Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Naya Ali: mener le bon combat

Des dents recouvertes d’or, des textes parfois belliqueux, une voix rauque. Derrière une attitude en apparence provocatrice, caractéristique du rap, se cache une artiste sensible et pleine de gratitude. D’origine éthiopienne, élevée à Montréal, Naya Ali se fraye un chemin dans le monde du hip-hop nord-américain. En février dernier, elle lançait son troisième album, We Did The Damn Thing, qui célèbre une carrière à laquelle Naya se consacre désormais à temps plein.

Le Verbe: Ton album parle clairement de victoires. De quoi es-tu le plus fière, exactement?

Naya Ali: Honnêtement, c’est juste d’avoir été capable de créer ma vie à partir de mes idées. Quand tu crées une chanson, c’est quelque chose qui est dans ta tête, dans ton esprit. On écoute une chanson. Une œuvre d’art, c’est présent. On peut l’entendre, la toucher. Mais le fait que ça existe vient de quelque chose de spirituel, quand même. On passe de rien à quelque chose. Je suis fière d’avoir été capable de bâtir ma vie à partir de mes idées, de mon esprit.

Dans quel sens veux-tu dire que c’est spirituel?

C’est l’aspect invisible. Pour moi, la musique, c’est spirituel avant tout. Personnellement, quand je crée – quand je freestyle sur le mic –, ce sont des idées qui viennent de quelque part. Il y a toujours une source à tout. Spécialement en musique. Ce sont des choses qu’on tient pour acquises. On ne se pose pas trop de questions. Mais le fait de créer quelque chose, c’est spirituel.

Comment définirais-tu la spiritualité, au sens large du terme?

Je pense que c’est le fait de comprendre qu’à la base, nous sommes des esprits, que la vie est spirituelle. Je pense que notre manière de vivre en société nous déconnecte de qui on est et nous fait voir la spiritualité comme quelque chose de non nécessaire, de pratiquement inexistant. Avec la musique, j’essaie de me présenter avec une énergie non seulement positive, mais lumineuse.

Oui, on sent ce côté positif dans ce que tu produis. Dirais-tu que ce n’est pas le cas pour le hip-hop en général?

Non, je ne dirais pas cela. C’est vrai qu’on le voit moins dans le hip-hop qui est promu de façon plus commerciale. Le hip-hop et le rap ont commencé comme une culture, une façon d’exprimer la réalité des gens à l’époque des quartiers afro-américains pauvres de New York. Le hip-hop, c’est une forme universelle pour lancer des mouvements sociaux, pour rassembler les gens, comme dans les manifestations. C’est l’un des genres les plus communs. Il y a une raison pour cela: c’est rassembleur. Le côté négatif ou positif dépend beaucoup de ce que tu veux communiquer.

Dans une entrevue avec Cult MTL, tu disais avoir attendu «longtemps pour renaitre». Qu’est-ce que tu voulais dire?

Je pense que ç’a été un processus graduel. Moi, j’ai fait tout ce qui m’était demandé. Et à la fin, je n’avais rien pour moi, il ne me restait plus rien. Je suis allée à l’école, j’ai mes diplômes. Être la fille de parents immigrants, ça vient avec de la pression. Je n’ai pas vécu ma vie pour moi. Je l’ai vécue avec une certaine culpabilité parce que ma mère avait sacrifié beaucoup de choses. Je me sentais obligée de faire certaines choses.

Je suis allée dans la musique comme une forme de thérapie. Je ne pensais pas faire quelque chose de ça. Je travaillais de neuf à cinq. J’aimais mon travail, mais je sentais que je n’étais pas propriétaire de ma vie. Je regardais mes collègues qui avaient chaque jour un peu moins de lumière et je me demandais si je devais, moi aussi, sacrifier ma vie par culpabilité. À un moment donné, je me suis dit que j’allais essayer de sortir de cette dynamique. La meilleure façon de découvrir quelque chose, c’est d’essayer. Puis j’ai essayé.

«Quand je crée, ce sont des idées qui viennent de quelque part. Il y a toujours une source à tout.»

Est-ce qu’il y a des éléments dans l’éducation que tu as reçue qui ont contribué positivement à la vie spirituelle que tu as aujourd’hui?

Oui, absolument. Ma mère est très chrétienne. J’ai grandi dans l’Église orthodoxe éthiopienne. Avoir une mère aussi dévouée à la spiritualité, à Dieu, ça m’a montré l’importance de croire dans les choses de l’au-delà. J’ai toujours admiré comment elle m’a élevée dans ses valeurs. Elle m’a montré beaucoup de compassion à travers elles. C’est une personne qui a beaucoup d’empathie, et j’ai appris de cela.

Le mauvais côté, c’est d’avoir été forcée à comprendre Dieu par la religion, les traditions. J’ai trouvé cela très enfermant, étouffant. Dieu, je l’ai cherché partout: à l’église, dans ceci et cela. À la fin, j’ai découvert que, premièrement, il est en nous. C’est la première chose que je voudrais apprendre à mes éventuels enfants: trouver Dieu en nous en premier, là où il est toujours présent.

Dieu n’est-il pour toi qu’une présence diffuse? Ou plutôt un être qui est aussi à l’extérieur de toi et avec qui tu peux avoir une relation?

Je le vois comme un être omniprésent, en dehors et en dedans à la fois. Présent, mais invisible. Je le vois beaucoup dans la nature. La beauté des choses, c’est de l’art; ça ne peut pas venir du hasard. Le corps humain, les cellules; tout est pensé. J’ai grandi dans les valeurs chrétiennes, alors mes croyances sont plus chrétiennes: je crois en Dieu, en Jésus, en l’Esprit Saint. Mais je n’ai pas toutes les réponses. Beaucoup de choses dans le monde sont faites au nom de Dieu, mais hors de Dieu. Comment puis-je suivre une religion qui a fait des choses hors de Dieu? Comment expliquer tout cela?

Quels moyens utilises-tu pour entrer en relation avec lui?

C’est difficile, spécialement dans les milieux musical et artistique. Pour être honnête, j’essaie. Il y a un combat. Pour moi, c’est avoir une conversation intérieure avec lui, prier – pas par des formules ou de manière rigide –, lui parler comme à un père. C’est une des façons que j’ai. Après, la vie nous prend par-ci, par-là, et j’oublie. J’aimerais avoir plus de communion avec lui.

Dans tes albums, à travers les paroles et la symbolique, il y a beaucoup de références chrétiennes. Trouves-tu que c’est difficile de les faire résonner au Québec?

Un peu. Je le fais pour moi en premier, pour m’exprimer. Je ne le fais pas pour convertir qui que ce soit. Je le fais pour que ça résonne pour les gens aussi, mais je pense qu’au Québec, ça accroche moins. Dès que tu parles de Dieu, il y a un malaise.

Tu as remporté en 2021 le Prix de la musique noire canadienne. Qu’est-ce que ça représente pour toi?

C’est une belle reconnaissance. En même temps, pour moi, la musique, c’est la musique. J’aimerais que l’on puisse, oui, reconnaitre la musique noire, mais aussi ouvrir plus largement. On dirait qu’au Québec, on aime avoir des versions plus standardisées, qui rentrent davantage dans une certaine idée de ce que devrait être le rap québécois. Je voudrais qu’on ouvre les horizons et qu’on inclue tout le monde qui fait partie de la culture hip-hop.

En ce sens, We Did The Damn Thing, c’est une victoire personnelle, mais aussi collective. Te conçois-tu comme portant le combat de la communauté noire, par exemple?

Je ne suis pas juste une femme noire, pas juste une Éthiopienne. Je m’identifie beaucoup aux combats des immigrants, des femmes, des femmes noires, et aussi des personnes qui croient en Dieu. Je suis une femme à plusieurs niveaux.

J’ai beaucoup d’expériences de vie qui ont fait en sorte que je suis devenue la personne que je suis. Plus jeune, à l’université, je travaillais dans un centre de femmes battues. J’ai vu beaucoup de choses. Je comprends mieux aujourd’hui la raison pour laquelle j’ai travaillé à cet endroit: c’est pour ne jamais oublier les femmes, les femmes de toutes couleurs et de toutes religions. Ce sont elles qui souffrent beaucoup en silence.

James Langlois
James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.