
Le pape du rap
Du pape François, je retiens des dizaines, voire des centaines de souvenirs, de phrases marquantes, de gestes audacieux. Je retiens aussi des ambigüités, des zones de flou, des paradoxes.
Mais de tout cela, le monde entier a déjà beaucoup parlé cette semaine.
Allons donc voir du côté des angles morts de ce pontificat. Voici trois éléments pas, ou trop peu, abordés qui, à mon sens, ont été marquants chez François et qui nous aident à mieux mesurer ce qui s’est passé dans l’Église catholique depuis 12 ans.
Primo
Novembre 2015. Voyage apostolique en République centrafricaine. François prend le micro. Il l’empoigne avec l’attitude des rapeurs Jay-Z ou Kendrick Lamar. Et il répond aux questions des journalistes avec la dégaine d’un thug des quartiers chauds.
Probablement parce qu’il était… un thug des quartiers chauds.
L’image a été reprise des milliers de fois, transformant le pape en star du web. Encore.
François a été le premier pontife à vivre dans un monde médiatique dominé par les réseaux sociaux.
Il a beaucoup parlé. Il a beaucoup écrit. Mais il a surtout été diffusé par toutes sortes de moyens, sur toutes sortes de plateformes qui n’existaient même pas, il y a quelques années à peine.
Aucun doute que ce contexte médiatique a accentué l’effet d’abondance et d’omniprésence du pape François.
Deuzio
Tout le monde a souligné, à juste titre, l’importance capitale de l’encyclique Laudato si’ (Loué sois-tu) sur l’écologie intégrale.
Malheureusement, on n’en a retenu que les critiques de la consommation de masse formulées par François et peut-être pas assez les causes spirituelles profondes de ce consumérisme sans limites qu’il identifie très bien : à savoir, le vide existentiel que nos sociétés laissent au cœur de l’homme contemporain après le ravage de la sécularisation.
Pour ceux qui voudraient combler ce vide (autrement qu’en remplissant son panier d’achats sur Amazon Prime), il y a bien sûr, en premier lieu, tout l’enseignement du Christ et de son Église qui constituent un véritable trésor de sens. Mais François proposait aussi, dans un autre texte de moindre envergure et un peu plus confidentiel, un autre remède, complémentaire à la doctrine de la foi, pour combler ce vide: la littérature.
Dans Louée soit la lecture – une lettre qu’il adresse aux formateurs des séminaires du monde entier – il se désole que « l’attention portée à la littérature [ne soit] pas considérée comme essentielle. Je voudrais affirmer que cette approche n’est pas bonne. Elle est à l’origine d’une forme grave d’appauvrissement intellectuel et spirituel des futurs prêtres qui sont ainsi privés d’un accès privilégié, par la littérature, au cœur de la culture humaine et plus précisément au cœur de l’être humain. »
La littérature serait donc une voie d’accès à la vérité qui serait complémentaire à la doctrine? Pour le pape, l’Esprit Saint souffle où il veut, mais d’une manière particulière du côté des artistes, des poètes et des auteurs de ce monde. Par leur sensibilité, ils ouvrent l’esprit des lecteurs au mystère.
Tercio
On a parlé de la grande proximité du pape pour les plus pauvres, pour les marginalisés. Eh bien! Pour François, les jeunes faisaient partie des laissés-pour-compte de notre époque et méritaient une attention particulière.
Que ce soit aux Journées mondiales de la jeunesse ou dans l’exhortation apostolique Christus vivit, le pape a eu des paroles d’encouragement très belles et très fortes pour les jeunes du monde entier :
« Ne confondez pas le bonheur avec un divan et ne vivez pas toute votre vie derrière un écran. Il vaut mieux que vous laissiez germer les rêves et que vous preniez des décisions. Prenez des risques, même si vous vous trompez. Ne survivez pas avec l’âme anesthésiée, et ne regardez pas le monde en touristes. Faites du bruit! »
Et cette prise de risque dont parle François, il la mettait en pratique dans son ministère pétrinien.
Il aura certainement été le pape de la prise de risque, de l’Église en sortie… et de l’Église accidentée.
Combien de fois François a pris le risque d’être mal compris, que ses propos soient mal interprétés? Pour quel gain? Pour que des milliers de gens éloignés du Christ puissent gouter un peu à sa miséricorde.
*
Dimanche dernier, François prenait encore un autre risque.
À 88 ans, à peine sorti d’une longue hospitalisation, affaibli par la maladie, le pape tenait à offrir aux fidèles de Rome et au monde entier sa dernière bénédiction pascale. Il s’est habillé en pape. Il a même fait un dernier tour de papemobile sur la place Saint-Pierre.
Quelques heures plus tard, au terme d’une vie totale, une vie entièrement donnée à Dieu et à son prochain, le Saint-Père rendait l’âme à son Père.
Le pape du rap drop le mic un lundi de la résurrection. En tombant, le micro fait… Pâques.
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