
Conclave : les six enjeux dont (presque) personne ne parle
Le choix d’un nouveau pape est toujours un moment décisif, tant pour l’Église que pour le monde. Chef spirituel de plus de 1,4 milliard de catholiques répartis sur tous les continents, le souverain pontife bénéficie d’une tribune médiatique unique et pilote l’un des corps diplomatiques les plus actifs de la planète. Tour d’horizon de six grands enjeux qui pèsent dans la balance au moment de désigner le successeur de François.
À Rome, l’adage dit : « après un pape long, un pape rond », pour signifier que les papes se suivent, mais ne se ressemblent pas nécessairement. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les styles de Benoît XVI et de François, ou encore de Jean XXIII et de Paul VI.
Après le pontificat mouvementé de François — un pape réformateur, qui a multiplié les prises de parole et les gestes forts —, le conclave pourrait bien privilégier un candidat d’alternance ou d’équilibre. Un candidat plus classique, qui mettrait l’accent sur des priorités plus spirituelles que politiques, pourrait être recherché.
Toutefois, puisque 80 % des cardinaux électeurs ont été créés par François, souvent pour leur proximité avec son approche novatrice, il ne serait pas étonnant que leur choix se porte sur un candidat désireux de poursuivre son œuvre.
Paradoxalement, après Bergoglio, la continuité au Vatican pourrait signifier un pontificat orienté vers l’innovation, tandis que le changement pourrait se traduire par un ralentissement des multiples réformes.
Alors que François avait été élu, entre autres, pour enclencher une réforme de la Curie romaine, la question de la gouvernance ne semble plus prioritaire aujourd’hui — sinon pour assurer la mise en œuvre des décisions déjà prises sous son pontificat. De même, des thématiques comme la place des femmes dans l’Église ou celle des personnes homosexuelles, bien qu’encore brulantes dans de nombreux pays occidentaux, ne semblent pas figurer parmi les priorités de nombreux cardinaux. Il ne faut donc pas s’attendre à des changements majeurs sur ces sujets ni évaluer les différents favoris à partir de ces critères.
D’autres enjeux paraissent désormais retenir davantage l’attention du très diversifié et imprévisible collège électoral.
L'unité
Sous l’influence des réseaux sociaux, notre monde devient de plus en plus polarisé. L’Église catholique n’échappe pas à cette réalité. Par ses prises de position bien affirmées, le pape François a laissé une Église parfois divisée sur certaines questions morales et pastorales. Par exemple, certains cardinaux africains n’ont toujours pas accepté le texte du Dicastère pour la doctrine de la foi (Fiducia supplicans) dans lequel la bénédiction des couples de même sexe est permise. Ils ont même revendiqué une exception africaine à son application.
Aux États-Unis comme en France, plusieurs catholiques d’allégeance plus conservatrice se sont sentis exclus par les orientations jugées libérales de François, voire blessés par certaines de ses paroles, parfois assez sévères à leur égard.
Pour obtenir les deux tiers des voix, le candidat devra sans doute être capable de réconcilier les différentes sensibilités du catholicisme à travers le monde. Le « souverain pontife » porte ce nom, entre autres, parce que sa mission est de bâtir des ponts non seulement entre Dieu et l’humanité, mais aussi entre les églises de tous les pays. Bref, la capacité de rassembler pourrait bien être l’enjeu majeur de ce conclave.
Le Nord et le Sud
Premier pape non européen depuis 1300 ans, François a contribué à déplacer le centre de gravité de l’Église du Nord vers le Sud. Aujourd’hui, la majorité des 1,4 milliard de catholiques vit dans des pays en développement.
Le nombre de fidèles de ces régions connait en effet une croissance rapide grâce à un taux de natalité encore élevé. Leurs priorités diffèrent toutefois largement de celles des pays chrétiens du Nord. Plusieurs évêques d’Afrique ou d’Amérique latine, par exemple, se demandent comment freiner la déchristianisation de leur société pour ne pas subir le même sort qu’en Amérique du Nord ou en Europe.
Au Nord, les défis sont tout autres : baisse de la pratique religieuse, scandales liés aux abus sexuels, pénurie de prêtres, difficulté du dialogue avec la culture contemporaine, surtout sur des questions éthiques et sexuelles. Les questions de l’avortement, de l’euthanasie, de la place des femmes ou de l’accueil des personnes LGBTQ+ résonnent parfois de manière opposée dans les deux hémisphères.
Comment concilier les priorités du Nord et du Sud ? Le prochain pape devra faire preuve d’une fine compréhension de ces deux pôles catholiques et savoir identifier les points de convergence ou d’équilibre capables de créer l’unité.
La paix et la liberté religieuse
Avec des hommes forts au pouvoir comme Trump, Poutine ou Xi Jinping, et une multiplication des conflits armés à travers la planète, l’Église devra défendre la liberté et la vie de ses fidèles. Que ce soit en Ukraine, à Gaza, au Soudan ou au Congo, les paroles du prochain pape, ainsi que les démarches diplomatiques du Vatican, pourraient contribuer à ouvrir des chemins de paix.
Aujourd’hui, plus de 380 millions de chrétiens sont exposés à des persécutions ou à de fortes discriminations en raison de leur foi — soit un chrétien sur sept dans le monde. La situation est particulièrement difficile pour les catholiques au Nigeria, en Inde et en Chine, ainsi qu’au Pakistan et dans plusieurs autres pays musulmans.
Dans divers pays occidentaux, la liberté de conscience de nombreux croyants est également mise à l’épreuve, notamment à travers des lois concernant l’euthanasie ou l’identité de genre. On observe aussi une tendance à restreindre l’expression de la foi dans l’espace public, en particulier dans des nations où la laïcité est comprise de manière plus rigide comme en France, en Belgique et au Québec.
Le dialogue
Avec les flux migratoires croissants de ces dernières années, la diversité religieuse est devenue une réalité quotidienne pour des millions de personnes. Il n’est plus rare que juifs et musulmans, chrétiens et athées cohabitent dans un même espace de vie ou de travail.
Cette nouvelle proximité engendre des tensions. Le sujet très sensible de l’immigration, qui suscite de vives passions dans de nombreux pays aujourd’hui, en témoigne. De la même manière, la question des relations, souvent difficiles, avec l’islam sera l’un des plus grands défis de l’Église.
Les cardinaux auront sans doute à cœur de désigner un souverain pontife capable de dialoguer avec les responsables des grandes religions. Il devra également être apte à apaiser les tensions pour les dépasser et promouvoir la fraternité universelle tant désirée par le pape François.
La mission
Pendant des siècles, le mot « mission » évoquait les pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine. Pourtant, aujourd’hui, ce sont l’Europe et l’Amérique du Nord qui sont les véritables terres de mission pour les catholiques.
Comment rendre pertinente la foi en Jésus-Christ dans un monde postchrétien, voire antichrétien ? Comment annoncer l’Évangile dans une culture à la fois sécularisée, laïciste, désenchantée et désillusionnée par les promesses non tenues de la modernité ?
Signe d’espérance toutefois pour les catholiques nord-américains et européens : on assiste, ces dernières années, à un certain regain d’intérêt pour la foi chrétienne dans ces régions, notamment chez les 18-35 ans. On observe ainsi une hausse du nombre de catéchumènes dans plusieurs nations, dont la France et le Québec, une augmentation notable des ventes de bibles, une popularité de plus en plus grande des influenceurs chrétiens sur les réseaux sociaux, et — pour la première fois depuis vingt ans — une progression du nombre de personnes se déclarant chrétiennes aux États-Unis en 2024.
Le successeur de François devra être capable d’accueillir et d’accompagner ces jeunes convertis zélés qui frappent aux portes d’églises souvent vieillissantes et fatiguées.
La quête de sens
Avec les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle et l’omniprésence des écrans – jusque dans nos chambres à coucher ! – la vie moderne s’est accélérée au point de provoquer de véritables épidémies d’épuisement et d’anxiété.
Dans un monde hyperconnecté, hyperactif, hypersexualisé et hyperconsumériste, une crise de sens et de solitude touche un nombre croissant de personnes, en particulier chez les jeunes. Le besoin de trouver un but à la vie et un groupe avec qui le partager se fait de plus en plus pressant. L’Église catholique, avec sa vision du monde, son sens de la communauté et sa riche tradition, peut offrir des réponses à cette crise, mais encore doit-elle être capable de trouver les bons mots et le bon ton pour communiquer son message.
Certains espèrent d’ailleurs que le prochain pape soit un maitre spirituel, en mesure de guider les jeunes, toujours plus nombreux, à se dire en quête existentielle.
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Quel cardinal sera le mieux préparé à relever tous ces défis ? C’est la question essentielle que devront se poser les électeurs avant de porter leur choix sur l’un des leurs.
Face à des défis multiples et des attentes divergentes, la tâche du futur souverain pontife sera de chercher à unir une Église au cœur d’un monde en tension. Pour réaliser cette tâche surhumaine, le conclave cherchera probablement à élire un homme de prière, de communion et de mission, avec de l'expérience de terrain. Il devra être beaucoup plus qu’un théoricien ou un administrateur.
Une seule chose est sûre : le 267ᵉ successeur de l’apôtre Pierre héritera sans doute de l’une des charges les plus lourdes et exigeantes qu’un homme puisse porter.