
Sieger Köder: prêcher par l’art
Texte de André-Guy Robert
Encore méconnu hors d’Allemagne, Sieger Köder (1925-2015) compte pourtant parmi les peintres d’art chrétien les plus importants du 20e siècle. On disait de lui qu’«il prêchait en images». Portrait d’un artiste… consacré.
Jeune Allemand envoyé au front durant la Deuxième Guerre mondiale, Sieger Köder connait les combats et la détention. Il garde de ces expériences une sensibilité particulière pour la condition humaine. Son œuvre en sera marquée.
Après sa libération, il étudie l’orfèvrerie, la peinture, l’histoire de l’art et même l’anglais.
Professeur d’art dans une école secondaire pendant plusieurs années, il pourrait mener une carrière d’enseignant jusqu’à sa retraite, mais au mi-temps de sa vie, il s’intéresse à la théologie. Un tournant majeur. Ordonné prêtre à 46 ans, il s’emploie ensuite à illustrer des scènes marquantes de la Bible non seulement pendant son ministère, mais jusqu’à la fin de sa longue vie (90 ans).
Son œuvre a été couronnée de nombreux prix. En 1985, le pape Jean-Paul II lui décerne même l’Ordre du mérite et le titre honorifique de Monseigneur.
Un choc
Dans sa préface à l’ouvrage phare de Kandinsky, Du Spirituel dans l’art, et de la peinture en particulier, Philippe Sers affirme que le pouvoir d’une œuvre d’art est de «mettre l’âme humaine en vibration». Les tableaux de Sieger Köder produisent cet effet. Ses images s’imposent telle une synthèse percutante de scènes vues mille fois pour quiconque a mis les pieds dans un église, mais autrement. Rien de fade, de mièvre ou de convenu. Concrète et directe, l’interprétation figurée, mais éminemment personnelle, du récit biblique interpelle le spectateur dans son intimité, ses valeurs et son engagement.
Pour le chrétien comme pour le non-croyant, c’est un choc esthétique, intellectuel même.
De l’art
L’amateur d’art sent que le travail de Sieger Köder est celui d’un artiste de premier plan. Il y reconnait l’esprit de Marc Chagall: naïf, plein de fraicheur et pourtant riche en symboles. Le bleu et le rouge de Chagall passent dans la palette de Köder, qui les charge d’un sens moral. Sous leur facture figurative presque enfantine, voire mal dégrossie, les peintures s’avèrent plus savantes qu’il n’y parait au premier coup d’œil.
Nul besoin d’être croyant pour admirer la concision des compositions, la symbolique des couleurs, les lignes de force et la structure géométrique des images. Fidèle à la tradition des artistes du Moyen Âge, Köder raconte à tout venant. Il enseigne par l’image et fait comprendre. En choisissant de représenter côte à côte des figures bibliques traditionnelles et des personnages du 20e siècle, il inscrit ses représentations dans l’actualité de son époque. Le temps et l’espace deviennent simultanés.
Le spectateur sensible au sacré, aux symboles et à la poésie tombera sous le charme de cette œuvre métaphorique qui provoque d’abord la surprise, puis la joie de découvrir des détails de génie.
Du contenu
Après deux-mille ans de christianisme, l’épisode du lavement des pieds a fait l’objet de nombreuses représentations. Köder arrive pourtant à le réinventer en y montrant Jésus, la tête enfouie dans le sein de Pierre qui se penche sur lui. Surprise: c’est dans la bassine où trempent les pieds du disciple que le visage du maitre se révèle.
Dans le tableau ci-contre, au lieu de représenter Jésus chargé de sa croix, Köder imagine les deux mains du supplicié empoignant la poutre mortifère pour la sortir lui-même… d’un entrepôt!
- Jésus est chargé de sa croix
Ou encore, il présente la Pentecôte sous l’aspect d’une «tour de l’Esprit», antithèse de la tour de Babel. Au lieu des langues de feu, c’est un édifice où des gens très divers ont ouvert leur fenêtre et s’entendent!
Devant ces images intrigantes, le spectateur curieux aura peut-être envie de remonter à la source et d’interroger la Bible. L’illustration déconcerte, inspire et pousse à l’approfondissement.
Le message est dans l’œuvre
«Des gens demandent à voir le peintre, disait Sieger Köder dans une entrevue. S’ils s’intéressent autant au peintre, ajoutait-il, c’est qu’ils n’ont rien compris à sa peinture.» Autrement dit: demandez plutôt à voir ses peintures! Il est là, Celui que vous cherchez.
Köder témoigne du mystère d’un Dieu qui a aimé les Hommes au point d’en devenir un.
Les tableaux, fresques, sérigraphies, retables, bas-reliefs, vitraux, crèches de Sieger Köder illustrent et enseignent d’un même souffle cette phrase de Jésus: «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» (Jn 13,34). Avec tendresse.
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Au 20e siècle, Sieger Köder a su revitaliser l’imagerie catholique en l’actualisant et en en donnant une interprétation artistique et sémantique inédite, toute personnelle et bien informée. Dans la production de ce peintre prolifique, un monument sort pourtant du lot: son Chemin de croix. Chef-d’œuvre du genre, il s’agit sans doute de son legs le plus significatif.
Pour aller plus loin
À la découverte de Sieger Köder
Le Chemin de croix de Sieger Köder, une étude détaillée