Voter avec son dollar

Avant janvier, il se passait rarement une semaine sans qu’un livreur d’Amazon dépose à notre porte un essentiel du quotidien: des bas pour la petite, des barres tendres pour le mari, des contenants pour mes lunchs. C’en était presque gênant. Pourtant, je connaissais bien les méfaits de cette multinationale, tant sur le plan humain que du point de vue environnemental. La cadence imposée aux employés les oblige parfois à uriner dans des bouteilles. En 2019, un journaliste révélait que l’entreprise détruisait chaque année trois-millions de produits neufs, et ce, en France seulement.

Je n’ai donc pas fait grand bruit de mon boycottage. J’aurais dû m’y mettre il y a belle lurette.

Péché systémique

J’ai toujours de bonnes excuses pour justifier mes mauvais choix: manque de temps, d’argent, d’informations. Pourtant, au fond, je sais que mes bonnes intentions ne m’empêchent pas de profiter d’un modèle économique délétère. Saint Jean-Paul II parlait de «structures de péché» pour désigner ces systèmes d’exploitation créés par nos choix individuels répétés. Aussi, acheter sur Amazon, c’est, même involontairement, collaborer à un système où la rentabilité prime la dignité humaine.

Cela dit, pourrait-il en être autrement au sein du capitalisme? Est-ce vraiment mieux d’acheter chez Rossy que chez Walmart?

Un levier de changement

J’adhère à l’idée selon laquelle «acheter, c’est voter». L’histoire nous montre comment certains mouvements de boycottage conduisent à des avancées sociales majeures. Dès 1790, les mouvements antiesclavagistes britanniques promeuvent un boycottage du sucre pour soutenir les résistances dans les Antilles. Au XXe siècle, l’Inde obtient son indépendance en partie grâce à un boycottage des produits anglais. L’Afrique du Sud, de son côté, a fait l’objet de pressions internationales intenses en raison de son refus de mettre fin à l’apartheid. On pourrait argumenter que le boycottage n’est qu’une stratégie parmi d’autres dont il est difficile de mesurer l’impact réel. Certes. Mais boycotter, ce n’est pas seulement éviter un produit: c’est d’abord et avant tout chercher à envoyer un message.

Ce qui souille

Si seulement je pouvais me racheter grâce à mes achats locaux et bioéquitables! Mais ce qui se trouve dans mon panier d’épicerie ne fait pas de moi une meilleure personne. Jésus lui-même met en garde contre une obsession des pratiques extérieures. À ceux qui critiquent ses disciples qui ne respectent pas les règles de purification alimentaire, il répond: «Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur» (Mt 15,11). La véritable souillure ne viendrait donc pas de l’extérieur, mais de ce qui émane de mes paroles et de mes actes. Non pas de ce que je consomme, mais de ce que je cautionne.

Boycotter est un geste qui peut compter. Mais veillons à ce qu’il exprime un choix pour la justice plutôt qu’un repli sur soi et le rejet des autres.

Valérie Laflamme-Caron
Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.