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Sexe et genre: les sages seront confondus

Le 30 mai dernier, le Comité de sages formé par le gouvernement du Québec a rendu son rapport sur l’identité du genre. Depuis, les critiques fusent, tant chez les militants LGBTQIA+ que chez leurs opposants: à ne vouloir déplaire à personne, le rapport déçoit tout le monde. Il y a confusion quant aux attentes, semble-t-il. Peut-être parce qu’on ne sait plus ce qu’est la sagesse? Petit détour par la philosophie pour y voir plus clair.

Lorsque le gouvernement annonce la formation de ce comité en 2023, je suis heureuse d’apprendre qu’il confie cette réflexion non pas à des spécialistes, mais à des sages. N’est-il pas rare, aujourd’hui, de préférer la sagesse à la science?

Pourquoi? Parce qu’un comité de scientifiques aurait pu mener à une pétition de principe. Le rapport lui-même le remarque: distinguer le scientifique du non scientifique dans l’identité de genre fait débat en soi. Il s’agit d’ailleurs d’un problème récurrent en science: qui est juge? Si c’est le scientifique lui-même, à quel titre juge-t-il?

La posture du scientifique réfléchissant à sa propre discipline est complexe. C’est un exercice qui demande un regard plus général, plus «fondamental». On n’use pas, par exemple, de la science expérimentale pour réfléchir à la science expérimentale. D’où l’idée, dans l’histoire de la connaissance, d’une sagesse distincte de la science elle-même.

Par ailleurs, la force du scientifique peut devenir sa faiblesse: sa spécialisation le rend très compétent dans un domaine, mais souvent incapable d’un regard général et plus complet. Le sage prétend au contraire à une vision plus large. Les Grecs le représentaient d’ailleurs comme une chouette, cet oiseau à la vision panoramique.

Remonter aux principes

Mais qu’est-ce qui caractérise le sage? Aristote, en partant d’impressions générales, dégage plusieurs caractéristiques: posséder des connaissances difficiles à acquérir, être apte à les enseigner et être en mesure de diriger d’autres disciplines.

Par exemple, on considère que le médecin est plus sage que l’infirmière ou l’architecte plus que l’ouvrier. Car les premiers expliquent, remontent aux causes et dirigent les seconds. On répute également leur savoir plus difficile à obtenir.

Ce tour d’horizon conduit Aristote à conclure que la sagesse concerne les causes les plus fondamentales et les plus universelles.

Et cette connaissance des principes et des causes, c’est ce qu’on attend d’un comité de sages. Or, dans le cas de l’identité de genre, le comité ne fait que feindre la sagesse. Il prétend à un regard général sur la situation, mais se trouve incapable d’enseigner et d’expliquer. Le rapport concède même sa propre ignorance sur les causes et les solutions au débat sur le genre.

Certes, Socrate lui-même, qu’on déclarait le plus sage d’Athènes, reconnaissait son ignorance. Mais il ne prêchait pas un scepticisme absolu, il reconnaissait plutôt la difficulté de la connaissance parfaite et complète. Il combattait la tendance humaine à prétendre savoir plus que ce qu’on sait réellement.

L’approche du rapport est faussement socratique. Si ces sages l’étaient réellement, ils auraient dû mettre l’accent sur l’essentiel, sur les principes plutôt que multiplier les angles et les enjeux sans jamais trancher.

Une question de définition

Dans le cas de l’identité de genre, quels sont donc les principes à examiner? Socrate répondrait: les définitions. Alors qu’entend-on par le mot «genre», objet principal de la recherche ici?

Le rapport stipule d’abord la différence nette entre «sexe» et «genre». Il définit le premier par des attributs biologiques, les chromosomes entre autres, et le second ainsi: «ce qui renvoie aux rôles, aux comportements, aux expressions et aux identités que la société construit pour les hommes, les femmes, les filles et les garçons».

Est-ce à dire que du moment que j’exerce un rôle plus «féminin», comme prendre soin des enfants, je reçois une identité de genre féminine? Il semble que non, puisque tout dépend, poursuit le rapport, de mon ressenti et de mon autodétermination. Ainsi comprend-on que le rôle même que déterminerait la société n’influence pas nécessairement le ressenti de genre d’un individu. Sur quoi repose donc ce ressenti? Mystère.

Un rapport de gestionnaires

Tout au long du rapport, la confusion entre «sexe» et «genre», notamment pour les papiers d’identité des citoyens, refait surface. Et ce n’est pas surprenant, car tant que le genre ne recevra pas une définition objective et claire, cette notion tendra à supplanter celle du sexe. Et ainsi, une personne se proclamant de «genre» féminin réclamera les mêmes avantages qu’une personne de «sexe» féminin. On le voit dans le sport. Et cela explique encore l’indignation de certaines militantes LGBTQIA+ devant la tentative du rapport de distinguer «sexe» et «genre». Une femme trans, clament-elles, est une femme – comme moi, par exemple –⁠, avec comme caractéristique en plus d’être trans. Une caractéristique secondaire, semblent-elles argumenter, comme la couleur des cheveux ou la grandeur.

Le rapport du Comité de sages devait clarifier la situation, mais il ne fait que gérer les discordes, comme un moniteur de camp de vacances qui veut réconcilier les chicanes et les intérêts de tous les jeunes à sa charge. Il promeut un «vivre ensemble» provisoire et se contente de mettre un pansement sur un problème qui fera de nouveau surface, encore et encore, tant qu’on ne remontera pas aux causes fondamentales du débat.

En somme, on a eu droit à un rapport de «gestionnaires» plutôt que de «sages».

Laurence Godin-Tremblay
Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.