Illustration : Marie Laliberté/Le Verbe

Un paysage pas laïc du tout

Si l’État se veut laïc, la société, elle — composée d’individus et de communautés aux croyances variées —, ne l’est pas. Par conséquent, le paysage non plus! Il suffit d’une petite balade dans les régions du Québec pour le vérifier. La diversité des signes religieux dans l’espace, public ou privé, est étonnante. Voici quelques expressions concrètes de notre héritage de foi aux abords des routes de mon coin de pays: la Mauricie.

  • Le calvaire de Trois-Rivières-Ouest

    Érigé en 1820, ce calvaire, représentation sculptée du Christ en croix, est l’un des plus anciens au Québec. Deux versions de l’histoire circulent à propos de ce monument. Certains racontent qu’il aurait été construit par un père de famille éploré, après le décès tragique de ses trois enfants dans l’incendie de sa maison. Selon des historiens, toutefois, le calvaire perpétuerait plutôt la mémoire d’une bataille contre les Iroquois ayant fait plusieurs morts à l’époque de la Nouvelle-France. Dans tous les cas, l’image de Jésus crucifié se veut un signe d’espérance et témoigne de la foi en la vie éternelle, rendue possible par le sacrifice du Christ. De tels monuments ponctuaient jadis en abondance le paysage québécois, le long des routes et dans les cimetières.

    D’abord situé sur un terrain privé, le calvaire de Trois-Rivières-Ouest a été déménagé à son emplacement actuel sur la rue Notre-Dame Ouest dans les années 1950, cédé à la municipalité, puis classé monument historique en 1983. Des spécialistes qui ont travaillé à sa restauration attribuent le corpus (sculpture du Christ) à un artiste renommé, soit Thomas Baillairgé ou Louis-Thomas Berlinguet.

  • Les statues du Sacré-Cœur et de la Vierge

    Ces petites niches abritant des statues religieuses, souvent appelées «grottes à la Vierge», foisonnent dans la région. De nombreuses propriétés arborent de tels monuments, notamment cette cabane à sucre très fréquentée à Saint-Justin, qui expose fièrement à l’entrée son Sacré-Cœur et sa Vierge Marie fraichement repeints. À la fois héritage familial, aménagement paysager, témoignage de foi et d’amour du patrimoine, ces objets bénéficient d’un entretien et d’un attachement singuliers. L’hiver, on les recouvre d’une bâche, on construit un coffre autour de la niche ou on retire carrément les statues, afin d’éviter les dommages causés par les intempéries. L’été, on plante des fleurs tout autour.

    Niches mariales pour la plupart, les «grottes» contiennent parfois les effigies d’autres personnages, comme sainte Anne, saint Antoine de Padoue ou le Sacré-Cœur de Jésus. Petits sanctuaires domestiques, ces monuments veulent attirer la protection divine sur la propriété et ses habitants.  

  • La chapelle votive

    La présence de ce minuscule lieu de culte au milieu d’une campagne boisée à Saint-Édouard-de-Maskinongé a de quoi surprendre. À l’intérieur, de nombreux objets de piété et des cierges allumés invitent les curieux à se recueillir. C’est une chapelle votive, ou ex-voto, c’est-à-dire construite à la suite d’un vœu. En 2003, son propriétaire reçoit un diagnostic de cancer grave; les médecins lui donnent deux ans à vivre, tout au plus. Espérant contre toute espérance, le malade promet à la Vierge Marie de lui édifier une chapelle s’il guérit. Après des traitements et au terme de ces deux années, on ne lui trouve plus aucune cellule cancéreuse… et la chapelle voit le jour!

    Bien que moins nombreux qu’avant, ces petites chapelles ou sanctuaires initiés par des croyants existent encore à de nombreux endroits au Québec. On peut ajouter à cela les croix de chemin, autres manifestations de la foi populaire qui marquent notre territoire rural. 

  • La statue miraculeuse de sainte Anne

    Avec ses grands yeux écarquillés et son bras levé — comme pour donner une gifle, dirait-on! —, cette statue colossale intrigue et fait presque peur en même temps. À une certaine époque, cependant, elle attirait les foules, et on a même dû la placer dans cet édicule vitré pour empêcher les pèlerins de s’en couper des morceaux. Sculptée en 1832 dans les ateliers de Thomas Baillairgé, à Québec, elle est d’abord installée sur la façade de la première église Sainte-Anne de Yamachiche. Descendue de son trône à la suite de la démolition de ce bâtiment, en 1870, l’effigie de la sainte est relocalisée dans le cimetière paroissial. Peu après cet évènement, des malades venus prier au pied de la statue racontent leur guérison miraculeuse attribuée à l’intercession de sainte Anne. Les pèlerinages au village de Yamachiche prennent dès lors une ampleur importante, d’autant plus que les Canadiens français affectionnent particulièrement, dans l’éventail des saints, la grand-mère de Jésus et mère de la Vierge. Aujourd’hui encore, on s’y rend nombreux pour les célébrations de la fête patronale, le 26 juillet.   

  • La couronne mariale

    Implanté au milieu d’un rondpoint reliant des voies de circulation majeures de Trois-Rivières, ce monument commémoratif rappelle l’influence considérable de la dévotion à la Vierge Marie sur le cours de l’histoire, même récente, du Québec. La structure en forme de couronne a été édifiée en 1954, année mariale décrétée par le pape Pie XII (le monument est d’ailleurs situé à côté du parc Pie-XII). Lors du 350e anniversaire de la ville, en 1984, une statue de Marie est ajoutée à l’ensemble. Elle est bénie par saint Jean-Paul II quelques mois plus tard, quand le pape s’arrête dans la ville durant sa visite en sol canadien. Exposée à la vue de milliers de passants et d’automobilistes chaque jour, la couronne mariale est un véritable point de repère urbain en plus d’être reconnue des Trifluviens pour sa valeur historique et symbolique.    

Que serait notre territoire sans ces marqueurs de sens? Témoins de ce qui anime le cœur des habitants d’un lieu, les monuments, statues et autres ouvrages pieux qui parsèment les paysages du Québec sont autant de fenêtres sur l’âme de notre peuple.

Agathe Chiasson-Leblanc
Agathe Chiasson-Leblanc

Formée en histoire de l’art, Agathe réalise une multitude de travaux sur le patrimoine culturel du Québec. Elle trouve sa joie dans tout ce qui élève l’âme : les arts, les livres, les grandes amitiés, la connaissance de la vie des saints. Mariée, elle est mère de quatre enfants.