Illustration: Marie Laliberté/Le Verbe

Une découverte qui bouscule les acquis de la science

Michael Levin, biologiste du développement de l’Université Tufts, à Boston, bouscule présentement notre compréhension de la vie et de la cognition. Ses travaux pourraient même avoir un impact majeur dans les prochaines décennies, car ils réfutent empiriquement le matérialisme et remettent l’esprit et même les esprits au premier plan. Changement de paradigme en vue.

Contrairement à la croyance admise chez la majorité des biologistes, l’ADN ne constituerait pas un plan de construction complet, mais seulement une boite à outils. Pour parler de plans, c’est étonnamment vers le passé et vers Platon qu’il faut nous tourner. Et ce passé nous rattrape par une découverte au nom qu’on dirait pourtant tiré tout droit du futur: les «anthrobots».

Quand l’ADN n’explique pas tout

L’expérience qui a révélé les «anthrobots» est simple: l’équipe de Levin a prélevé des cellules de trachée humaine (la gorge) et les a laissé se débrouiller dans une boite de Petri

Da manière complètement inattendue, elles ont formé un groupe de cellules cohésif, intelligent et mobile qui peut notamment réparer d’autres tissus — en l’occurrence des neurones en laboratoire. Pour mener l’expérience encore plus loin, d’autres cellules de trachée ont été ajoutées à la boite de Petri. Résultat? Elles ont été absorbées par le nouveau regroupement qui se montre ainsi capable d’un genre de réplication jamais observé dans la nature.

Levin a baptisé ce nouvel organisme «anthrobot» — «anthro» réfère à l’humain et «bot» à une forme de construction éventuellement programmable.

Ce qui est révolutionnaire, c’est que ces cellules ont le même ADN que celles d’une trachée normale, mais se comportent d’une manière inédite que la sélection naturelle n’explique pas. En effet, Levin remarque qu’il n’y a pas d’avantage évolutif à ce que des cellules de trachées humaines en boite de Petri s’assemblent, réparent des tissus nerveux ou se reproduisent comme elles le font. Bref, les «anthrobots» défient les théories sur lesquelles s’appuient habituellement les biologistes.

Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres des résultats fascinants qu’il a obtenus. Mais, dans tous les cas, la question est la même: si l’ADN et la sélection naturelle ne suffisent pas à expliquer l’organisation des «anthrobots», que manque-t-il?

Platon et les formes biologiques

Pour répondre à la question de l’architecture manquante, Levin invoque Platon et sa théorie des formes abstraites, non matérielles. Il présente son platonisme biologique avec un exemple simple tiré de la géométrie: le triangle. Disons qu’un organisme a besoin d’un triangle. Une fois qu’il a réussi à développer deux des angles, les lois de la géométrie fournissent le troisième gratuitement. Autrement dit, la forme du triangle vient s’incarner dans l’organisme dès que deux des angles sont présents.

Le biologiste propose qu’il en aille de même pour le développement des organismes en général. Au lieu de dépenser du temps et de l’énergie à encoder des plans de développement dans l’ADN, la sélection naturelle a tout avantage à utiliser les plans gratuits qui existent dans le monde des formes.

Les «anthrobots» démontrent que si l’on change l’environnement des cellules, elles peuvent se développer selon des plans différents et inattendus. L’équipe de Levin a d’ailleurs observé que les «anthrobots» n’utilisent pas du tout les mêmes gènes que les cellules de trachées normales. La théorie du coffre à outils semble ainsi se confirmer: différents gènes d’un même ADN sont utilisés par différents plans.

C’est un renversement complet des théories actuelles. Jusqu’à présent, les biologistes croyaient que suivre les instructions dans l’ADN pour synthétiser différentes protéines, c’était suivre un plan prévisible pour construire un organisme prévisible. Levin montre que non: un même ADN peut être employé par des plans très différents.

Le succès du projet de recherche

Pendant les premières décennies de sa carrière, Levin n’expose pas publiquement les hypothèses platoniciennes derrière ses travaux. Le monde la science n’est pas très ouvert à la philosophie — et spécialement la philosophie antique. Cependant, comme il a maintenant bien assis sa notoriété en publiant des centaines d’articles scientifiques, dont plusieurs ont eu un grand impact dans son domaine, le chercheur se permet d’être plus explicite. 

À son avis, le platonisme n’est plus seulement une position philosophique, mais un programme de recherche empiriquement avéré dont l’exploration ne fait que commencer.

Il espère que ses avancées théoriques permettront non seulement de mieux comprendre la biologie fondamentale, mais aussi de produire des avancées en médecine régénérative. La capacité de réparation neuronale démontrée par les «anthrobots» n’est que le début.

De l’athéisme au polythéisme

Selon le biologiste, l’échec du matérialisme est évident. Ses découvertes démontrent empiriquement la fausseté de la théorie nihiliste précédemment répandue par certains biologistes comme Richard Dawkins. Dans son livre Le Fleuve de la vie, ce dernier prétendait:

«Dans un univers où les acteurs sont des forces physiques aveugles et la réplication génétique, certains vont souffrir, d’autres auront de la chance, et il n’y aura ni rimes ni raison à cela, ni aucune justice. L’Univers que nous observons a exactement les propriétés auxquelles on peut s’attendre s’il n’y a, à l’origine, ni plan, ni finalité, ni mal, ni bien, rien que de l’indifférence aveugle et sans pitié.»

Le chercheur coupe l’herbe sous le pied à de tels arguments. La prémisse qui affirme que les moteurs de l’univers ne sont que la physique et la réplication génétique ne tient plus en 2025. Pour expliquer le développement d’organismes rudimentaires comme les «anthrobots», on doit recourir à des formes immatérielles, comme Platon le faisait il y a 2500 ans. Levin qualifie même ces formes biologiques d’esprits («minds») en raison de leur habileté à poursuivre des buts étonnamment complexes.

Nous pourrions ainsi basculer vers l’autre extrême: un surenchantement. Levin ouvre effectivement la porte suivante: si des esprits animent des groupes de cellules en biologie, ne faut-il pas se demander si des esprits plus élevés n’animeraient pas aussi des groupes d’individus?

Avec l’ésotérisme qui gagne en popularité depuis plusieurs années, il n’en faudra pas beaucoup pour passer de l’athéisme au polythéisme. Le défi ne sera plus de réenchanter le monde matérialiste hérité du 20e siècle, mais plutôt de trouver sa juste place dans un monde bientôt trop enchanté.

Jean-Philippe Marceau
Jean-Philippe Marceau

Jean-Philippe Marceau a obtenu un baccalauréat en mathématiques et informatique à McGill et une maitrise en philosophie à l'Université Laval. Il collabore également avec Jonathan Pageau au blogue « The Symbolic World » et à sa chaine YouTube «La vie symbolique».