C’est la fête du Verbe incarné!

Faites un cadeau à des chercheurs de sens ! Chaque 1 $ donné au Verbe permet de rejoindre 1 chercheur de sens.

Je fais un cadeau aux chercheurs de sens
Fermer
Photo : Constance Carpanese

Du Québec à New York, l'artiste peintre Joséphine Dubern

Au coin des rues Elizabeth et Bleecker, au cœur de Manhattan, les larges fenêtres d’un immeuble de briques pâles laissent entrevoir une galerie d’art bondée. Le vernissage de la première exposition solo de l’artiste québécoise d’adoption Joséphine Dubern, placée sous le signe de la fécondité, est un franc succès.

Vierge à l’Enfant, Le présent solennel, Rabbouni: une vingtaine d'œuvres colorées de formats variés habitent l’espace de la galerie principale du Sheen Center, qui semble avoir été bâtie pour elles. Les tableaux évoquent des thèmes contemplatifs, intimes et bibliques. Comment ses toiles ont-elles trouvé leur place au cœur du quartier SoHo, réputé pour son effervescence artistique depuis les années 1960?

Dès l’enfance

Près de la montagne Sainte-Victoire dans le sud de la France, une enfant de 8 ans, familière des musées, peint dans l’atelier de sa mère. «C'était un atelier d'expression libre, donc on peignait librement. C'était très fort, que ça ne soit pas dirigé, qu’on ne t'impose rien.» Initiée jeune à cette technique capricieuse qu’est la peinture à l’huile, elle avance en confiance grâce à cette présence maternelle. La petite Joséphine a le nez plongé dans de grands livres d’art. Elle se laisse imprégner des gestes et des palettes des grands peintres et tente de les imiter, de les comprendre, de les revisiter sur ses toiles.

En grandissant, elle conserve une familiarité avec cette pratique artistique, sans pourtant considérer s’y consacrer davantage. Au début de la vingtaine, Joséphine quitte son Aix-en-Provence natale, s’éloignant de ses proches, de la foi de sa mère et de la peinture tout à la fois. Elle traverse l’océan et entame des études en communications à l’Université de Montréal. Les pinceaux et les toiles sont remisés, mais elle continue de frayer avec le milieu artistique, alors qu’elle occupe des emplois au sein d’organismes spécialisés dans le cinéma et la danse.

Assoiffée

À l’aube de sa vie professionnelle, Joséphine ressent toutefois une impression de manque, une grande soif de sens. Elle entame alors une quête spirituelle, qui l’amène entre autres à fréquenter les Fraternités monastiques de Jérusalem, une communauté religieuse. Elle se sent étrangement chez elle dans leur sanctuaire, un lieu fait de silence et de beauté érigé au cœur de la ville. Elle qui a pourtant grandi dans la foi catholique depuis le berceau vit une véritable conversion. Des rencontres viennent la bouleverser et orienter son parcours. Entre autres, elle se rapproche d’autres jeunes, qui comme elle, découvrent et s’approprient leur foi. À l’été 2019, elle reçoit le sacrement de la confirmation.

Pour la première fois, elle rencontre personnellement celui dont elle avait tant entendu parler: Jésus. Avec ce grand chamboulement intérieur vient un grand besoin d’expression. «Ça faisait tellement mal en moi, je ne savais pas comment l'exprimer. Je sentais qu'il y avait quelque chose d'immense qu'il fallait que je dise, mais je ne savais pas ce que c'était.»

Parce que c’est ce qu’elle connait, elle reprend le pinceau. Elle recommence à peindre discrètement. «J'ai peint des choses qui sortaient de moi, des émotions. [C’étaient] des moments de peinture, des moments de mouvement et d'exploration, comme [les vivent les] enfants.» Seule devant ses toiles, l’intensité de sa soif d’expression ne diminue pas. «J’ai envie de déplacer des montagnes», confie-t-elle alors à Louis, cet ami artiste et catholique lui aussi qui deviendra son époux quelques années plus tard. Prête à tout, mais sans attentes, elle soumet une demande d’admission aux Beaux-Arts de Marseille. Elle est acceptée.

  • Photo: Sean McCullough

Mettre à nu son espérance

L’école des Beaux-Arts est un milieu stimulant et dense. Joséphine s’y lance tête baissée, sans trop de certitude, sauf celle de vouloir «peindre pour la gloire de Dieu et pour communiquer ce grand mystère qui [l’]habite». Elle est parfois saisie de vertige. Toute sa démarche artistique est indissociable de sa foi intime. Comment peindre et, surtout, comment mettre à nu son espérance dans un monde sans Dieu? «Aux Beaux-Arts, j’avais très, très peur», confie-t-elle. Comme pour bien des artistes animés par la foi, la tentation peut se présenter de devoir choisir entre l’art et Dieu. Mais elle refuse ce dilemme et choisit de persister dans sa voie.

C’est lors d’un stage avec l’artiste établi Vincent Fournier qu’elle trouve la confiance qui lui manquait. «J’ai compris qu’on pouvait faire de l'art abstrait qui s'inscrit dans le monde de l'art contemporain et qui peut être vu par tout le monde, pas forcément que par des croyants.» Celui qu’elle décrit comme un mystique, passionné par les saints et leur histoire, lui inspire beaucoup d’admiration. Cette rencontre fraternelle est marquante. Elle en retient une leçon d’abandon total à Dieu. Le peintre insiste auprès de Joséphine sur l’importance de montrer son travail, de laisser le regard de l’autre se poser sur soi, afin de murir dans la peinture.

Comme on entre en religion

Dans un ouvrage consacré à la peintre Etel Adnan, Joséphine lit un jour une citation qui la saisit: «On entre en art comme on entre en religion.» Au contact des moniales qu’elle rencontre sur son chemin, la jeune artiste se demande justement: «Comment peut-on choisir une vie comme celle-là et rayonner autant?»

Inspirée par la docilité des sœurs à la prière, elle apprend à embrasser la répétition du geste dans la peinture. Elle peint comme elles prient: avec tout le corps. Du rythme de la vie monastique, elle apprend à chérir la lenteur et la longueur du processus de création.

Elle acquiert aussi peu à peu le renoncement et l’humilité: «J'avais plein d'ambition, et c'était dur de voir que j'étais juste moi, même face à mes toiles. Je n’étais pas comme une sœur tout de suite, qui répétait facilement chaque mouvement, qui était docile à la prière ou, dans mon cas, à la peinture.» Comme une novice impatiente qui doit dompter son ardeur, Joséphine s’exerce concrètement à l’abandon. Et cela lui donne beaucoup de joie.

Becoming Becoming

Ayant obtenu son diplôme avec les honneurs du jury, Joséphine accueille son premier enfant. Sa foi et sa maternité s'influencent et se nourrissent mutuellement. On peut lire dans une entrée de son journal intime, dont elle a rendu publics des extraits dans le cadre de son exposition: «La maternité décentre et fait progresser dans la Vie / Elle m’apporte un autre regard sur l’importance de ma carrière.» Finies les longues heures à l’atelier. Les moments consacrés à la peinture sont plus rares, plus brefs, moins spontanés.

Même si tout est chamboulé, peindre demeure toujours un moment fort d’intimité avec Dieu. «Pour moi, écrit-elle, la peinture est une forme de prière, chaque toile étant une cocréation avec le Seigneur.»

Lors d’un allaitement nocturne, faisant défiler les publications Instagram pour se garder éveillée, Joséphine découvre le compte du collectif d’artistes catholiques new-yorkais Arthouse2B. Enchantée, elle les contacte aussitôt. Le coup de foudre est entier, de part et d’autre. Erin McAtee, une des cofondatrices du groupe, s’éprend particulièrement du travail de Joséphine et lui offre une occasion en or: présenter ses œuvres à New York, dans le cadre d’une exposition solo ayant pour thème… la maternité et la vocation artistique!

Ce collectif new-yorkais d'artistes est fondé en 2020 par Erin McAtee et Claire Kretzschmar. Aujourd’hui devenu une communauté florissante, il transforme le paysage artistique en encourageant ses membres à vivre pleinement leurs convictions, à laisser leur spiritualité inspirer leur travail et à partager autant leur foi que leurs créations.

«Une mère a-t-elle quelque chose d’unique à offrir au monde à travers son art, précisément en vertu de son état de vie?» se questionne Lucy Rahner, membre du collectif et cocommissaire de l’exposition qui s'intitulera Becoming Becoming. Dans sa présentation des œuvres choisies de Joséphine, elle poursuit: «Une mère est, par son être même, gestationnelle, intimement liée à la création avec tout son être. Dans son œuvre d’enfantement […], elle unit le terrestre et le céleste, l’incarné et le contemplatif, comme personne d’autre. Et c’est précisément là l’enjeu de l’art.»

«Sans lui, je ne suis rien»

Joséphine n’a pas trente ans et porte joyeusement son deuxième bambin sur la hanche lors du vernissage de son exposition. Le public présent est saisi d’une vertigineuse liberté d’interprétation devant les tableaux. L’artiste a tenu, pour l’occasion, à retirer les cartels, ces petits cartons sur lesquels on peut lire leurs titres.

Ces «compositions abstraites saisissantes et colorées», comme les décrit Lucy Rahner, touchent et bouleversent des cœurs. D’abord celui du prêtre qui bénit l’exposition, puis celui de lamie qui lui achète une petite toile aux teintes rosées. Plusieurs visiteurs se laissent rejoindre en silence, alors que d’autres expriment à l’artiste leur émotion ou leur admiration.

Joséphine reçoit ces échos comme un cadeau.

«Et pourtant, écrit-elle quelques mois auparavant dans son journal, Dieu m’accompagne dans ce travail de peinture. / Chaque geste sur la toile est guidé par ses mains, tendres et fortes. / Sans lui, je ne suis rien. / Et surtout, sans lui, je ne pourrais rien vous montrer.»

Noémie Brassard
Noémie Brassard

Noémie est mère de 4 enfants. Dans son ancienne vie, elle a complété une maitrise en cinéma à l’Université de Montréal. Ses recherches portaient sur les films réalisés par les religieuses au Québec. Elle a préalablement réalisé deux courts métrages documentaires ayant voyagé plus qu’elle-même.