La quête de sens de Daniel Bélanger

Le Cirque du Soleil a annoncé dernièrement qu’il produira cet été un spectacle hommage à Daniel Bélanger. J’y vois une excellente nouvelle, d’autant plus que Daniel Bélanger présente dans son œuvre une véritable quête de sens.

Un convoi vers l’abattoir

Sa musique ne se réduit pas à du «boum boum». Les paroles comportent souvent une grande poésie, et parfois même une réflexion profonde sur l’existence humaine.

Cette quête de sens, elle se fait particulièrement explicite dans une de ses œuvres, moins connue du grand public: son recueil de poésie intitulé Poids Lourd sorti en 2022.

Pourquoi ce titre? Il s’agit en fait d’un jeu de mots où «poids lourd» réfère aux gros camions, mais aussi au poids de l’existence humaine.

En fait, tout le recueil s’inspire d’une image restée à jamais gravée dans la tête de Daniel Bélanger: un convoi sur l’autoroute transportant des porcs pour l’abattoir. Cette image se trouve d’ailleurs sur la couverture.

Ce convoi lui fait penser à l’existence humaine. Il écrit: «Parfois en dépassant un convoi, je me demande lequel de nous deux terminera le premier à l’abattoir.»

Sommes-nous dans un convoi? Sommes-nous des porcs destinés à l’abattoir? Il insiste: notre mort est inéluctable et il faut y songer sérieusement. De même que les porcs finiront mangés, de même nous deviendrons «le projet des asticots», écrit-il.

Sans ciel, sans Dieu

Y a-t-il quelque chose après notre mort? Daniel Bélanger ne le croit pas. Il écrit envier, en un sens, ceux qui ont la foi. Les «athées» comme lui, «ont la mort dans la gorge».

Sa réflexion a le mérite de poser les bonnes questions: la vie a-t-elle un sens si tout s’arrête à la mort? si on se destine à devenir le projet des asticots?

Et la vie a-t-elle un sens si aucun Dieu, aucune intelligence, ne l’ordonne au départ?

Daniel Bélanger semble penser que non. C’est-à-dire que, objectivement, selon la nature même de la réalité, la vie humaine serait absurde. Tout son recueil parle du paradoxe de l’existence, de l’irrésistible incohérence. Les poèmes alternent entre la banalité du quotidien et l’image de la mort pourtant imminente. Les choses, écrit-il, se trouve dans «un état neutre». Ni bonnes ni mauvaises. Donc dépourvu de sens objectif.

Une dissonance existentielle

Mais à quoi ça ressemble, une vie absurde? C’est quoi l’absurde, plus généralement? Étymologiquement, c’est une dissonance. Comme une dissonance musicale, quand deux notes ne s’accordent pas.

Et une dissonance existentielle, c’est quoi? C’est quand les désirs profonds de l’homme ne s’harmonisent pas avec la réalité. En parlant des jours qui passent, Daniel Bélanger écrit: «je voudrais que ça ne cesse jamais». Et pourtant, le convoi arrivera à destination…

Est-ce que je suranalyse la poésie de Daniel Bélanger? Après tout, notre chanteur n’est pas un essayiste. Et comme dirait Socrate, il est probable que les poètes soient possédés par le savoir plus qu’ils ne le possèdent.

Les philosophes, comme moi, analysent et décortiquent. Les poètes inventent et suivent l’inspiration. Ils transposent leur état d’âme sur le papier. À ce sujet, un poème a retenu mon attention: «Au bout du quai. Jour de semaine. Ça va. Le vent est bon. Je suis furieux que Dieu s’approche aussi près de mon incroyance.»

Tout me fascine dans ce poème. Le bout du quai, le vent, la paix, l’idée de Dieu qui bouscule.

Une beauté à faire rêver

Quelque chose en nous, devant la beauté, devant l’ordre, appelle de façon irrésistible à la transcendance.

Dans la chanson La fin de l’homme, Daniel Bélanger se moque du concept de Dieu. Mais il évoque cependant une beauté qui «dispose tout».

Ce monde, il a raison, est beau. En poète, il ne peut que le voir, que le reconnaitre, qu’en faire l’éloge. La seule question est: d’où vient cette beauté?

*

Le spectacle du Cirque du Soleil en hommage à Daniel Bélanger s’intitule Les incouchables. C’est bien choisi pour parler de l’auteur de Les insomniaques s’amusent et de Rêver mieux.

Parce que c’est en veillant, et en rêvant aussi, que se fait la quête de sens. Rêver pour ne pas se contenter d’une vie de porcs, et pour gouter une vie proprement humaine, tournée vers la beauté et, qui sait, vers Dieu qui, lui, n’est jamais furieux quand on s’en approche.

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Laurence Godin-Tremblay
Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.