Photo : Ioana Bezman

Christian Vermette et la bataille des âmes

J’ai beau être née sur la Rive-Sud, je n’ai jamais vu le fort Chambly de ce côté-ci du Bassin. On voit même le mont Rougemont qui s’étend de tout son long. Vu d’ici, le fort, lui, malgré ses hautes murailles de pierre et ses quatre bastions de coin, a l’air bien petit. Les pieds pendants au bout du quai, je me prends à méditer sur tous les combats qui se sont livrés ici entre Français, Iroquoiens, Britanniques, puis Américains. Derrière, à l’église Saint-Joseph de Chambly, on lutte encore, mais contre des ennemis d’un tout autre acabit.

Dans la paroisse de l’abbé Christian Vermette, un jeune n’attend pas l’autre. Ils ont surgi du temps de la Covid, désabusés, sans espérance, à la recherche d’un sens à la vie. «Ils sont rendus une soixantaine maintenant, entre 19 et 29 ans, sans compter la centaine qui gravite autour du Salon des jeunes de Carlo en attendant son ouverture officielle quelque part fin 2025 et les 80 familles en catéchèse», précise le curé.

Cet ancien boxeur, instructeur de taekwondo, missionnaire de rue à Montréal puis en Équateur, aumônier des camionneurs du Québec et entraîneur privé pour des militaires des forces armées canadiennes choisit finalement de s’engager dans le combat le plus important de sa vie lorsqu’il devient prêtre en 2015 à l’âge de 60 ans.

Ténacité dans l’adversité

Des combats, il en a livré plus d’un, on s’en doute bien. Mais celui qu’il a le plus redouté, qu’il ne voulait même absolument pas mener, selon ses dires, c’est celui de l’abstinence sexuelle. «J’avais cinq ans quand j’ai su que je voulais être prêtre, mais à l’adolescence, j’ai été confronté, dans mon corps, à ce que ça pouvait représenter. Je me disais que je ne pourrais pas rester fidèle à ça, alors je me suis mis à défendre plein de bonnes causes tout en étant un athlète. Plus tard, j’ai viré délinquant. Moi qui avais jugé tous ceux qui ne se prenaient pas en main, je suis tombé, comme bien d’autres. J’ai appris que l’esclavage était pour tout le monde, même pour ceux qui se croyaient parfaits.»

À travers ses mille-et-une vies, l’appel à la prêtrise ne quitte pas Christian. Régulièrement, il tente d’être admis en théologie, mais on le refuse. Le Grand Séminaire de Montréal finit par l’accepter pour un cours de philosophie, en 1982. Son ordination arrivera 30 ans plus tard. On peut dire que l’ex-boxeur est tenace.

Des études qui l’ont mené vers la prêtrise, il garde le souvenir d’un «baume intellectuel» sur son vécu. Il s’explique ainsi: «J’avais vu les atrocités de la guerre au Pérou. C’était le tiers-monde concret, je peux le dire. Mais aujourd’hui, j’ai trouvé un autre tiers-monde au Québec. Un tiers-monde spirituel. Et Dieu se sert de mon passé pour combattre ce mal qui ronge les âmes des jeunes Québécois.»

«Si vous me dites que vous êtes croyant, mais non pratiquant, vous aurez autant de résultats que si vous croyez que s’entrainer et bien manger est bon, mais que vous ne le pratiquez pas.»

Combat spirituel

Christian pratique toujours la boxe. Dans son presbytère, ses appartements se résument aux quatre essentiels de la vie: chambre à coucher, cuisinette, coin de prière et gymnase. Cordes à danser, punching bag, ballon de vitesse, tout y est. L’homme est carré, massif. Sa main droite fait deux fois ma tête. Jeune camionneur, il transportait des quartiers de bœuf de 110 kilos sur son épaule, de son camion de livraison jusqu’à l’arrière-boutique du boucher, en passant par deux étages d’escaliers. Le soir, comme si ce n’était pas assez, il s’entrainait au gymnase.

Il n’hésite pas à dire que le sport lui a sauvé la vie. «Aujourd’hui, je m’entraine pour la santé. Ça fait partie de ma vie. Je suis boxeur dans l’âme. La prêtrise n’a rien changé à mon tempérament. Je pense à l’apôtre Paul, par exemple. Il avait tout un caractère! Quand le Christ lui est apparu et qu’il s’est converti, Dieu n’a pas changé son tempérament. Il est resté ce gars sanguin qui vire au quart de tour. Dieu l’a seulement aiguillé pour qu’il serve le Bien, le Beau et le Bon. C’est ce qu’il fait avec nous tous. Choisir, chaque matin, de faire le bien, c’est un beau combat de boxe spirituel. J’entraine des âmes à faire ce combat.»

Trois vertus développées au fil de sa pratique sportive transforment sa vie spirituelle: discipline, persévérance et humilité.

— Pourquoi l’humilité?

«Parce qu’il faut savoir perdre. Les jeunes ont de la difficulté à faire face à l’adversité. Il faut comprendre que, pour Dieu, l’échec n’existe pas. Il n’y a que la vie et la résurrection. Quand tu t’entraines, ce n’est pas pour perdre, c’est pour gagner. Mais le plus grand champion, c’est celui qui apprend à perdre pour être capable de se relever. C’est cette capacité qui fait de lui un véritable athlète. La vie spirituelle, c’est pareil. Il faut s’entrainer à vivre les épreuves avec Dieu. C’est ça qui nous relève.»

Christian expose les choses clairement et simplement. «À ceux qui viennent me voir, je dis à peu près ça: “Croyez-vous qu’en 2024, il soit bon pour la santé d’aller au gym trois fois par semaine et de manger de façon équilibrée? Eh bien, la vie spirituelle est pareille. Si vous me dites que vous êtes croyant, mais non pratiquant, vous aurez autant de résultats que si vous croyez que s’entrainer et bien manger est bon, mais que vous ne le pratiquez pas. Si je ne pratique pas, Dieu ne peut rien faire. Si je ne pratique pas, je n’obtiens aucun résultat. Mais si je fais le premier pas, si j’adopte une discipline, si je me déplace pour aller à la messe, pour lire la parole de Dieu, pour me mettre au service de mes frères et sœurs, alors j’aurai la grâce… et de beaux biceps et une belle taille fine. Savoir me nourrir, savoir me discipliner dans un entrainement régulier, voilà la sainteté. Si je reste chez moi, il ne se passera rien, même si je crois de toutes mes forces.”»

Initier les recrues

Quelques jeunes viennent s’entrainer au presbytère, mais vu le nombre, ils auront bientôt leur propre gymnase dans ce qui est deviendra le Salon des jeunes de Carlo. Il faut dire que c’est à cause de ce jeune Italien que tout a commencé ici en 2019. Le bienheureux Carlo Acutis est à l’origine d’une exposition sur les miracles eucharistiques qui fait le tour du Québec depuis quelques années. Après le passage de l’exposition à la paroisse Saint-Joseph de Chambly, des familles ont décidé que ça ne s’arrêterait pas là. Quatre ans plus tard, la boutique Carlo et le musée de Carlo Acutis ont pignon sur rue.

«Les jeunes proposent, et moi je dispose!» lance Christian en éclatant de rire. «Ils ont des idées brillantes. Par exemple, la “table de la paix”. C’est pour la réconciliation. Un jeune s’assoit devant un ami avec lequel il s’est brouillé. Tout ça se fait avec la Parole de Dieu. Ils se demandent pardon.»

Au Salon, tous les jeunes sont bienvenus, sans jugement, croyants ou non. On vient chiller, en toute simplicité. On y trouve des cours de cuisine, de l’aide aux études, une salle de cinéma et de spectacle. Une exposition sur tous les saints et les saintes du Québec est à venir, ainsi qu’une autre sur tous les saints du monde entier âgés de 13 à 15 ans. Tout ça pour montrer aux jeunes qu’ils peuvent s’entrainer eux aussi au combat spirituel.

***

Le nez à la fenêtre, j’observe sur les rives de la rivière Richelieu le fort tout éclaté de soleil. Au XVIIe siècle, dans sa petite chapelle, à l’époque où on l’appelait fort Saint-Louis, les jésuites y présidaient chaque matin les offices religieux. Maintenant, à l’extrémité sud, de l’autre côté du Bassin, c’est un boxeur qui célèbre l’eucharistie. Le temps file, les époques changent, mais les combats et les missionnaires demeurent.

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L’ennemi numéro un

— Tu te bats contre qui, Christian?

«Mon premier ennemi, c’est moi! J’en parle souvent dans mes homélies. Le combat, ça commence au réveil et ça finit le soir quand tu t’endors. Jésus nous dit d’aimer notre prochain. Il nous dit aussi d’aimer notre ennemi et même de prier pour lui. Il dit d’aimer comme lui aime. Ça fait qu’on se bat pour l’amour du Christ. Pour le règne de Dieu. Pas pour notre règne à nous autres!»

Il faut rentrer tête baissée dans l’arène de l’humilité. Le territoire à préserver est malmené, méconnu, méprisé même par les temps qui courent. L’âme a besoin d’entrainement physique. C’est ce que le curé raconte aux jeunes pèlerins qui viennent d’aussi loin que de Baie-Saint-Paul ou de l’Ontario. Au Québec, où l’on vit en paix, il n’y a pas d’orphelins de la guerre. Il n’y a que des orphelins de Dieu.

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Brigitte Bédard
Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.