
Plus qu’un simple chauffe-eau de piscine
Saint-Michel-de-Bellechasse, jour de vacances. Il fait soleil, mais pas très chaud — 24 degrés au thermomètre, pour ceux qui ont besoin d’un chiffre.
Après une lutte acharnée pour mettre mes trois enfants en maillot, je les amène se baigner à la piscine du «Club des 22», le regroupement de chalets dont fait partie ma belle-mère.
Mon fils et ma fille sautent immédiatement dans l’eau. Mon bébé de 15 mois, impatient d’y être aussi, crie comme un Nazgûl en pointant la piscine. Visiblement, c’est mon tour.
J’entre en serrant les dents: 70 degrés Fahrenheit, on a vu mieux! Après 15 minutes, mes enfants, les lèvres bleues, me demandent de sortir.
Un nouveau débat
Chaque été, c’est comme ça à la piscine du «Club des 22». Depuis plus de 60 ans. Que voulez-vous, une piscine sur le bord du fleuve Saint-Laurent, c’est pas fait pour être chaud!
Sauf que c’est peut-être sur le point de changer. L’un des nouveaux propriétaires a demandé au club d’installer un chauffe-eau. «Mes enfants ne se baignent pas en bas de 85», qu’il a dit.
Des dames en parlaient récemment au bord de ladite piscine. «Avant, je me baignais tout le temps, parfois jusqu’à cinq fois, les journées chaudes! Mais, depuis que j’ai l’air climatisé, eh bien, c’est sûr que je trouve la piscine pas mal froide. Un chauffe-eau ne ferait pas de tort.»
Je médite en moi-même ce débat de haute importance. Et moi? Pour ou contre le chauffe-eau?
Le confort a-t-il une limite?
Je me laisse parfois tenter par l’idée du chauffe-eau. J’en ai marre d’entendre les lamentations de mes enfants et de voir mon bébé greloter après 15 minutes de baignade.
Mais, d’autres fois, je me demande: «Où s’arrête la recherche de confort?» Et j’envie la vie plus simple de nos ainés. Encore dernièrement, une femme me racontait: «Quand j’étais enfant, on se baignait pareil! On était habitué et on aimait tellement jouer dans ce temps-là. Il y avait des enfants partout.»
C’était mieux avant, que je me dis alors en moi-même. Mais avant jusqu’à où? Quelle époque? Et me vient alors en tête ce passage d’Aristote, dans lequel il écrit que maintenant que les Grecs possèdent tous les arts nécessaires pour l’utilité et le confort, ils peuvent se consacrer à l’essentiel: la contemplation du cosmos et de ses causes.
Une remarque fascinante, surtout quand on se rappelle qu’Aristote a vécu il y a plus de deux-mille ans. Sans électricité, sans automobile, sans téléphone… pas même un chauffe-eau de piscine!
Pour apprécier le froid artificiel, il nous faut la chaleur artificielle!
La liberté de l’inconfort
Ça ne vous frappe pas, le paradoxe? On veut ne plus souffrir de la chaleur chez soi, donc on installe la climatisation. Maintenant que la maison est fraiche, on trouve que la piscine n’est plus assez chaude, par ici le chauffe-eau. Pour apprécier le froid artificiel, il nous faut la chaleur artificielle!
C’est un cercle vicieux. On croyait se libérer en rendant sa vie plus confortable, mais, finalement, les désirs croissent avec leur satisfaction. C’est comme l’Hydre de Lerne, ce monstre de la mythologie grecque auquel repoussent plus de têtes encore si l’on en coupe une.
Pourquoi alors ne pas choisir l’inconfort de la piscine fraiche? Après tout, c’est populaire, les «cold plunge». Les influenceurs en raffolent. Tout comme le dépassement de soi, d’ailleurs. Prenez Jay Du Temple, par exemple, il ne jure plus que par les ironman et autres défis sportifs.
Sauf que les «cold plunge», c’est contrôlé. Même chose du côté des défis sportifs pour lesquels on s’inscrit et on reçoit un petit dossard. C’est voulu.
La piscine de Saint-Michel, elle, non. Elle sort de mon contrôle. Comme mes enfants qui s’y égosillent…
L’inconfort du quotidien, c’est lui qu’on fuit. Celui qu’on ne contrôle pas. Et si c’était lui, pourtant, qui au bout du compte rendait plus fort et plus libre? Plutôt que les «cold plunge» et autres défis sportifs à la mode?
Parce qu’accepter avec joie sa vie, sans tout vouloir contrôler, ce n’est pas le summum du confort, certes. Mais c’est peut-être la seule façon de se concentrer sur l’essentiel. Au risque, sans cela, de multiplier sans fin les besoins.
Finalement, je pense que je suis contre le chauffe-eau.