
Changer des vies: l'étrange pouvoir du récit
Les chemins qui mènent à la foi sont multiples. Certains chrétiens sont tombés dans la marmite d’eau bénite lorsqu’ils étaient bébés et n’en sont jamais ressortis. D’autres ont rejoint Dieu un peu plus loin sur leur chemin ou l’ont retrouvé après l’avoir perdu de vue pendant des années. Que ce soit dans un cours de philo, un moment sombre de leur vie, à travers un témoignage ou, comme dans le cas de Doan Hoa Ho, d’Honoré et de Djamel Guesmi, par le biais de récits transformants. Récits de conversion par le récit.
HOA: DE DIEU À ENFANT DE DIEU
C’est un samedi soir d’avril 2015 que Doan Hoa Ho a décidé de donner sa vie à Dieu. Pas n’importe quel samedi soir: on est le 4 avril 2015, c’est Samedi saint.
Après une longue journée de travail et un souper festif chez ses beaux-parents, le cardiologue rentre chez lui, épuisé. Les enfants couchés, sa femme à l’étage, il peut enfin savourer un moment de détente dans le confortable divan du salon.
Hoa allume la télévision et tombe sur la fin du film La plus belle histoire jamais contée, qui relate la vie du Christ. Les scènes de crucifixion, il les a déjà vues, plus jeune, lorsqu’il regardait des films sur Jésus avec son père. Non pas parce qu’Hoa a grandi dans une famille chrétienne – ses parents, originaires du Vietnam, sont bouddhistes –, mais parce que, dans le temps de Pâques, c’est ce qui passe à la télé.
«J’avais toujours trouvé cette histoire de crucifixion tirée par les cheveux», affirme le quarantenaire, qui trouve invraisemblable qu’un humain soit le fils de Dieu et réalise des miracles. Alors qu’il est sur le point de changer de chaine, Hoa décide de regarder une dernière fois ces scènes pour tenter d’y comprendre quelque chose, une bonne fois pour toutes.
À l’époque, le cardiologue est persuadé de détenir le bonheur: carrière florissante, prix de reconnaissance, épouse, enfants, maison, voiture, argent, santé, loisirs, bon statut social. Pourtant, il sent qu’il n’est pas totalement comblé et s’en inquiète: et s’il n’avait pas trouvé le véritable bonheur?
La meilleure leçon de vie
Hoa ne s’attend pas, ce soir-là, à comprendre cette histoire qui l’a toujours intrigué. Comme s’il les voyait pour la première fois, les images qui défilent devant lui le bouleversent. Elles le dérangent. Intérieurement. Intensément.
Pourquoi ces gens veulent-ils tasser cet homme qui dit être le fils de Dieu? Cette question tourne en boucle dans l’esprit de l’homme pendant qu’il visionne le film, jusqu’à ce qu’il s’arrête net dans sa réflexion. Et si c’était parce qu’ils ne voulaient pas se faire dire quoi faire?
«Pour moi, j’avais toujours raison, j’avais la vérité absolue, j’étais la meilleure personne sur Terre; en fait, j’étais pas mal mon propre Dieu», admet Hoa, qui comprend alors qu’il aurait été dérangé de se faire dicter comment agir. «Moi aussi, j’aurais souhaité tasser cet homme alors qu’il n’avait rien fait de mal», reconnait-il.
Puis, une parole de Jésus le fait fondre en larmes – encore aujourd’hui d’ailleurs: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font», cite Hoa ému. «Quand il dit ça, on dirait que je suis à côté de lui, dans la scène; c’est irréel, j’ai l’impression qu’il me parle!» s’écrie-t-il ahuri. «Je souhaitais sa mort et il m’a pardonné, c’est un geste d’amour inhumain!»
Pour Hoa, cette parole est la preuve que Jésus a bel et bien existé. «Ça m’a convaincu que ce film ne pouvait pas avoir été inventé par un humain, car c’est inhumain de pardonner ainsi, Dieu lui seul peut faire ça. Il a lui-même prononcé ces mots il y a très longtemps et ils ont été portés au cinéma pour être incarnés», finit-il par dire.
Ce soir-là, le père de famille reçoit «la meilleure leçon de sa vie»: «Dieu nous laisse libres de vivre la vie que l’on souhaite même si ce n’est pas la vie qu’il désire pour nous et qui nous rendra réellement heureux, mais si nous revenons à lui, il nous accueillera les bras grands ouverts.»
Illustration: Marie Laliberté/Le Verbe
HONORÉ: D'ATHÉE UTILITARISTE À FIER CATHOLIQUE
Honoré a 16 ans lorsqu’il commence à se questionner sur l’existence de Dieu. À l’époque, il répond bien au cliché «de l’étudiant en sciences naturelles qui méprise les sciences sociales et trouve la philosophie inutile», dit-il en souriant.
Né dans une famille québécoise athée, il perçoit l’Église comme étant antiscience et arriérée, une opinion qui change à force de découvrir dans ses cours des scientifiques chrétiens tels que Newton, Mendel et l’abbé Lemaître.
Progressivement, Honoré en vient à penser que quelqu’un coordonne les choses et régit le monde. C’est le décès de sa grand-mère très croyante et dont il est proche qui l’amène ensuite à se poser des questions sur le sens de la vie.
C’est à ce moment-là que Dostoïevski entre dans la vie d’Honoré, alors âgé de 19 ans et étudiant à l’université. L’un de ses bons amis récemment converti lui parle de la foi et, voyant qu’il cherche des réponses, lui propose de lire Les frères Karamazov de Dostoïevski.
«Je n’étais pas un grand lecteur, mais la pandémie est arrivée et a libéré beaucoup de mon temps, que j’ai consacré à lire», explique Honoré, qui trouve cette première lecture de l’écrivain russe ardue, mais révélatrice.
Ex-socialiste athée, Dostoïevski s’est converti au christianisme au cours de sa vie et «explique dans ses livres le processus par lequel il est passé pour en venir à se convertir», ce qui résonne chez le jeune homme, qui trouve des réponses sur l’existence de Dieu dans ce livre.
«Ce que j’ai tout de suite aimé chez Dostoïevski, c’est qu’il n’est pas caricatural, il ne parle pas du bon et gentil chrétien et du vilain et stupide athée, il n’est pas tranché comme ça», partage Honoré avant d’ajouter: «Il fait même preuve de compassion et d’amour envers les personnages qui vont contre lui et arrive à justifier les points de vue des personnages mauvais autant que ceux des personnages qui vont dans le même sens que ses idées.»
À la recherche de la vérité
«J’ai ensuite lu Crime et châtiment, qui m’a vraiment parlé: je me reconnaissais beaucoup dans le personnage principal de Raskolnikov, qui est un utilitariste», raconte Honoré qui, à travers ce dernier, vient à se demander pourquoi un athée devrait être moral, puisqu’il ne croit en rien.
«C’est là que j’ai compris qu’on avait tous un code moral qui ne dépend pas de nous. Quand on y pense, à peu près toutes les sociétés humaines pensent qu’il est mal de voler, de tuer, de mentir, mais pourquoi? » demande Honoré.
Sans qu’il ait eu une révélation, ces deux lectures de Dostoïevski – jointes à son étude de la Bible – guident Honoré dans sa quête de sens, vers Dieu et plus tard à l’église, où il trouve une communauté à l’écoute de ses questions.
Illustration: Marie Laliberté/Le Verbe
En avril 2022, il demande le baptême, «un choix libre et conscient», aime préciser le jeune homme pragmatique. Pour lui, le christianisme est «l’histoire d’une philosophie et d’une science logiques et d’une recherche de vérité absolue» qu’il n’a trouvées dans aucune autre religion.
Avec le temps et la prière, la vision rationnelle de Dieu qu’a Honoré s’est transformée en une religion incarnée et lui fait dire aujourd’hui: «J’ai rencontré Dieu personnellement, ce n’est plus qu’un simple régisseur comme je l’imaginais autrefois, c’est devenu une personne. C’est mon père, c’est une figure d’autorité bonne qui n’impose pas des règles pour imposer des règles, mais pour mon bien. C’est une personne qui me donne un code moral, qui m’inspire, qui m’amène à faire le bien.»
DJAMEL: DE PAUVRETÉ IMPOSÉE À DÉSIRÉE
On ne se doute pas que Djamel Guesmi, en santé et bien habillé, a autrefois connu la pauvreté, la faim, la violence, pire, l’indifférence des gens. Fils d’immigrants algériens peu nantis, affecté d’un bégaiement accentué qui l’expose à des commentaires désobligeants dès le primaire, Djamel connait un début de vie difficile.
«Mon bégaiement me rendait analphabète et m’empêchait de construire des phrases et de communiquer avec les gens», explique l’homme de 66 ans. «On ne peut pas s’exprimer quand on bégaie, on est en prison, c’est très frustrant», ajoute celui qui s’attire malgré lui des ennuis avec la police et se fait étiqueter comme voyou.
À 16 ans, il quitte Vienne, sa commune natale située dans le sud de la France, pour aller se construire une nouvelle vie à Paris. Les sept premières années sont un cauchemar. Sans un sou, Djamel vit l’itinérance et fréquente des gens qui lui apportent plus de mal que de bien: bandits, alcooliques, drogués, prostitués. Le jeune adulte réussit miraculeusement à ne pas tomber dans la criminalité.
«Ce qui m’attendait, c’était ou la mort, ou la folie, ou la prison, mais cette lueur que je n’appelais pas Dieu, mais qui me guidait inconsciemment depuis toujours, m’a préservé», confie le soixantenaire qui, dans les pires moments de sa vie, s’est accroché à cette présence intérieure pour s’en sortir.
Aujourd’hui, Djamel sait que cette présence, c’était Dieu qui veillait sur lui depuis le début.
Une parole déliée pour proclamer
S’il doit sa survie à Dieu, Djamel Guesmi la doit également à un certain Jean-Laurent Cochet. En 1983, après sept ans d’itinérance, le jeune homme alors âgé de 24 ans prend son courage à deux mains et va cogner à la porte du célèbre metteur en scène qu’il admire grandement, pour lui demander de lui apprendre le théâtre.
Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre étant donné son trouble du langage, Djamel a le désir de faire un métier public qui implique de parler devant des foules. Hasard? Providence? Il pense surtout que ce n’est pas en vain que Dieu l’a guéri et lui a redonné la parole.
«Ça a été un long travail de respiration et de diction qui a duré six ans. À 30 ans, je ne bégayais plus du tout en public», déclare Djamel, qui découvre, grâce à Cochet, la pièce de théâtre Le petit pauvre du metteur en scène Jacques Copeau.
«Elle a changé ma vie. J’ai découvert une figure emblématique du christianisme», dit Djamel en faisant référence à saint François d’Assise, en qui il se reconnait très vite. «Rien ne m’était étranger dans la pauvreté qu’il décrit, puisque je l’avais expérimentée. Contrairement à lui qui était riche, Dame pauvreté s’est imposée à moi, mais je me suis reconnu dans son dépouillement intérieur et spirituel», explique-t-il. Pour la première fois de sa vie, Djamel voit la pauvreté comme une vertu et non un défaut.
«Ce qui m’a le plus touché dans cette pièce, c’est l’intimité entre le Christ et François; j’ai découvert un Dieu accessible. J’avais toujours trouvé la croix du Christ très austère, je ne la comprenais pas, mais cette lecture m’a permis enfin de mettre des mots sur une expérience que j’avais, en fait, moi-même vécue», confie-t-il.
Dans le but de servir cette œuvre, Djamel se lance le défi d’adapter la pièce de Copeau. Il quitte le théâtre de Cochet, crée sa propre compagnie d’abord appelée Le petit pauvre puis Les Tréteaux du Monde et, après deux ans de rédaction, donne une première représentation de la pièce Le petit pauvre.
Pendant 35 ans, Djamel Guesmi et sa troupe itinérante font le tour de l’Europe pour faire connaitre l’histoire de saint François d’Assise. «J’aurais pu avoir une vie plus tranquille et confortable que celle que j’ai aujourd’hui, mais j’ai volontairement gardé une certaine forme de dépouillement.» Il demande le baptême catholique à 38 ans et, comme saint François d’Assise, souhaite trouver la joie dans les choses simples de la vie.




