ne peut rendre compte des raisons qui la conduisent à cette certitude. Il immisce, dans le champ de la rationalité, une autre grandeur, une autre logique, qui exige l’ouverture du cœur. Si nous engageons l’acte de croire, c’est que quelque chose nous a remués, nous a touchés. Pour Newman, vivre et penser sont intrinsèquement reliés.

Alors qu’il est courant de parler de subjectivisme dans notre société contemporaine, aborder le rôle de la conscience personnelle à l’époque de Newman est avant-gardiste. Il la définit comme le fondement de la religion naturelle, qui précède l’acte de croire, comme un «[…] élément primordial de la nature de l’homme». En cela, la conscience est le lieu de la vérité dans le sujet lui-même, lieu étranger aux gouts personnels ou aux désirs de se conformer socialement. Il défend ainsi le primat de celle-ci et l’importance de la former.

Finalement nommé cardinal par le pape Léon XIII en 1879, Newman choisit comme devise: Cor ad Cor loquitur, «le cœur qui parle au cœur». C’est dans l’intimité de la relation à Dieu, où il puisa la grâce pour traverser ses épreuves, qu’est née la profondeur d’une pensée fructueuse confirmée bien après sa mort, pavant la voie vers le Concile Vatican II. Gageons que l’écrivain prolifique, qui affirmait ne pas pouvoir penser sans une plume à la main, sera un phare pour quiconque cherchera à mieux éclairer son intelligence dans le brouillard de la désinformation.

Sarah-Christine Bourihane
Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.