Illustration: Marie Laliberté/Le Verbe

Foglia, parti trop vite

C’est pas tous les jours qu’on perd un grand de la littérature. Foglia c’en était un, à sa manière. Il la prenait la littérature et la mettait dans la vie courante, avec tout le reste.

Alors on le mâche et on le remâche, Foglia, avec raison. Et on y repense à comment qu’il était, comment qu’il parlait, comment qu’il arrivait à joindre le tout petit avec le plus grand, comme si celui-ci était une échelle pour grimper sur celui-là. Comment qu’il touchait à des choses universelles en ayant l’air de parler de son chat ou de se casser le bécyk. C’était aussi le maitre du coup de gueule, de la remarque assassine, c’était beaucoup de fun, lire Foglia. Une joie de bandit parce que dire ce qu’on pense, c’est toujours un bonheur qui vient par effraction et sans demander la permission en plus. De ça il s’en privait pas Foglia. C’était ben du fun. Un vrai chroniqueur, quoi, qui grinçait juste comme il faut aux pentures.

Aujourd’hui aussi, pensera-t-on, les chroniqueurs disent ce qu’ils pensent, même qu’il y en a des tas qui disent ce qu’ils pensent avant même d’y avoir pensé. En tout cas ça pense et ça dit, ça dit et ça pense aujourd’hui, quand on y pense, sans arrêt. Mais ce à quoi ils pensent, les chroniqueurs, c’est plate plate plate. Quand c’est pas une traduction à moitié réussie d’un courant d’idées à l’américaine, c’est le concentré fade d’un consensus d’époque. Foglia, il avait de la personnalité. Ça en prend des couilles pour parler de la mort dans une chronique, et pour parler de la peur sans crainte, à travers toutes les choses vivantes, et de pas la reléguer aux choses mortes, la mort. Une vraie pensée, faut toujours qu’elle fasse un peu peur et Foglia il l’avait ce cran.

On se fait des illusions, après, sur comment qu’il est le monde. C’est pas parce que quelqu’un est mort dans une explosion à Bagdad qu’on peut pas mourir ici du parkinson dans un lit beige dans une chambre grise avec une fenêtre qui donne sur un parking. Ça fait BOOM aussi mais ça vous tire un peu vers le bas de penser à ça. On la voudrait explosive, notre mort, pas ennuyante, et le béton et la popote d’hôpital et les lits à roulettes, c’est du répétitif, c’est de la routine, c’est tout le contraire du tragique. C’est une conclusion lamentable. Alors forcément, ça fait peu envie. On préfèrerait se tirer en bas d’un pont. Et puis de toute façon elle est si grosse à avaler la mort qu’on voudrait se la rentrer à coup sec dans le gosier une fois pour toutes et pas la bouffer à petite dose croissante pendant des jours et des semaines et des années.

Depuis que Foglia s’est suicidé je n’arrive pas à réprimer une petite tristesse. Qu’il soit mort, oui, mais pas juste. Qu’on se fasse tous envie les uns les autres de notre petit hommage farci de la même garniture consensuelle, peut-être. Qu’on pleure chacun un brin publiquement pour qu’on sache bien, aussi… Et puis surtout qu’il n’y en ait pas eu un seul de ces bavards élogieux qui ait eu le courage de dire que c’est laid, le suicide, que c’est déjà un petit châtiment pour les proches et que c’est aussi une lâcheté. Grand gueule comme il l’était il l’aurait dit lui-même, Foglia, et c’est pas lui faire honneur que de se complaire dans l’ambivalence.

Simon Drouin a signé un court récit de sa mort. Et comme chaque fois qu’on raconte l’aide médicale à mourir, ça donne un peu froid dans le dos. On l’ornemente, on en fait quelque chose d’esthétique, l’aide médicale à mourir, et on emprunte au vocabulaire classique du deuil, du départ, du long voyage, dans une volonté à peine cachée de naturaliser la chose. André Duchesne a même réussi à écrire ceci: «Il s’est éteint à l’âge de 84 ans des suites d’une longue maladie, le parkinson. Il a reçu l’aide médicale à mourir (…)». C’est pour dire.

Reste qu’on en a fait notre petite copine, l’AMM, et qu’y faut ben qu’on l’apprivoise, puisqu’elle est là et pour de bon. On lui met les mêmes atours que l’ancienne mort, la périmée, celle qu’on fait maintenant semblant de ne plus connaitre. C’est pas un suicide c’est la dignité. Je veux bien, c’est pas ma vocation de m’obstiner, mais quand on y pense c’est toujours ben un bougre qui quitte le monde avant que la chienne de mort soit venue le chercher. Il fout le camp de son plein gré. C’est pas elle qu’est venue comme une mystérieuse, la mort, c’est toi qui nous a dit bye le 29 juillet 2025, merde, et pis c’était officiel, c’était formalisé, comme une balle de fusil dans une enveloppe bien cachetée. «À ingérer une fois par jour, une seule dose requise, idéalement lors d’un repas avec parents et amis».

Et nous on a rien à dire.

La différence c’est qu’avant on la vivait ensemble la mort, c’est qu’on la subissait autant qu’on aurait voulu l’éviter, mais il y avait l’attente. On sait pas quand, c’est pour bientôt, ça s’en vient peut-être, peut-être pas… C’était l’occasion de jacasser autour de l’agonisant, de s’envoyer des souvenirs et de se revoir, ça fait un boutte vieille branche! pis de se réconcilier des fois ou d’en revenir pour de bon des injures du passé. Fallait être patient, c’était pas ordonné comme aujourd’hui. C’était la langueur et le désordre, la mort, comme un accouchement qui s’étire. Avec la présence consciente du mourant ou pas. Mais là c’est du précipité, bing bang on respecte l’horaire et racontez vos souvenirs mais en suivant l’ordre du jour. Faudrait pas déroger et se mettre tout à coup à devoir remplir des silences…

Je ne sais pas comment je pourrais, moi, me mettre au-dessus de tout ça. Je vais mourir un jour, tôt ou tard, et ça me fout la trouille, comme toi. Je ne suis pas pour l’instant atteint de parkinson, alors je pourrais aussi bien la fermer. On connait pas ce que c’est l’agonie tant qu’on y a pas mis les pieds, et je sais que je suis sujet à toutes les lâchetés du monde. Ça c’est sûr. Pire que toi. Mais tant qu’on est en vie, on peut pas présumer qu’il vaudra mieux en finir un jour ou céder déjà, ça serait pas du jeu. On a n'a pas le choix de s’offrir une longueur d’avance pour quand ça arrivera, de se faire quelques principes, de s’évertuer comme on peut en attendant. Et puis t’aurais pu nous faire une dernière saleté, une dernière montée du col du Galibier en chaise roulante, quoi, parce que la vie c’est souffrir mais aussi, merde, qu’on le fasse tous ensemble et quand y en a un qui démissionne avant les autres c’est toujours moins drôle.

Fait chier, ta mort, Foglia, et aussi comment tu l’as faite mais je t’aime pareil, vieux tocard.

Adieu

Gabriel Bisson
Gabriel Bisson

Physiquement bellâtre, intellectuellement ambitieux, socialement responsable, moralement innovateur, Gabriel croit aux choses qu'on peut prouver, mais aussi à certaines choses qu'on peine parfois à rationaliser. Ingénieur, il met son amour des lettres et du dessin au service de notre média.