Illustration : Émilie Dubern/Le Verbe

Testez vos connaissances sur les anges avec Pierre Doat

Sur TikTok, les anges ont la cote! Images stylisées, tatouages protecteurs ou chiffres de synchronicité: les millions de vidéos mettant à l’honneur ces êtres ailés fascinent les nouvelles générations. Comment expliquer un tel engouement? Pour démystifier l’univers angélique, nous avons rencontré Don Pierre Doat, recteur du Mont-Saint-Michel et auteur de deux livres à succès sur le sujet. Entre scepticisme et ésotérisme, que peut bien nous enseigner la tradition chrétienne sur ces créatures invisibles censées influencer nos vies? Rencontre au sommet avec un véritable geek des anges!

Le Verbe: On retrouve des anges partout: sur les réseaux sociaux, dans les jeux vidéos, les films, les séries ou les romans. D’où vient, selon vous, ce regain d’intérêt pour l’univers angélique?

Don Pierre Doat: On a éliminé le surnaturel à coup de fusil rationaliste pendant des siècles, alors il revient par un autre chemin: par le fantastique, l’ésotérique, le côté fascinant.

Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter?

C’est super de s’intéresser aux anges, même s’il y a toujours un certain danger, surtout dans les mouvements ésotériques, qui cherchent à contrôler le surnaturel. Mais, je le vois d’abord comme une bénédiction, parce que, pour moi, c’est un peu la preuve de l’échec du matérialisme. Ce retour des anges, c’est la preuve que l’homme a besoin de transcendance. Donc, je m’en réjouis, car c’est une ouverture du cœur de l’homme à ce qui le dépasse.

Quelle différence y a-t-il, justement, entre la conception des anges dans le christianisme et dans le mouvement ésotérique ?

Du point de vue chrétien, le Christ est au centre du monde des anges. Ils sont créés par lui et pour lui, comme les serviteurs et messagers de son plan de salut. Ange signifie d’ailleurs «messager» en grec. Les anges doivent donc toujours nous orienter vers le Christ. Car le monde invisible sans le Christ, c’est comme avoir une clé de Ferrari sans Ferrari. Tu as une belle clé de voiture, mais tu ne peux rien en faire.

En somme, dans le christianisme, les anges sont des instruments de l’amour de Dieu. Dieu veut parfois nous transmettre sa grâce, sa bienveillance, par l’intermédiaire des anges, de même qu’il nous a transmis la vie par l’intermédiaire de nos parents.

À l’inverse, le mouvement ésotérique s’intéresse aux anges dans le but de les instrumentaliser, d’en faire des domestiques. L’ange est ainsi vu comme le serviteur de l’homme plutôt que le serviteur de Dieu. Ça, c’est totalement étranger au christianisme. C’est même hyper dangereux.

Pourquoi est-ce si dangereux?

Parce que tu crois que tu as une autorité sur les esprits, alors qu’en fait, ce sont eux qui te manipulent. Ce sont eux qui te font aller de plus en plus loin dans la recherche de pouvoir et d’une fausse autonomie. Au début, tu penses maitriser et puis ça t’échappe complètement, parce que les esprits sont largement supérieurs en intelligence et en puissance. Et donc, tu crois les utiliser, mais, à la fin, c’est toi qu’ils utilisent, et tu te retrouves leur esclave.

Mais est-ce que les anges existent vraiment? Avons-nous des preuves?

Plus de 500 ans avant Jésus-Christ, le philosophe grec Aristote expliquait rationnellement l’existence des anges. En bon physicien qui regarde la nature, il remarquait qu’il y a toujours des intermédiaires d’un type d’être à un autre. Il y a toute sorte de roches, de plantes et d’animaux, jusqu’aux hommes. Mais, entre les hommes et Dieu, pensait-il, il doit forcément y avoir des intermédiaires aussi. Comment expliquer cette distance entre notre nature créée, corporelle, animée d’une âme spirituelle, certes, mais finie et imparfaite, et Dieu qui est incréé, incorporel, infini et parfait ? Dans son esprit scientifique, Aristote remarque un chainon manquant et il en déduit la rationalité de l’existence d’esprits créés incorporels que nous appelons aussi «anges». C’est une réflexion intellectuelle totalement indépendante de la foi chrétienne.

Il y a aussi un argument anthropologique. Dans presque toutes les cultures et religions, on affirme l’existence d’êtres purement spirituels qui sont des intermédiaires entre le monde des hommes et le monde de Dieu. On peut penser que tous les hommes se trompent, mais on peut aussi y voir l’inspiration commune d’une proximité possible de Dieu via des êtres qui existent en dehors du monde matériel. En tout cas, c’est une expérience humaine universelle, qui transcende les cultures et l’histoire: l’homme a l’intuition de l’existence d’êtres créés, qui ne sont pas des dieux, mais qui appartiennent au monde de Dieu.

J’ai entendu des personnes qui n’ont pas la foi affirmer avoir fait l’expérience de leur ange gardien, lors d’un accident de voiture par exemple. Que pensez de ce type de témoignages?

C’est assez fréquent, en effet. Encore récemment, j’ai rencontré un homme qui s’était endormi au volant de sa voiture. Quand il s’est réveillé, sa voiture était de l’autre côté de la barrière de l’autoroute avec un camion qui passait à quelques dizaines de centimètres de lui. Il aurait dû mourir, mais il m’a dit: «J’ai senti que quelqu’un avait pris le volant».

C’est intéressant de voir comment ces gens qui ne sont pas croyants sont pourtant sûrs d’avoir vécu quelque chose de surnaturel. Et, souvent, ils ne savent pas quoi faire de cette expérience. Cela montre comment l’existence des anges, sans Dieu et sans le Christ, peut conduire à une impasse. «Pourquoi l’ange m’a-t-il sauvé si Dieu ne m’aime pas ou n’existe pas? Est-ce juste pour me faire vivre quelques années de plus? Quel intérêt? Pourquoi un être spirituel s’intéresserait-il à prolonger ma vie? Or, s’il y a un protecteur, il y a amour. Et, s’il y a amour, il y a donc aussi un sens à ma vie, une orientation.» De plus en plus de personnes vivent ce genre de choses, comme si le surnaturel qu’on a cherché à évacuer réapparaissait par la fenêtre de l’expérience concrète.

Pourquoi les anges ne seraient pas simplement une projection de notre désir d’être guidé, protégé et consolé — une sorte d’invention de notre esprit pour combler un manque?

On pourrait dire la même chose de l’athéisme. L’esprit pourrait inventer l’inexistence de Dieu et des anges parce que cela l’arrange. Si l’on doit se méfier d’un courant de pensée — généralisé de nos jours —, c’est de ce mouvement de défiance de tout ce qui nous échappe. Parce que ça nous échappe, c’est très désagréable. Donc autant dire que c’est une folie.

Il y a toujours la possibilité de se tromper dans sa recherche de la vérité. Mais, je pense que les trois arguments évoqués, qui ne nécessitent pas la foi chrétienne, me semblent plus plausibles que la folie généralisée. Et puis, pour les chrétiens, il y a aussi l’argument décisif de la Révélation: dans la Bible, on affirme clairement l’existence des anges.

Et que penser de toutes ces personnes non croyantes qui affirment avoir des problèmes avec des démons?

C’est vrai que c’est un quatrième argument, un peu par la négative. D’autant plus que ceux qui en souffrent vraiment n’ont pas avantage à inventer les démons. Ils préfèreraient au contraire qu’ils n’existent pas.

Même si je ne suis pas exorciste, on vient me voir presque quotidiennement au Mont-Saint-Michel pour demander d’être délivré de l’influence d’esprits mauvais. Certes, il y a des gens qui ont des enjeux psychologiques, mais il y en a aussi qui vivent un vrai combat intérieur d’ordre spirituel. Parfois même, ce sont des psys qui nous les envoient en disant: «Allez voir un prêtre catholique, moi je ne peux rien pour vous».

L’expérience universelle d’un mal qui dépasse la matérialité et les capacités de l’homme est une preuve de l’existence du démon et donc, aussi, de l’existence des anges. Parce que s’il y a des anges mauvais, il y a aussi des anges bons. Mais, heureusement, les bons sont plus nombreux!

D’où vient, selon vous, la fascination — notamment chez les jeunes — pour les démons? On en voit de plus en plus la représentation dans la culture contemporaine.

C’est, à mon avis, l’illustration d’un échec de la société contemporaine. Qu’avons-nous transmis comme aspirations à la jeunesse? L’aspiration au trash, au violent, au maléfique? Sans tomber dans l’obsession, cela ressemble à une victoire du démon qui se complait dans tout ce qui est laid et morbide.

En fait, si le mal attire autant, c’est parce qu’on a renoncé à montrer le beau. La civilisation consiste essentiellement à donner accès au beau. Le beau le plus objectif possible, par l’art, la littérature, l’architecture, etc. Mais, aujourd’hui, on prétend que tout est relatif et qu’on peut trouver beau n’importe quoi. Or, dans un monde qui prétend que tout est subjectif, le mal exerce une fascination parce qu’il conserve un côté objectif. Si le mal existe, alors il y a une vraie mesure de ce mal. Il y a presque une bonne nouvelle dans l’objectivité du mal et de la laideur. Voilà enfin quelque chose de solide sur lequel s’appuyer.

Quelle est la juste mesure entre la négation et l’obsession du démon?

Le démon a deux armes. La première, c’est de nous faire croire qu’il n’existe pas. La deuxième, c’est de nous faire croire qu’il est plus puissant que Dieu. Le juste équilibre se situe comme toujours entre les deux. Ignorer complètement le démon, son existence, sa capacité à influencer les âmes et le monde serait une erreur tactique dont il profiterait. Mais il ne faut pas oublier non plus que le Christ a déjà remporté la victoire contre lui. En fait, le démon est comparable à un chien enragé, mais enchainé. Si tu ne te rapproches pas de lui au point d’être à portée de crocs, tu ne risques pas grand-chose. De loin, il peut faire peur en aboyant, mais c’est tout. Et ce n’est pas mauvais de craindre un peu le démon. Par contre, n’essaie pas d’aller lui caresser la tête!

Pensez-vous que tout être humain possède un ange gardien? Même les athées?

On a tous un ange gardien en vertu de notre nature humaine, et non pas en vertu de notre foi, de notre baptême ou de notre état de sainteté. Bien sûr, si quelqu’un est bon, il pourra plus facilement être disponible à l’action de son ange. Mais ça ne veut pas dire qu’il peut échapper totalement à son action s’il n’en veut pas. En revanche, il n’existe pas de «démon gardien», car le démon n’a pas la puissance nécessaire pour affecter un autre démon à une personne particulière. Seul Dieu peut attribuer une mission.

Comment peut-on entrer en relation avec son ange gardien?

En priant, tout simplement, sans technique particulière. D’abord, il est bon de savoir que notre ange fait toujours le bien, qu’on le prie ou pas. On n’a pas à acheter sa bienveillance par des prières. Mais, en le priant, on se rend plus ouvert à son action, plus sensible à ses inspirations. Ensuite, je pense qu’il faut lui parler comme à un compagnon. On peut tout lui demander. Ce qui est important dans la prière à l’ange gardien, c’est de lui demander de nous aider à refuser les ténèbres autour de nous ou en nous, et à accueillir la lumière du Christ. On peut aussi lui demander de nous accompagner dans notre chemin vers le bonheur, de ne pas laisser l’obscurité du mal nous faire perdre de vue la beauté de Dieu et la beauté de ce qu’il fait pour nous. En tout cas, on devrait lui demander beaucoup plus que de nous aider à nous trouver une place de stationnement!

Mais comment parler à quelqu’un dont on ne connait même pas le nom?

Moi, je lui donne un surnom. C’est sans prétention. Je ne me prétends pas l’avoir reçu d’une révélation privée et je sais très bien que ce n’est pas son vrai nom. Mais lui donner un surnom me permet d’avoir une plus grande familiarité avec lui. Et puis, je le garde pour moi.

N’est-ce pas un peu enfantin ou mythologique d’imaginer l’existence d’êtres invisibles avec des ailes?

Évidemment, les chérubins ne ressemblent pas à des espèces de petits garçons joufflus ailés habillés en rose. Et l’archange saint Michel ne ressemble pas non plus à une espèce de beau gosse bodybuildé avec une épée et un bouclier à la main. On se donne le droit de les représenter tout en sachant qu’en réalité, ils ne ressemblent à rien puisqu’ils sont de purs esprits sans corps. Mais on se les représente pour nous aider à les imaginer et à les personnaliser. Parce que les anges sont des êtres personnels, ils ne sont pas des clones, des espèces d’ectoplasmes un peu flous. Les anges sont des personnes avec une intelligence, une volonté et une mission propres.

Pour quelle mission sont-ils envoyés exactement?

Chaque ange a été créé en vue d’un projet particulier. Mais, fondamentalement, la mission de tous les anges, c’est d’apporter leur collaboration au projet de Dieu pour la création. Dieu a tout créé, les hommes et tous les êtres qui habitent l’univers, afin que toute la création soit en communion avec lui. Et la mission des anges, c’est de collaborer à ce projet de Dieu.

C’est pareil pour nous, les humains. Nous sommes sur terre avec un sens à notre existence individuelle. Personne ne peut dire qu’il échappe à cette règle commune. Penser l’inverse est source d’un grand désespoir. Les gens qui se disent: «Mais pourquoi je suis là? Si je n’étais pas là, ce serait pareil. Ma vie n’a pas de raison d’être» souffrent beaucoup. C’est terrible d’en arriver à dire ça.

Et comment les anges agissent-ils concrètement?

Nous, nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu le Fils. Notre mission, notre vocation, c’est de ressembler au Christ, c’est d’aimer et de servir comme le Christ, pour que Dieu le Père reconnaisse en nous le visage de son propre Fils. Mais, nous dit Basile de Césarée, les anges ont été créés à l’image de l’Esprit saint. Cela veut dire que leur mode d’action est aussi comparable à celui de l’esprit. Or, pour les chrétiens, l’Esprit saint agit par inspiration. Il fait naitre en nous le désir d’aimer, de connaitre et de servir Dieu et notre prochain. Les anges ont le même mode d’opération, ils nous inspirent afin de nous inciter, de nous encourager, de nous orienter dans un service plus grand de Dieu et du prochain. N’attendons pas des anges des actions très extraordinaires ou extravagantes, même s’ils le peuvent, car leur manière ordinaire d’agir est plutôt de l’ordre de l’intime, au niveau du cœur.

Simon Lessard
Simon Lessard

Simon ne rate jamais une occasion de dialoguer avec les chercheurs de sens. Animateur des Verbomoteurs, son activité journalistique creuse tout particulièrement la vie ecclésiale canadienne et internationale à travers reportages et entrevues avec des figures marquantes. Son style caractéristique consiste à puiser dans les trésors de notre héritage culturel, combinant neuf et ancien pour interpréter les signes des temps. Il est responsable des partenariats et journaliste au Verbe médias.