
L'humanisme poli de Ferrandez
Devant le traitement scandaleux et injuste qu’a subi une jeune femme aux prises avec une déficience intellectuelle, Luc Ferrandez et Nathalie Normandeau ont proposé d’élargir l’euthanasie à ce genre de «cas». De nombreux groupes et différents médias d’horizons divers – tant à gauche qu’à droite – se sont levés, avec raison, pour dénoncer de tels propos. Revenons aux racines du problème pour mieux en comprendre l’enjeu.
Le Québec, on le sait, s’érige en champion mondial de l’euthanasie. Le recours à cette pratique augmente chaque année et les critères pour y accéder s’élargissent constamment. Ainsi peut-on, depuis le 30 octobre 2024, demander l’aide médicale par anticipation en cas de diagnostic d’Alzheimer, par exemple.
Luc Ferrandez poursuit, me semble-t-il, dans la même logique. Si on accorde l’aide médicale à mourir à ceux qui ne possèdent plus la capacité à consentir, pourquoi ne pas l’offrir à ceux qui ne l’ont jamais vraiment eue? On pense ici bien sûr aux cas lourds de déficience intellectuelle.
Ferrandez, humaniste autoproclamé, invente un nouveau langage pour étayer son idée : «la libération». Il ne s’agirait pas d’euthanasier les personnes atteintes d’une déficience intellectuelle, mais plutôt de les «libérer». Il propose ainsi de les «traiter avec une médication qui pourrait amener au décès, à la longue». «Quelque chose de doux», ajoute-t-il, comme pour rassurer. Il ne s’agirait plus alors d’aide médicale à mourir, mais de soins palliatifs!
Les origines d’une dérive
Cette prise de parole publique de Ferrandez, à dénoncer évidemment, comporte le mérite de mettre en lumière les dérives de l’aide médicale à mourir telle que comprise aujourd’hui.
Plusieurs s’indignent des euphémismes de l’animateur radio, masquant le projet réel: l’homicide des plus vulnérables. Sauf que l’expression «aide médicale à mourir» prépare depuis longtemps le terrain à cette novlangue. C’est un oxymore. Il faut le répéter encore et encore: tuer contredit l’idée même de médecine. Le médecin soigne et atténue les douleurs, il ne tue pas. C’est sa fonction propre.
On considère aujourd’hui l’aide médicale à mourir comme un soin de fin de vie – autre oxymore –, au même titre que les soins palliatifs. Et l’acceptation sociale de l’euthanasie repose en partie sur la confusion entre soins palliatifs et aide médicale à mourir. Dans l’imaginaire populaire, soulager un patient en lui offrant des doses de morphine pouvant potentiellement raccourcir sa vie, c’est déjà l’euthanasier.
Pourtant, il existe une différence importante de visée. Les soins palliatifs soulagent la douleur, ce qui, par coïncidence, peut précipiter la mort naturelle du patient. L’aide médicale à mourir ne vise pas le soulagement, mais la mort du patient.
Dans une société conséquentialiste – qui juge de la valeur d’un acte par ses conséquences, sans égard à la nature même de celui-ci –, la différence entre soins palliatifs et euthanasie s’estompe. Des propos aussi absurdes que ceux de Ferrandez émergent alors progressivement. On en arrive à considérer que tuer volontairement une personne déficiente, tant que la procédure est lente, constitue un soin palliatif.
À ce compte-là, empoisonner quelqu’un à petites doses tous les jours serait moins un meurtre que de lui tirer une balle. Et, dans la mesure où l’on juge la vie d’autrui indigne d’être vécue, ce serait même un soin!
Les origines de la dignité
«Tu ne tueras point»: ce commandement se trouve inscrit dans le cœur de tout homme. Le fait même que Ferrandez nage dans les euphémismes pour en parler témoigne qu’il reconnait l’immoralité du meurtre.
Mais pourquoi le meurtre d’un être humain est-il mal? Personne ne m’envoie en prison si je tue une fourmi ou même un chat.
Tout repose évidemment sur la dignité intrinsèque de l’humain. Mais cette dignité tient à quoi si tous s’en approprient le sens? Les opposants à l’euthanasie demandent de vivre dans la dignité et ses défenseurs de mourir dans la dignité. Comment retrouver le sens et la profondeur de ce terme?
Tant qu’une conception riche de l’être humain ne viendra pas remplir ce mot fourretout, les humanistes à la Ferrandez continueront de proposer – poliment et en douceur, certes! – l’eugénisme.
Tant qu’on ne mesure pas adéquatement comment l’homme diffère de la bête par son intelligence et sa volonté, il apparaitra légitime d’appliquer à l’un comme à l’autre le même traitement: ici, l’euthanasie. Surtout dans le cas de personnes incapables, en raison d’une déficience intellectuelle, d’y consentir.
Cette intelligence et cette volonté, source de notre liberté, expliquent le mal intrinsèque du meurtre. Tout homme, écrit Thomas d’Aquin, par sa nature, est bon et mérite en cela de vivre. Que cette intelligence et cette volonté s’exercent avec plus ou moins d’acuité ne change rien à la nature de la personne devant moi.
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