
«Y a d’la joie»
«Y a d’la joie», fredonnait gaiment Charles Trenet. Une chanson de printemps, d’amour et de retour des hirondelles. Un air un peu niais, qu’on fredonne sans trop y croire. Y a-t-il encore des raisons de se réjouir? Si la joie existe, où et comment la trouver?
Le retour du printemps
Si le printemps signifie la douce odeur des lilas et les jolis vols d’oiseaux migrateurs, cela rime aussi avec le retour des bruits de tondeuse, de tronçonneuse, de jets à haute pression et… des cônes orange. Du côté municipal, il y a plus de 40 chantiers routiers prévus cet été, entrainant la fermeture de plus de 1000 tronçons de rues, et ce, à Montréal seulement.
Les divers préparatifs en vue du tramway se poursuivent à Québec; des travaux qui vont s’étaler jusqu’en 2029. Ça donne envie de s’exiler en campagne… où les épandages de fumier nous chatouilleront alors les narines. Le printemps, ce n’est pas forcément la joie.
Dans la famille?
Le sourire des enfants, le regard lumineux des amoureux, les premiers pas un peu chancelants des bambins… Tant de raisons de s’attendrir et de se réjouir. Ce n’est pas pour rien que le succès des vidéos de bébé persiste depuis les débuts d’Internet (à égalité avec les vidéos de chats!).
D’ailleurs, au printemps, la vie de famille se simplifie un peu. On vit cette joie immense de pouvoir enfin envoyer nos enfants jouer dehors un peu plus longtemps et un peu moins habillés. Hop! Deux souliers, et dehors! Quel répit quand on a supporté une heure de cris de singes hurleurs ou de gracieuses danses d’hippopotames dans son salon.
Ces petites péripéties familiales font sourire. Cependant, la famille, c’est aussi des disputes. Au Québec, 23% des enfants vivent la séparation de leurs parents avant d’atteindre l’âge adulte. Les couples n’arrivent pas à se maintenir dans la durée, particulièrement lorsqu’ils sont en union libre. D’ailleurs, 30% des familles québécoises sont monoparentales: un ou plusieurs enfants vivent alors avec un parent célibataire.
Du côté de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), les données ne sont guère plus reluisantes. 2,6% des enfants québécois sont pris en charge par la DPJ, soit 42 000 enfants, en raison de négligences, de mauvais traitements psychologiques ou physiques, d’abus sexuels ou d’exposition à de la violence conjugale. C’est un enfant québécois sur cinq qui est signalé à la DPJ, un sur dix qui est pris en charge par les services sociaux et un sur vingt qui est placé en dehors de son milieu familial.
Bref, vous l’aurez compris: la famille, ce n’est pas toujours la joie. Qu’on soit parent, en couple ou encore l’enfant au milieu de tout cela.
C’est par la science!
Ce n’est pas nouveau, les relations sont difficiles. Mais la joie, c’est peut-être de s’émerveiller et de comprendre le monde?
Il y a encore tant à observer. Nous avons découvert des dizaines de nouvelles espèces animales dans les dernières années: des mantes religieuses licornes, des escargots plus petits qu’un grain de sable, un crapaud citrouille qui brille dans le noir ou encore le fascinant Vampyroteuthis pseudoinfernalis, ou vampire des abysses, un calmar vivant à plus de 800 mètres de profondeur.
Outre ces découvertes qui nous ouvrent à la beauté — et aussi à l’étrangeté — du monde, la recherche scientifique permet également des développements encourageants dans bien des domaines. On fabrique des emballages écologiques, qui n’étoufferont plus les tortues marines ni ne se coinceront dans les fanons des baleines. Une jeune chimiste franco-américaine vient de développer un moyen de récupérer efficacement des terres rares, ces minerais entre autres utilisés dans nos cellulaires. Et, plus proche de nous, Écotech Québec travaille depuis 2009 à favoriser le développement de technologies propres partout au Québec.
Ces avancées sont plutôt réjouissantes. Pourtant, c’est un autre sentiment qui s’empare de nous lorsqu’on s’intéresse à certains projets en sciences sociales.
Par exemple, le 9 mai 2025, un atelier critiquant la prévention du suicide était présenté dans le cadre d’un colloque sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir à l’Université McGill. L’une des conférences s’intitulait: «(Se) donner la mort, nécropolitiques de la transitude à l’aune d’une métaphorologie trans». Si, devant ce titre, vous êtes aussi perplexe qu’un poisson rouge hors de son bocal, sachez au moins que vous n’êtes pas seul…
Le Québec ne détient cependant pas la palme des recherches les plus fantaisistes. Dans Grossesse transféministe: spéculation reproductive, genre et désir, article rédigé par un doctorant de la prestigieuse Université Yale et publié en avril dernier dans une revue scientifique révisée par les pairs, l’auteur compare la grossesse au processus de transition de genre et appelle à sortir la grossesse de son cadre féminin exclusif et excluant. La grossesse, c’est pour tous ceux qui le souhaitent. Surtout si l’on s’identifie «hippocampe».
Ces deux exemples montrent que la recherche de la vérité ne fait malheureusement pas toujours partie des départements universitaires, ce qui n’est pas très réjouissant.
La joie, une réalité animale?
Vous l’aurez remarqué: ce texte est truffé de références animalières. L’animal n’est-il pas finalement le plus joyeux, lui qui est si peu conscient de ce qui l’entoure et de ce qui lui arrive? Pas de trouble existentiel, pas de guerre, pas de pollution, pas de divorce.
D’ailleurs, la joie n’est-elle pas qu’une réaction animale, une libération agréable d’ocytocine visant à renforcer des comportements positifs? Bref, un mécanisme ancestral qui se perpétue au sein de tout ce qui vit afin d’en favoriser la survie?
La joie est cependant bien plus qu’une émotion.Il s’agit plutôt d’un sentiment de bonheur intense éprouvé par quelqu’un dont une aspiration est satisfaite ou en voie de l’être. Bien que les animaux cherchent à répondre à leurs besoins, ils n’ont pas d’aspirations en tant que telles, car ils n’ont pas conscience d’eux-mêmes, ni du monde et des évènements qui s’y passent. Même si certaines de leurs réactions peuvent sembler joyeuses, il ne s’agit pas pour autant de joie.
La joie, c’est l’autre
La joie nécessite d’avoir conscience de soi, mais aussi de sortir de soi. C’est le secret révélé par plusieurs centenaires. Sœur André, religieuse française décédée à 118 ans en 2023, déclarait que le plus important était «d’aimer sans restriction, d’aimer sans rien attendre en retour». Elle espérait que «les gens s’entraident et s’aiment au lieu de se haïr. Si on partageait tout ça, ça irait beaucoup mieux!». Facile à dire. Comment faire? Pour Sœur Inah, décédée en mai 2025, à 116 ans, la solution se trouve au-dessus de nous: «Mon secret, mon grand secret, c’est de prier. Je prie le rosaire tous les jours pour tous les peuples du monde.»
La longévité joyeuse serait permise à ceux qui sortent d’eux-mêmes, entrent en relation, agissent pour l’autre, se tournent vers plus grand. Ces aventures, on les retrouve aussi dans de grandes œuvres littéraires. «Être capable de trouver sa joie dans l’autre, voilà le secret du bonheur», déclarait l’écrivain Georges Bernanos. Qu’il s’agisse de héros fictifs, comme l’empereur-dieu de Dune et Harry Potter, ou réel, comme Jésus Christ, tous le disent: il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Et ce don, il va jusqu’au don ultime de notre propre vie.
Nous ne sommes pas tous appelés à vivre des sacrifices éclatants. Cela dit, face à la vie qui semble parfois morose, il nous faut tous relever le défi de choisir la joie plutôt que le cynisme. En effet, le grand risque du monde d’aujourd’hui, comme l’indiquait le pape François, c’est que s’empare de nous une «tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus.»
La joie est donnée… à ceux qui se donnent. À nous de
ne pas manquer les multiples occasions quotidiennes. Ou, dans les mots de
Charles Trenet:
Le
soleil a rendez-vous avec la lune
Mais
la lune n’est pas là et le soleil attend
Ici-bas,
souvent chacun pour sa chacune
Chacun
doit en faire autant
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