
Les papes baveux
Bonne nouvelle: le pape est sorti de l’hôpital au début de la semaine. Mauvaise nouvelle: le pape est encore pas mal magané.
Je ne sais pas si vous l’avez vu, mais il est aussi enflé qu’une fougasse laissée un peu trop longtemps sur le comptoir pour que la pâte lève. D’ailleurs, le Christ ne nous a-t-il pas demandé d’être le levain dans la pâte? Et dans un autre verset de nous méfier du levain des pharisiens… Ça devient mêlant un peu tout ça.
Mais bref, le souverain pontife est rentré à la maison Sainte-Marthe pour sa convalescence des prochains mois.
À voir les images, on ne sait plus trop si c’est François qui sort de l’hôpital ou bien le bon pape Jean XXIII qui sort de l’au-delà.
Difficile de ne pas faire un parallèle avec la lente agonie de Jean-Paul II au début du 20e siècle. Rappelons qu’il a enduré une longue descente vers la mort durant les dernières années de son pontificat. Atteint, entre autres, de la maladie de Parkinson, Jean-Paul II a tenu à garder son rôle de chef de l’Église catholique jusqu’à la toute fin.
Faut dire que Jean-Paul II était un peu baveux. Au sens propre comme au sens figuré.
Soyons clairs: je ne parle pas d’abord ici de l’écume qui coulait de chaque côté de sa bouche à cause de la maladie. Je parle surtout du pied de nez qu’il a fait à tous ceux qui rêvaient de le voir céder sa place à un pape plus vigoureux… et peut-être plus «progressiste».
Ironie du sort, c’est finalement un pape considéré comme encore plus conservateur qui l’a remplacé. Un petit jeune de 78 ans… Joseph Ratzinger / Benoit XVI.
Jean-Paul II était baveux aussi parce qu’il connaissait très bien les travers de notre époque. Une époque qui carbure à la performance, à la productivité, à la rentabilité, à la superficialité de l’image.
Chacune de ses apparitions publiques nous renvoyait en pleine gueule la question suivante: y a-t-il une place pour les gâteux dans la sphère publique ou doit-on tous les enfermer à clé pour ne plus voir cette vulnérabilité qui nous choque?
Cachez ce «saint» que je ne saurais voir, s’indignait le Tartuffe de Molière.
Pour sa part, François est l’un des papes qui a le plus «shaké le cocotier» des sociétés occidentales sur leur façon de prendre soin (ou pas) des personnes plus vulnérables en début et en fin de vie.
Nous nous pensons tellement raffinés avec nos coquetels d’escampette. Et nous avons la gâchette, la piqure facile pour tous les invalides et les grabataires qui encombrent notre vie de producteurs et de consommateurs. Entretemps, pendant que l’euphémique «mourir dans la dignité» devient le nec plus ultra de la mort chic, on en oublie de tout faire pour que nos ainés – qui n’ont pas la chance d’être soignés aux petits ognons comme François à l’hôpital Gemelli, j’en conviens – puissent vivre dans la dignité.
Le pape François finira peut-être par démissionner. Il a déjà évoqué cette possibilité lors d’entretiens réalisés avec des journalistes dans les dernières années. Cela dit, en attendant, il continue son travail, il suit l’actualité, il reçoit régulièrement ses collaborateurs.
Mais aussi, sans même ouvrir la bouche, il proclame haut et fort, avec tout son corps, que la dignité d’une personne ne dépend pas du nombre de tâches qu’elle peut réaliser en une journée.
Cette dignité dépend du simple fait d’exister.
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