
Du sang sur les mains
J’ai toujours voulu être une bonne personne. Au secondaire, on m’a inscrite dans un programme international afin que je sois formée comme citoyenne du monde. Je pleurais sur le sort des femmes afghanes et des victimes de mines antipersonnel en Bosnie. Puis il y a eu le féminisme, suivi des mouvements étudiants. J’ai fini par m’échouer dans l’Église, où j’ai eu mon petit moment réactionnaire.
Travailler avec les ados m’a sauvée. Avec eux, brandir un catalogue de principes est inutile. Pour bien les accompagner, je n’ai eu d’autre choix que de m’assouplir.
Le biais d’autocomplaisance
Dans notre société où rien n’est certain, sinon que l’avenir sera terrible, il est tentant de s’attacher à des valeurs refuges. Qui est contre la vertu? Pour les catholiques, voter pour un candidat pro-vie est souvent perçu comme un devoir moral incontournable. Certes. Mais peut-on réellement défendre la vie en fermant les yeux sur ce qui suit la naissance? Une étude a recensé le taux de mortalité infantile de 1965 à 2010 aux États-Unis. Par rapport à la tendance, il y est systématiquement plus élevé lorsque les républicains sont au pouvoir.
À gauche, le discours semble plus charitable. Mais les questions de diversité et d'inclusion sont débattues par des intellectuels souvent déconnectés des réalités qu’ils documentent. Ironiquement, ces mêmes milieux se révèlent parfois complices de ce qu’ils dénoncent. Le mouvement #MeToo a ainsi levé le voile sur des violences perpétrées au sein de cercles se revendiquant féministes, révélant un écart important entre les principes affichés et les pratiques réelles.
La première pierre
Je ne souhaite pas cultiver le cynisme ni tolérer l’intolérable. Seulement, à la fin, nous avons tous du sang sur les mains. Comme l’écrivait la dramaturge Véronique Côté dans sa pièce La paix des femmes: «La violence est partout. Dans toutes les choses ordinaires qui traversent nos vies. La carte de crédit. Les taux d’intérêt. Les vêtements. La nourriture. Nos téléphones.» Qui peut réellement clamer son innocence?
Dans l'Évangile, Jésus est sollicité par des autorités religieuses qui souhaitent condamner une femme surprise en flagrant délit d'adultère. Selon la loi de Moïse, cette femme doit être mise à mort par lapidation. Jésus lance alors cette phrase devenue fameuse: «Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre.» On devine qu’aucune pierre n’aura volé ce jour-là.
Souffrir avec
Dieu n'accuse pas. Dieu n'opprime pas. Il nous appelle à dépasser nos contradictions pour entrer dans une relation de miséricorde qui ne nie pas le mal, mais cherche à le transformer. Le véritable défi pour les croyants, les catholiques comme les autres, est peut-être d'apprendre à écouter, à tendre la main et à pardonner.
Si nous voulons vraiment être du côté de la vie, il nous faudra aussi être du côté de la souffrance humaine, avec toutes les nuances et les malaises que cela suppose.