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Courtoisie Famille Kizito

Faire sien un bidonville d'Haïti avec soeur Paësie

Texte écrit par Clément Chatanay

Sœur Paësie habite les bidonvilles d’Haïti depuis près de 30 ans. D’abord au chevet des malades, et depuis quelques années auprès des enfants, elle lutte contre la pauvreté et la violence avec une espérance à toute épreuve. Rencontrée en France, elle nous parle de ses petits protégés qui vivent dans la misère et sous la menace des gangs. Une vocation étonnante née de l’exemple de mère Teresa.

Le Verbe: En 1987, à la fin de votre lycée, vous avez rejoint les Sœurs de la Charité fondées par mère Teresa. Envoyée en Haïti, vous avez vu beaucoup d’enfants exposés, dans la rue, à la violence et à l’immoralité. Vous avez alors senti un nouvel appel du Seigneur pour vous occuper d’eux. Quelle forme prend votre mission aujourd’hui?

Sœur Paësie: Je vis sur cette ile des Caraïbes depuis 26 ans. J’y ai fondé une nouvelle communauté religieuse, Famille Kizito, qui œuvre pour la protection et l’évangélisation des enfants des rues. Nous sommes principalement présents à la Cité Soleil.

Dans huit écoles gratuites, nous accueillons 1600 enfants qui n’ont jamais été scolarisés. Dans nos sept foyers, nous accueillons 180 enfants qui vivaient dans la rue. Nous animons aussi des centres de catéchisme, où 1200 enfants viennent se former.

Nous avons également des équipes de football, des cours de musique et d’autres activités. L’idée générale est de créer des lieux où les enfants peuvent être protégés, apprendre, manger, s’épanouir et découvrir l’amour de Jésus.

Famille Kizito a huit ans. Voyez-vous déjà les fruits de votre action?

Parmi les jeunes qui ont intégré nos foyers, une trentaine sont devenus catéchistes, animateurs ou chefs scouts. Il y a notamment ce garçon qui ne vivait pas dans la rue, mais avec son père, un chef de bande qui ne s’occupait pas de lui. À 12 ans, il s’est rendu compte qu’il risquait de mal tourner. Avec l’accord de son père, il a intégré un de nos foyers et y a grandi. Aujourd’hui, il est chef scout, catéchiste et s’occupe des plus jeunes.

Mais pourquoi avoir fondé une nouvelle communauté alors que les Sœurs de la Charité semblent faire la même chose?

Le charisme de la Famille Kizito est en effet exactement celui de mère Teresa. Mon inspiration initiale est née d’une phrase qu’elle a reçue du Seigneur dans une vision, en 1947. Jésus en croix lui montrait un groupe d’enfants dans la pénombre en disant: «Ces enfants ne m’aiment pas parce qu’ils ne me connaissent pas. Et si tu savais comme cela me fait mal de voir leurs âmes pures et innocentes salies par le péché». Cette phrase m’est revenue quand j’ai vu ces enfants qui trainaient dans les rues de Port-au-Prince.

  • Courtoisie Famille Kizito

Quelles sont les différences entre les deux communautés alors?

En Haïti, les Sœurs de mère Teresa offrent un service médical. Ici, les pauvres n’ont pas accès aux soins de santé, alors elles dirigent des dispensaires où elles accueillent les malades jour et nuit. C’est très intense: plusieurs milliers de malades passent tous les ans dans leurs différentes maisons.

De son côté, Famille Kizito porte donc toute son attention sur les enfants de la rue, nous avons un dispensaire pour nos besoins internes et celui des parents d’élèves. Nous veillons à ne pas trop nous engager dans la partie médicale, sinon nous ne pourrons plus assurer la protection, l’évangélisation et l’éducation des enfants.

Pourquoi avoir pris le nom de «Famille Kizito»?

Né en Afrique, Kizito est le plus jeune du groupe des martyrs de l’Ouganda. À la fin du 19e siècle, il était page à la cour du roi Mwanga II. Il avait rencontré le Christ grâce à Charles Lwanga, chef de ces jeunes au service du roi. Mais ce dernier était pédophile et rejetait la religion chrétienne. Kizito est mort pour sa foi et sa pureté. Je l’ai donc choisi comme modèle et source d’inspiration pour ceux de nos enfants qui sont d’origine africaine.

Quelles sont les forces qui s’opposent aujourd’hui au développement des enfants et à votre action?

À la Cité Soleil, le degré de pauvreté est incroyable. Les enfants passent ainsi des journées sans manger et ils ont même parfois du mal à trouver à boire! La pauvreté à ce niveau est déshumanisante. Émile Zola le montre bien dans ces récits: dans les familles très pauvres, les mamans s’endurcissent souvent par la violence de cette pauvreté.

Prenons le cas d’une femme qui, abandonnée par le père de ses enfants, travaille toute la journée dans des conditions très difficiles et qui, malgré cela, n’arrive pas à joindre les deux bouts ni à trouver de la nourriture pour ses enfants. Cette femme vit avec un niveau de stress énorme qui peut la rendre dure avec ses enfants. Elle reporte parfois sur eux le fait d’être abandonnée par leur père: en les négligeant, elle se venge de lui.

  • Courtoisie Famille Kizito

Haïti est à l’image de ses familles: extrêmement troublée. Quelle est la situation politique actuelle et quelle est son incidence sur votre quotidien?

C’est le chaos complet. Les gangs contrôlent la ville et les axes routiers. Ils détruisent et pillent. Ils font des discours pour faire croire qu’ils ont le souci de la population, mais ce n’est pas vrai du tout! Au quotidien, ils font la pluie et le beau temps. Par exemple, lundi dernier, un chef de gang a déclaré que personne ne devait sortir de chez soi. Tout le monde a eu peur: la moitié des élèves de notre quartier n’ont pu venir à l’école, car il n’y avait pas de transport en commun et les rues étaient barricadées. Cette semaine, il nous a fallu slalomer entre les barricades avec nos motos pour aller faire notre marché… Il faut constamment nous adapter.

Mais d’où viennent ces gangs?

Ils ont été créés par la classe politique qui les paie et les arme pour contrôler les quartiers populaires comme notre bidonville. Comme ça, le jour de l’élection, tous les habitants sont obligés de voter pour le candidat qui finance le gang contrôlant ce quartier. C’est une honte que la communauté internationale continue à financer ce type d’élection, à féliciter les nouveaux présidents élus, alors qu’aucune de ces élections n’est honnête. Ensuite, les élections faites, les gangs font du chantage sur les élus en disant qu’ils vont renverser le gouvernement… Les politiciens leur donnent alors à nouveau de l’argent.

En plus des défis bien réels du quotidien dans un bidonville contrôlé par des gangs, il y a aussi des combats d’une nature plus spirituelle. En Haïti, le culte vaudou, qui mêle animisme africain et tradition chrétienne, imprègne fortement la culture. Qu’observez-vous?

Je vois que le démon agit à travers cette «religion» basée sur la peur. Les esprits des vaudous étant maléfiques, les gens s’en protègent en organisant des cérémonies. Les conséquences sont très négatives sur le pays tout entier, car cette pratique enferme dans la méfiance. Si l’on croit que les accidents, maladies ou décès sont forcément liés à une personne qui nous veut du mal, la recherche du coupable est inévitable. On cherche qui accuser pour se venger.

On dirait qu’un malheur n’attend pas l’autre en Haïti. Encore récemment, le pays a fait les gros titres avec le choléra. Depuis le début de l’année 2025, la maladie a touché plus de 3000 personnes et causé plus de 50 décès. La crise est-elle passée?

Il y a eu beaucoup plus de décès lors de la première éclosion, où nous avons perdu plusieurs enfants. Maintenant, les habitants sont un peu plus expérimentés: on a mis en place le lavage des mains et l’utilisation du chlore. Dans les derniers mois, nous n’avons pas eu d’enfants contaminés.

  • Courtoisie Famille Kizito

Fin octobre, l’ouragan Melissa est aussi venu causer des ravages en Haïti. Avez-vous été épargnés?

Le cyclone a touché le sud de l’ile. Certains de nos enfants ont été touchés là où nous avons une école dans les montagnes. Au bidonville de Cité Soleil, nous avons eu des inondations. Les canaux ne sont pas nettoyés régulièrement, alors ils débordent souvent. À chaque fois qu’il y a de fortes pluies, il y a des morts.  

Comment faites-vous, avec les autres sœurs et bénévoles, pour ne pas être gagnés par le découragement? On pourrait croire qu’Haïti est une terre maudite avec tout ce qui s’y passe.

Dans un sens, c’est vrai, les catastrophes s’accumulent. Mais, selon moi, les plus grandes catastrophes sont l’égoïsme, la corruption, l’absence de recherche du bien commun. Elles sont les vraies responsables de cette autodestruction qui dure depuis plusieurs décennies.

Au quotidien, nous nous appuyons sur le Christ et notre vie de prière. On se concentre davantage sur les enfants. C’est beaucoup plus positif, joyeux et plein d’espérance quand on voit leur potentiel, leur énergie et leur joie alors qu’ils se débattent dans ces conditions si difficiles et qu’on voit combien ils sont courageux et résilients! J’observe aussi que beaucoup d’Haïtiens sont de meilleurs récepteurs de la grâce du Seigneur, car ils sont dans une situation tellement désespérée qu’ils regardent souvent vers le Ciel.

Le Seigneur est bien présent, il est là au cœur de cet enfer. C’est paradoxal en Haïti: nous sommes très proches de l’enfer et très proches aussi du Ciel.

Collaboration spéciale
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