La grande demande

Entre deux bouchées de spaghetti, mon fils rapporte de l’école un questionnement démographique. Il demande: «Selon notre enseignante, il y aura bientôt trop de gens sur Terre. T’en penses quoi, papa?»

Et c’est ainsi que les enjeux internationaux rencontrent ceux de notre humble foyer. «Bonne question. D’après vous, cet enfant que votre mère porte en son sein, il est de trop? Ou peut-être que l’un de vous devrait commencer à se chercher un appartement?»

Produit-on suffisamment de pâtes à la sauce aux tomates sur la planète pour nourrir tout ce beau monde? La réponse est oui. Sont-elles distribuées de manière juste et équitable? C’est là que les nouilles s’emmêlent.

Imaginez, chers poussinots, que votre papa choisisse d’accaparer tous les revenus familiaux pour maintenir le rythme de vie qu’il avait à vingt ans, en plus de jeter systématiquement la moitié de son assiette aux poubelles. La question primordiale ne serait pas de savoir si nous avons assez de bouffe pour accueillir une nouvelle bouche à sustenter, mais plutôt pourquoi tolérons-nous une telle injustice de la part de ce vieux dégénéré.

Consentement fabriqué

Depuis le 30 octobre dernier, il est désormais possible pour les personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative – l’Alzheimer, par exemple – de remplir une demande anticipée d’euthanasie, euphémiquement nommée «aide médicale à mourir». Or, nous sommes déjà les champions du monde de l’élimination douce des citoyens déclassés, brisés ou invalides, avec un taux de 8 % des décès attribués au coquetel d’escampette.

Sur toutes les tribunes, politiciens et médecins-piqueurs se félicitent de tout mettre en place pour que l’État respecte la volonté, l’autonomie et le consentement des mortels mourants que nous sommes tous.

Le philosophe anarchiste Noam Chomsky leur répondrait que le consentement, c’est comme une seringue et un cathéter: ça se fabrique.

Quelque chose d'inédit

Mes chers enfants, considérez cet éditorial comme un document officiel. (Nous le ferons notarier, votre mère et moi, plus tard. Disons, quand on aura fini de ramasser le souper et de donner les bains.)

Je voudrais profiter des nouvelles dispositions de demande anticipée pour vous prier formellement de ne pas abréger mes jours. Que ces derniers moments soient parsemés ou inondés de démence, de vulnérabilité, de bave qui coule et de pisse qui fuit, peu importe! Ce n’est pas pour moi. De toute façon, «quand on est mort, c’est qu’on est mort», chantait Ferland. C’est pour vous.

J’aurai dépensé une quantité folle d’énergie, ma vie durant, pour vous cacher mes faiblesses, paraitre fort, tout gérer, intervenir avant que ça dégénère, vous communiquer mes attentes, consciemment et surtout inconsciemment. Là, vous aurez devant vous un vieux chnoque livré à votre merci. Et ce sera ainsi, assurément, le début de quelque chose d’inédit entre nous.

C’est ma seule demande.

Antoine Malenfant
Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.