Self-Help

Le mot composé veut littéralement dire «auto-aide». Il se traduit généralement par «développement personnel». On aurait pu inventer le «self-secours», puisque nous admettons déjà le «self-service». Mais ce qui fonctionne en anglo-américain ne marche pas bien en français. Je dis anglo-américain, non anglais, car le Britannique, qui fredonne avec les Beatles, doit avoir beaucoup de mal à chanter: «Self-help! I need nobody…»

De fait, lorsque quelqu’un s’écrie: «À l’aide!» et même «À moi!», c’est que son moi ne se suffit pas à lui-même. Il en appelle à un autre. Parfois même, en face du train qui lui fonce dessus, dans une spontanéité touchante, cet autre remonte des profondeurs d’une enfance qu’on croyait avoir dépassée, et l’on hurle soudain: «Maman!» Comment m’aider moi-même si je suis à ce point en détresse? N’est-ce pas vouloir me sortir des sables mouvants en me tirant par les cheveux?

Je dois pourtant reconnaitre que, dans la langue de Molière et de Gaston Miron, nous usons d’un verbe pronominal qui se rapporte au self-helping: se servir… «Help yourself» se traduit assez précisément par «Servez-vous». C’est ce que commande la plaque sur les présentoirs garnis de prospectus, ce à quoi l’ancien dans l’entreprise invite le petit nouveau quand il le conduit devant le distributeur automatique de boissons chaudes: «We have a coffee machine, help yourself whenever you like

De là mon soupçon: le self-help n’est jamais que la forme prise par la psychothérapie – et toute sorte de secours – dans une société de consommation. Le «développement personnel» se développe en raison du développement technologique. Je crois n’avoir plus besoin d’autrui, parce que je dépends désormais d’un réseau de distribution. Pour avoir des légumes, je ne vais pas chez le maraicher, mais à l’épicerie, où je n’entretiens de rapport intime qu’avec la caisse enregistreuse. Je ne demande plus à un maitre, je clique sur le bouton de tel site pédagogique…

Certes, les dictionnaires de psychologie distinguent le self-help du professional help: on n’y est pas forcément seul, on se retrouve en groupe pour discuter ensemble et se donner cette consolante amitié que, par définition, le professionnalisme exclut. Mais une telle amitié pâtit d’une évidente instrumentalisation. On se sert parmi les visages de ses frères comme parmi les rayonnages du supermarché.

Il y a toutefois ce vieux proverbe, forgé bien avant l’avènement du consumérisme: Aide-toi et le ciel t’aidera! Il sonne comme un écho d’un petit livre, le Pirkei Avot, dans lequel le Juif peut lire chaque après-midi de shabbat: «Si je ne suis pas pour moi, qui le sera?» Toutefois, il ajoute aussitôt: «Si je ne suis que pour moi, que suis-je?» Il reconnait non seulement la possibilité, mais la nécessité de s’aider soi-même – ma responsabilité, donc –, tout en affirmant l’obligation d’aider les autres, sous peine de n’être rien.

La possibilité de s’aider soi-même implique en elle-même deux aveux. Le premier, c’est qu’il y a en moi un écart, une distinction entre moi qui aide et moi qui suis en détresse, ou, si l’on préfère, du jeu entre mon «Je» et mon âme. Certaines tournures des psaumes le soulignent. Ce sont les bouleversantes adresses de la solitude: «Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi?» (Ps 41,6).

Mais cet intervalle entre moi et mon âme est aussi celui où peut se tenir le «Maitre intérieur». Dieu habite en moi, comme source et ressource permanente, si bien que le self-help, si on le prend au sérieux, m’invite à descendre dans mon cœur pour y découvrir celui qui est «plus intime à moi que moi-même».

Fabrice Hadjadj
Fabrice Hadjadj

Fabrice Hadjadj est philosophe et dramaturge. Il dirige l’Institut Philanthropos, à Fribourg, en Suisse.