La bibliothèque qui pardonne

C’est la première fois depuis des lustres que je mets les pieds à la bibliothèque. Ma fille, à peine âgée d’un an, chantonne en faisant tomber des romans policiers. Lorsqu’une commis s’approche, je m’attends à me faire réprimander: «Chut, vous êtes dans une bibliothèque!» À ma grande surprise, elle me tend plutôt des jouets pour que je puisse choisir mes livres en paix. J’ai de la chance: je fréquente Gabrielle-Roy, à Québec, la meilleure bibliothèque au monde.

Au-delà des livres

Ce sont les frais de retard accumulés qui me tenaient à distance. Depuis le 1er mars 2022, cependant, ils ont été abolis dans les bibliothèques de Québec, comme c’est le cas à Montréal et ailleurs. Bien sûr, les documents qui ne sont jamais rapportés sont un jour ou l’autre facturés. Mais désormais, le lien que j’entretiens avec la bibliothèque n’est plus basé sur la menace ou la sanction. Pour y accéder, je n’ai plus besoin de me montrer digne de ce lieu qu’on imagine réservé aux élites.

Car ma bibliothèque m’accueille telle que je suis: un café à la main, avec un enfant bruyant. Un module – avec glissade! – l’attend dans l’aire des petits. Dans l’entrée, une cuisine nous permet de réchauffer nos lunchs. Chaque jour, des dizaines de personnes en situation d’itinérance y trouvent refuge. Deux intervenants sociaux facilitent la cohabitation. Sans oublier le reste: les concerts, les projections et les ateliers offerts au public.

Les bibliothèques, plus populaires que jamais, ne sont plus de simples comptoirs de prêt. Elles s’imposent comme de véritables carrefours de vie sociale et culturelle. Des lieux de gratuité et d’accueil, dans un monde où la logique marchande corrompt bien des choses.

À la hauteur

Aujourd’hui, l’accès aux arts demeure un marqueur de distinction sociale. Une enquête récente de l’Institut de la statistique du Québec le confirme: les activités culturelles sont beaucoup plus fréquentes dans les familles les plus scolarisées et celles aux revenus élevés. L’accès à la culture révèle des frontières invisibles et contribue à consolider les inégalités. Des barrières symboliques s’ajoutent aux barrières économiques. Rien n’interdit formellement à certaines populations de se rendre au théâtre, mais beaucoup peuvent s'y sentir malvenus.

Sans doute en est-il de même de nos églises, perçues comme des lieux réservés aux gens de bonnes mœurs.

On s’étonnera peut-être d’y croiser des fidèles au passé trouble ou dont le présent ne reflète pas pleinement les idéaux de la communauté. Faut-il s’en indigner? La présence de pécheurs est-elle un contretémoignage, la preuve que l’Église aurait failli à sa tâche? Bien au contraire. Ce constat ne la discrédite pas: il confirme plutôt sa vocation, celle d’être un lieu d’accueil et de guérison pour les blessés. Malheureusement, il arrive parfois dans l’Église qu’on ne remplisse pas cette promesse.

Cet automne, j’ai apporté des livres en camping, que j’ai bêtement oubliés sous la pluie. C’est sans crainte que j’irai confesser ma faute et payer ma dette.

Que j’aimerais me rendre plus souvent à l’Église comme à la bibliothèque!

Valérie Laflamme-Caron
Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.