Dossier spécial

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Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Mc Gilles et son Jésus qui flash

Brise glacée, soleil éblouissant. Je me rends à la bibliothèque Monique-Corriveau de Québec pour y rejoindre MC Gilles. Si l’amoureux du kitch choisit ce lieu pour notre rencontre, c’est qu’enfant, il y a servi la messe. En effet, ce bâtiment à l’architecture surprenante était alors un lieu de culte catholique. « Moi, la messe, j’aime ça. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? » me lance-t-il, rieur, alors que nous entrons dans l’ancienne église de Saint-Denys-du-Plateau. Est-ce le fou du roi qui ironise ? Ai-je plutôt affaire à un véritable élan du cœur ? Conversation des plus sérieuses avec un éternel comique.

Le Verbe : Je savais que tu étais un amoureux de patrimoine religieux, mais j’ignorais que tu aimais aussi ce qui se passe dans la bâtisse ! Pourquoi ces choses te sont-elles si chères ?

MC Gilles : Il y a deux choses. Avant d’être un clown, j’ai fait mes sciences politiques ici, à l’Université Laval. Mon travail à la base – c’est ce que je fais, mais avec des blagues –, c’est analyser le pouvoir, les systèmes politiques. Si tu ne prends jamais en considération le fait spirituel ou religieux dans la géopolitique, tu ne comprendras pas ce qui se passe.

Puis la deuxième chose, c’est que moi, les rites, je trouve ça bien important. Surtout les rites millénaires, les rites de passage : le baptême, le mariage, les funérailles. J’ai assisté, par exemple, à beaucoup de funérailles d’amis – parce que je vieillis –, des funérailles laïques. C’est sûr que c’est un peu particulier quand on essaie de réinventer le livre en disant : « La vie, c’est comme un voilier : le voilier nous quitte et, au loin, on ne voit plus le voilier. Mais le voilier… » Je trouve ça un peu enfantin, un peu absurde.

Je ne suis pas un collectionneur, mais je suis un ramasseux. Chez nous, j’ai ce que j’appelle amicalement des bondieuseries. J’ai un prie-Dieu, une vieille Bible. C’est là-dedans que je lisais quand j’étais jeune. Et j’ai des choses un peu plus décalées, à cause de ce que je fais dans la vie : j’ai un Jésus qui allume. Il va à la vitesse de la lumière là, c’est malade (rires) ! Puis des disques, des tonnes de disques : de la country évangélique – c’est malade, la country évangélique ! – et tout ce qui vient de la vague des messes à gogo. Tout ça m’intéresse ben gros. Ça fait partie de la culture populaire.

Mais tu n’as pas seulement une passion pour le folklore religieux. Plus tôt, tu comparais les rites laïques aux rites religieux et tu semblais accorder une valeur supérieure aux seconds. Est-ce que je t’ai bien compris ?

Ben oui ! S’il y a une chose qui est sure, c’est qu’on nait et puis qu’on va mourir. Ce qu’il y a avant et après, on ne sait pas trop. Ici, au Québec, il y a tellement eu une emprise de l’Église qu’il y a eu une réaction. C’est tout à fait normal.

On va être positif et on va dire que, pour la moitié de l’humanité, ce n’est pas facile. Si tu ne crois en rien d’autre que ce qui se passe sur la Terre, ça n’ira pas bien. Il faut que tu aies une aspiration autre. Sinon, pourquoi est-ce que je nais dans ce pays-là, avec tous ces problèmes-là ? Je vais te donner un exemple concret. Au Québec, il y a dix Premières Nations et les Inuits, puis il y a nous. Les plus dévotes, ce sont les Premières Nations, et pourtant, ce sont elles qui ont le plus souffert de la colonisation. Et ces paradoxes-là sont intéressants. Il ne faut pas se fermer à ça, mais essayer de comprendre pourquoi. Ce n’est pas parce qu’il y a une période où l’Église a été terrible avec les Premières Nations qu’elles n’ont pas le droit de croire en quelque chose au-dessus de ce que l’être humain leur a apporté, tu comprends ?

Mais je pense que, pour nous aussi, il y a comme une grande réconciliation à avoir, et puis qu’après, ça va aller mieux. Mais on n’est pas encore tout à fait là.

« Quand tu déifies un système ou des êtres humains, ça ne fonctionne pas. Mon travail, c’est de mettre la lumière là-dessus. »

  • Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

À l’époque où tu étais enfant de chœur, avais-tu la foi ? Si oui, l’as-tu encore ?

Ça, je pense que je ne l’ai pas trouvée, pour être franc. Quand j’étais jeune, je disais que je voulais devenir pape. Ma mère m’a dit : « C’est un petit peu trop contingenté. » Mais non, je ne l’ai pas, la foi.

J’aimerais peut-être ça, la ressentir ! Mais ce que j’aime, c’est la profondeur de la chose sacrée. Surtout dans la musique, dans l’architecture. Tu sais, à Paris, il y a la Sainte-Chapelle. C’est saint Louis qui a fait faire ça. Il y a des vitraux sur l’équivalent de dix étages. Tu ne vois pas de poutres parce que tout est caché. Personne ne pourrait construire quelque chose comme ça sans croire en quelque chose de supérieur. L’idée de construire une basilique ou une cathédrale sur plusieurs générations, avec les moyens du bord, si tu ne crois pas…

C’est quelque chose de fascinant : même un artiste qui fait ça pour lui ou pour nous – qui se donne –, il ne réussira pas à accoter du monde qui croit en quelque chose de plus grand, que ça existe ou pas. C’est parce qu’ils veulent démontrer aux autres que quelque chose de plus grand existe.

Mais il y a une autre affaire. Si tu te ramasses dans la rue parce que tu as des problèmes – j’en ai eu, moi, des problèmes de santé mentale; j’me suis pas ramassé dans rue, là, mais j’aurais pu –, qui va te donner à manger ? Ce sont encore parfois des communautés religieuses ! Autrement dit, elles en font plus que moi. Je serais qui, moi, pour juger ?

C’est souffrant, la vie, là. Ce n’est pas facile. Ce n’est pas une walk in the park – même si pour nous ce l’est plus que pour bien du monde. Moi, je pense qu’il n’y a rien après. Mais si croire, ça vous permet de passer un meilleur bout…

Tu dis : « Je pense qu'il n'y a rien après. » Mais tu ne dis pas : « Je suis sûr qu'il n'y a rien après. »

Personne n'est sûr. La vieille blague disait : si tu es un bon gambler, tu fais mieux de croire qu'il y a quelque chose, parce que de toute façon, tu n'as rien à perdre.

Ça nous vient du philosophe Blaise Pascal, cette vieille blague là.

Ça, c’est assez comique ! Tu me demandais si j’ai la foi… Tu vois, moi, il y a une chose qui pourrait peut-être venir me chercher. Dans le Nouveau Testament, il y a une affaire qui est assez confrontante, je trouve. C’est le moment où Jésus – le fils de Dieu – doute sur la croix. Il dit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46). C’est intéressant : Dieu doute de l’existence de Dieu. Tu te dis que si Dieu doute de l’existence de Dieu, moi, ça doit être correct aussi.

Si l’on cherche le fil rouge qui relie les différents projets de ta carrière télé – PaparaGilles, Infoman, Tout le monde en parle –, on trouve cette volonté de révéler au monde politique et artistique ses absurdités, ses incohérences, peut-être même sa futilité. C’est important pour toi de tenir ce rôle ?

Mon seul but, c’est ce que tu viens de dire. Le star-système, c’est artificiel, c’est complètement ridicule. Quand tu déifies un système ou des êtres humains, ça ne fonctionne pas. Mon travail, c’est de mettre la lumière là-dessus.

Tu critiques le vedettariat, mais en même temps tu en fais partie. Est-ce que ça exerce une forme de pression sur toi ?

Tout mon bout rough d’il y a quatre ou cinq ans, c’était sur l’égo ! Je me disais : « Faut que tout le monde m’aime ! Me semble que moi, je travaille pour le monde, puis le monde ne s’en aperçoit pas… » Et c’est là qu’arrive la bonne question de la psy : « Qu’est-ce que ça ferait si tout le monde te haïssait ? »

Ce que ça montre, au fond, c’est que tu penses à toi, tu ne penses pas aux autres ! Tu penses au fait que toi, tu veux que les gens t’aiment ! « Mais il me semblait que tu faisais ça pour les autres ? » Ce paradoxe-là m’a sauté dans la face et j’ai dit : « Ben oui ! » J’ai pris l’égo, puis je l’ai évacué. Fais ce que tu fais pour les bonnes raisons. Dis ce que tu penses qui vient de là [il se frappe la poitrine], puis ça va marcher !

Anne-Marie Rodrigue
Anne-Marie Rodrigue

Embauchée à titre de journaliste, Anne-Marie s’émerveille aisément. Diplômée en philosophie, elle est animée par un désir de créer des ponts entre l’univers des grandes questions et la vie bien incarnée de tous les jours.