
Par les temps qui courent
Novembre, mois des morts. Cool.
Vieillissant un petit peu plus chaque jour que Dieu fait, je m’approche de mon jour. Alors pour oublier, je cours. À l’épicerie, à la maison, au travail. Comme vous, je cours. Et récemment, pour ralentir le rythme un peu, j’ai décidé de me mettre à la course.
Vêtu de mon gros chandail en coton ouaté vert, je me suis lancé sur les trottoirs du quartier.
Il semble désormais admis que nous ayons atteint une sorte de moment charnière de l’époque contemporaine. Fin de cycle ou début de décadence? Le vocabulaire varie, mais l’idée reste la même. Quelles que soit les allégeances politiques, tous reconnaissent les mêmes symptômes du déclin, notons l’effritement de la démocratie, l’essoufflement des institutions, le point de non-retour écologique, l’appauvrissement de la classe moyenne.
On dirait qu’on a les années 20 moins folles que la dernière fois.
En tout cas, pour moi maintenant, la fin de cycle ça sonne surtout comme ça: tou-ti-du, tou-ti-du… (Imaginez la suite, faite de mélodie abrutissante émise par une laveuse sud-coréenne.) Il faut descendre au sous-sol, transférer mon chandail vert dans la sécheuse.
Chérie, c’est OK si j’ai ajouté quelques petits pyjamas de bébé pour compléter la brassée? Au fait, les pyjamas vont-ils à la sécheuse? Ah! Ils n’allaient pas à la sécheuse.
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Un Canadien a battu ce printemps le record Guinness de course… avec poussette.
Brendan Neely a poussé son fils de 17 mois sur un kilomètre en moins de trois minutes. L’enfant se faisait donc sécher les dents à plus de 21 km/h, les mains cramponnées sur les bords du bolide. #Respect.
Mais on ne devient pas Brendan Neely du jour au lendemain.
En ce qui me concerne, malgré une apparence relativement svelte, il m’a d’abord fallu assumer cette nouveauté du corps en perte de tonus: la peau du cou, les poignées d’amour, le petit gras des jarrets qui sautillent, qui virevoltent et qui rebondissent chaque fois que mes espadrilles touchent le bitume.
Le coton ouaté bien ample sert un peu, aussi, à cacher mes lipides dansants.
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Comme un Sisyphe derrière son rocher ou un Brendan derrière sa poussette, je cours toujours. Pourquoi? Dur à dire. Peur du vide, peur de m’arrêter pour méditer sur ma finitude, peur de perdre le contrôle sur le moindre aspect de mon existence?
En toute transparence, la fin de cycle qui m’inquiète le plus, c’est la fin de mon cycle, mon déclin. Si la vie n’est qu’une course vers les sommets terrestres, mon entrée dans la quarantaine symbolise à la fois le vertige du faîte et l’angoisse de la descente face au second versant qui m’attend.
Cette année 2025 qui s’achève a été placée sous le signe de l’espérance par le défunt pape François. Ça ne va pas de soi, par les temps qui courent, l’espérance. Aujourd’hui, je puise la mienne dans ce morceau d’une épitre de Paul: «Tous ceux qui, par peur de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves, le Christ les a libérés.» (He 2,15)




