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Ma cabane au Canada

1963. Nouveaux mariés, Jean et Thérèse se portent acquéreurs d’une maison flambant neuve, dans les hauteurs de Charlesbourg. Vraiment, rien de spécial. Quatre murs en brique et un toit sur le coin de la rue. À quelques pas de l’église et de l’école du quartier, la maison répond aux besoins du couple et des trois enfants qu’il accueillera, sans plus.

Pendant 60 ans, Jean et Thérèse dorloteront la petite bicoque. Le bac à sable sur le côté de la maison finit par se transformer en potager. Les jardinières suspendues autour de l’abri d’auto, les petits conifères taillés au ciseau à moustaches et la palissade immaculée donnent à l’ensemble un air de caricature qui s’ignore.

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Comble de la banalité pour une génération qui avait encore le loisir de se rebeller, la vie de banlieue à l’emporte-pièce représente aujourd’hui un idéal en voie de disparition. Le plain-pied est le nouveau palais; le panneau préfini, le nouveau marbre; la chaufferette au mazout, le nouveau feu de cheminée.

Pas étonnant qu’on ne trouve plus rien d’autre que du mid-century chez Meubles RD et des mèmes de tradwife sur les réseaux, alors qu’on se bat à coup de sacoche pour la moindre cabane au Canada. Mais que s’est-il donc passé pour que le plancher économique d’une génération soit ainsi devenu l’inaccessible deuxième étage d’une autre?

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Jean, mon prédécesseur dans l’habitat, était un patenteux. Ça se voit. Il ne se passe pas une journée sans que je fasse le constat intimidant, dans ma maison, de sa sagesse pratique. J’ai souvent l’étrange impression de le connaitre et régulièrement le sentiment de saccager son ouvrage.

Je l’imagine mener une vie plus simple et meilleure que la mienne. Lui, il ne passait pas ses journées à s’enfarger dans les câbles d’alimentation sur le chemin vers la toilette, les yeux scotchés sur un ordinateur de poche à une échappée de polluer vainement la planète pour les siècles des siècles.

Réelle ou fictive, complète ou partielle, l’idée que je me fais de Jean me met devant une évidence: je n’ai aucune idée de ce que je fais. Nul doute, l’expérience se fait d’âge en âge. Mais j’ai le sentiment que, derrière cette crise de la propriété que nous vivons aujourd’hui, se cache également une crise de la transmission.

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Derrière l’envie de répondre «OK, boumeur» à tous ceux qui l’emmerdent se cache dans l’esprit du zoumeur une envie dévorante d’avoir la clé. Celle de la maison, oui, mais aussi celle des savoirs non transmis, des questions existentielles, trop importantes pour être plus longtemps mises de côté.

Avec toutes ses misères, la génération montante est nostalgique d’un futur dont elle a été privée par ceux qui l’avaient rêvé. Alors que les immeubles d’habitation de style soviétique poussent comme des champignons vénéneux sur les terrains convoités d’anciens couvents au centre-ville, elle cherche la réunion des conditions propices à la formation et à la croissance d’une famille.

Et alors qu’on se tire la couette dans les rues de Charlesbourg pour le dernier pavillon en brique jaune où donner la vie, on se bouscule dans les églises pour la recevoir nouvelle dans le sacrement du baptême, qu’un nombre record d’adultes demandait au Québec il y a quelques semaines, à Pâques. C’est l’heureuse faute de l’époque: on n’a de vrai désir que pour ce qui n’a pas été transmis.

Benjamin Boivin
Benjamin Boivin

Diplômé en science politique, en relations internationales et en droit international, Benjamin Boivin se passionne pour les enjeux de société au carrefour de la politique et de la religion. Toujours prêt à débattre des grandes questions de notre époque, il assume le rôle de chef de pupitre pour les magazines imprimés au Verbe médias.