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Illustration: Marie Laliberté/Le Verbe

Pluribus, un conte philosophique éclaté

C’est la série de l’automne selon certains, peut-être même de l’année: il s’agit de Pluribus de Vince Gilligan. Pour référence, on doit également à ce dernier Breaking Bad et Better Call Saul. Dans cette science-fiction fort originale, un virus extraterrestre contamine l’humanité. Les talents et la mémoire des individus infectés fusionnent en une psyché collective faisant d’eux un seul être, omnipotent et omniscient, en quelque sorte. Que penser des premiers épisodes de cette série, que certains qualifient de véritable conte philosophique?

Des huit milliards d’individus que compte la planète, seuls 13 semblent immunisés et conservent leur personnalité propre. La protagoniste, une auteure de romans d’amour sulfureux nommée Carol, est l’une d’elles. Son objectif: renverser cette nouvelle entité – appelons-la «le pluribus» - afin de redonner à chacun son individualité.

Pluribus: ami ou ennemi?

La série mélange habilement les genres: horreur, drame et même comédie. D’un côté, le pluribus effraie à cause de sa volonté – un impératif biologique, dit-il – d’assimiler tout individu. Les infectés sont alors privés de leur personnalité et de leur liberté.

De l’autre côté, il présente un visage réconfortant, au point qu’on éprouve parfois l’envie de le rejoindre. C’est d’ailleurs ce que désirent certains des humains non contaminés que Carol rencontre. Car le pluribus n’agit pas en monstre. Il refuse de tuer, d’user de violence, même contre le plus petit des moustiques. S’il veut assimiler Carol et les autres, c’est, affirme-t-il, pour qu’ils goutent pleinement à la joie et à la paix d’une union parfaite.

Image de l’intelligence artificielle

Plusieurs relèvent l’analogie: le pluribus rappelle l’intelligence artificielle. Comme elle, il cumule l’entièreté du savoir humain. Il sait piloter un avion, opérer à cœur ouvert, cuisiner des plats gastronomiques, etc. Le pluribus se trouve toutefois incapable de sagesse, il ne distingue notamment pas le bon du moins bon.

Une scène est particulièrement éloquente: Carol demande au pluribus de juger de ses romans – qu’elle-même méprise, par ailleurs –⁠, en les comparant à Shakespeare. Le pluribus n’arrive pas à trancher. Pour lui, toutes les œuvres littéraires se valent, tant qu’elles plaisent à certains lecteurs. Cette discussion illustre admirablement la stupidité de cette «intelligence omnisciente» qui, tout comme l’IA, est dépourvue de réel discernement.

Cette discussion montre encore une autre ressemblance avec l’intelligence artificielle: une politesse mécanique, l’incapacité de déplaire. Le pluribus ne contredit jamais Carol, il demeure toujours «à son service».

La même difficulté surgit dans le domaine moral. Ainsi, un des humains non contaminés profite du pluribus pour satisfaire ses pulsions sexuelles. L’entité unique ne s’y refuse pas, ayant pour seul principe de ne pas déplaire aux autres. Dans la même ligne, le pluribus concède qu’il donnerait une bombe atomique à Carol si elle le désirait réellement, même s’il connait les dangers d’une telle arme.

Comme l’intelligence artificielle, le pluribus ne commet pas le mal. Il n’est pas vertueux, cela dit, il est plutôt amoral, c’est-à-dire ignorant du bien et du mal. Il s’avère donc incapable de les distinguer. S’il ne tue pas, c’est seulement par obéissance à ses impératifs biologiques, telle une machine qui obéit à un programme.

Critique de la religion

Pluribus ne se réduit toutefois pas à cette allégorie de l’intelligence artificielle. Gilligan, n’a pas voulu faire une œuvre à thèse où tout s’analyserait à la lumière d’une critique précise de la société. La série évoque une foule de sujets et invite le téléspectateur à lui-même se faire une idée.

J’ai été pour ma part frappée par les analogies potentielles avec la religion. Le christianisme appelle en effet une certaine unité. Jésus lui-même exprime ce désir: «pour qu’ils soient un comme nous sommes un». Et encore, saint Paul ira jusqu’à dire ensuite: «Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi.»

Au début de ma conversion, ces passages me troublaient. Devenir chrétien, était-ce perdre sa personnalité et sa liberté? Était-ce se fondre dans un Dieu unique?

Un prêtre m’a aidé à saisir la différence en me pointant un vitrail. Il m’a montré que toutes les parties diffèrent, mais qu’une même lumière les éclaire et révèle leur beauté unique. De même, en s’unissant à Dieu, l’individu, loin de perdre sa personnalité propre, devient encore davantage lui-même.

Il existe d’ailleurs une différence radicale entre le pluribus et Dieu. Alors que le premier veut, mais ne peut pas assimiler tous les êtres humains, Dieu le peut, mais ne le veut pas. Il ne contraint personne. C’est que la véritable union ne consiste pas en une fusion sans individualité, mais en un amour réciproque qui se donne librement.

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Laurence Godin-Tremblay
Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.