
L’amour est-il mort ?
Émile Roy, jeune réalisateur et youtubeur, sortait la semaine dernière un documentaire intitulé L’Amour Moderne. À travers divers témoignages, mais aussi des réflexions philosophiques, il cherche à découvrir s’il est réellement plus difficile d’aimer aujourd’hui. Ce qui surprend ici n’est pas tant la conclusion que l’hypothèse avancée pour l’expliquer. Oui, l’amour se fait plus rare chez les jeunes, et la cause, selon lui, serait un excès de romantisme. Voyons comment il arrive à ce constat.
Le documentaire commence par une mise en scène fictive, où des jeunes passent d’une relation à l’autre sans réelle transition. Ce cadre flou, c’est le « situationship ». La première impression, c’est que ces jeunes pèchent par superficialité : des immatures en quête de plaisir.
Le regard d’Émile Roy dévoile toutefois un désir plus profond, celui d’aimer intensément, mais aussi durablement. Le film fait sentir la profonde tristesse que vivent les jeunes dans ce papillonnage constant. Mais, alors, pourquoi continuer ? Pourquoi ne pas s’engager ?
Rechercher sa moitié
Le paradoxe que soulève Émile Roy, c’est que cette instabilité amoureuse ne provient pas du cynisme dont on accuse facilement les jeunes. Non, l’amour n’est pas mort à leurs yeux. Au contraire, ils sont plutôt victimes d’un romantisme excessif. Cette soif infinie d’amour les rendrait incapables de s’engager.
Le jeune réalisateur invoque le mythe d’Aristophane, dans Le Banquet de Platon, pour illustrer la pensée moderne. À l’origine, raconte le poète grec, l’être humain était une boule formée de deux partenaires. Les dieux auraient séparé cet être double, et chacune des parties vécut alors avec la peine de la séparation, mais aussi avec le désir de retrouver l’autre moitié.
Quel rapport avec la situation amoureuse des jeunes, pensera-t-on ?
Ce qu’illustre le documentaire, c’est qu’ils cherchent l’amour de la même manière. Leur quête est mue par le désir de combler un manque et, surtout, par l’impression qu’il faut absolument trouver la bonne moitié.
Pareille vision rend inquiet et insatisfait. On s’engage dans une relation, le désir grandit et fait vibrer. Mais, quand les difficultés arrivent, on doute. Et si ce n’était pas ma moitié ? Et si je trouvais mieux ailleurs ? La relation se termine alors.
Au casino des applications
Le problème que pointe Émile n’est pourtant pas propre à notre époque. Le romantisme existe depuis des lustres, ainsi que les problèmes amoureux qui en découlent. Nombre d’auteurs l’ont dénoncé, de Flaubert (Madame Bovary) à Cohen (Belle du Seigneur).
Notre époque jongle toutefois avec une nouveauté, pas banale du tout : les applications de rencontre. Les compagnies qui les proposent, remarque le youtubeur, vivent une sorte de dilemme : l’application doit fonctionner… mais pas trop. Elle doit permettre les rencontres, mais pas l’engagement, au risque de rendre leur produit inutile.
Pour générer plus de profits, elles doivent être pensées de manière à stimuler l’envie constante de les utiliser. Elles rendent ainsi dépendants. Émile Roy les compare au casino. À chaque « swipe », l’utilisateur attend une surprise. Sera-t-il « swipé » lui aussi ? Ou lui offrira-t-on un meilleur candidat ?
« Dehors et dans vos téléphones, il y a trop de visages », constate le documentariste. L’infini du choix devait augmenter la liberté, mais, paradoxalement, rend esclave du désir de trouver toujours mieux. Et ainsi se multiplient les séparations.
L’accumulation des déceptions conduit finalement certains jeunes vers une forme de cynisme, une peur de l’engagement. Le témoignage d’une jeune fille à ce sujet est bouleversant. Après s’être livrée à un garçon dans une intimité physique et émotionnelle, elle se fait larguer en quelques mois à peine. Elle espérait trouver la complétude dans une relation amoureuse, mais avoue maintenant vivre avec l’impression d’avoir laissé à ce garçon une partie d’elle-même.
Ces montagnes russes émotives auxquelles le situationship a habitué les jeunes les mènent par ailleurs à ne plus pouvoir apprécier une relation stable. À force de papillonner, on désapprend à aimer en vérité et dans la durée. On n’arrive même plus à y prendre plaisir.
Retrouver l'appétit
Avec l’aide de Spinoza, Émile Roy propose une autre voie : plutôt que d’espérer l’âme sœur et de désirer ce que l’on n’a pas, il faudrait avoir de l’appétit pour ce qui se trouve devant soi. « Le meilleur gâteau, dit-il, c’est celui devant nous. »
Sa thèse est simple, mais vraie. Rien ne tue l’amour comme la soif d’un idéal impossible. Rien ne rend plus malheureux qu’une perfection fantasmée. Plutôt que de changer de partenaire, Émile Roy invite à se changer soi-même, dans son regard et dans ses attentes.
Mais il reste à la fin du documentaire, me semble-t-il, un mystère. Certes, il faut apprendre à aimer le partenaire devant soi plutôt que de fuir aux moindres difficultés. Mais comment choisir ce partenaire ? Et à partir de quand ne devrait-on plus envisager de séparation ?
Un amour chrétien
À ce sujet, on regrette qu’Émile Roy n’ait pas fait intervenir de vieux couples, prêts à partager leurs visions et leurs secrets. Ou, encore, il aurait gagné, me parait-il, à présenter une vision claire de l’amour, distincte du romantisme.
La tradition chrétienne mérite en ce sens d’être redécouverte. Les jeunes y trouveraient probablement plus de sens qu’ils ne se l’imaginent.
Le christianisme ne force pas le mariage, ne demande pas qu’on marie « n’importe qui devant soi ». Il ne promeut pas non plus l’idéal de l’âme sœur, qu’il faudrait retrouver au travers de huit-milliards d’individus.
Il invite à s’ouvrir à l’autre, à le connaitre, mais sans se donner complètement tant que l’engagement n’a pas été officiellement promis. Ainsi ne perd-on pas une partie de soi à chaque rencontre.
Après un discernement positif, le mariage chrétien offre ensuite un socle, une fondation solide. Il satisfait, d’une certaine manière, la soif du romantique : mon époux ou mon épouse est la personne que Dieu a prévue pour moi.
Étrange certitude, qui vient après le sacrement, et non avant ! Car c’est à travers cet engagement que Dieu unifie en une seule chair ceux qui étaient auparavant divisés. Et, avec lui, les grâces de traverser les épreuves que rencontrent tous les couples.