Illustration : Émilie Dubern/Le Verbe

«Ô Canada», québécois avant d'être canadien

Longtemps malaimé des Québécois, l’hymne national canadien a récemment connu un retour en popularité avec la montée des tensions commerciales avec les États-Unis. Pourtant, ce sont des Québécois qui en sont à l’origine. Il représente les valeurs à la fois sociales et religieuses de l’époque de sa création. En cette fête du Canada, redécouvrez votre hymne national – probablement beaucoup plus long que vous ne le croyez!

Comme le drapeau unifolié, l’Ô Canada est moins populaire au Québec que dans les autres provinces, où, dans certaines, comme en Ontario, tous les élèves le chantent chaque matin avant le début des cours. On pourrait plus facilement le comprendre si cet hymne était d’abord anglophone et que sa version française n’en était qu’une traduction, mais c’est en fait le contraire !

Revenons au début de l’année 1880. À cette époque, la plupart des francophones du pays s’identifient comme Canadiens français, pas seulement les Québécois. D’ailleurs, le fleurdelisé n’existe pas encore à cette époque; c’est le drapeau britannique qui flotte au-dessus de l’hôtel du Parlement. Seuls les Acadiens ont une identité distincte.

La communauté canadienne-française a toutefois sa propre fête nationale le 24 juin, jour de la Saint-Jean-Baptiste. Encore aujourd’hui, en plus d’être la fête nationale du Québec, elle est célébrée par les minorités francophones des autres provinces. Seule exception à la règle : les Acadiens, dont la fête est le 15 aout.

L’hymne national des Canadiens… français

C’est dans le cadre de cette fête nationale que, du 23 au 25 juin 1880, se tient à Québec le Congrès national des Canadiens français. Organisé par la société Saint-Jean-Baptiste, il a objectif de promouvoir les intérêts, l’identité et la culture francophone du pays. Pour l’occasion, la société souhaite doter les Canadiens français de leur propre hymne. Le montréalais Calixa Lavallée, reconnu comme le musicien national du Canada, est chargé d’en composer la mélodie tandis que l’écrivain Adolphe Basile Routier, originaire de Charlevoix, en écrit les paroles.

Il ne s’agit donc pas d’un hymne pour la jeune Confédération canadienne, mais bien d’un chant nationaliste pour les francophones, désireux de conserver leur langue et leur identité face à la majorité anglophone. De plus, l’auteur comme le compositeur sont originaires du Québec.

Si seul le premier couplet est chanté aujourd’hui, l’hymne en a 4 à l’origine et ses paroles reflètent les valeurs centrales de la société canadienne-française en 1880 : l’héritage reçu des anciens et l’importance de la religion catholique.

Les références chrétiennes sont en effet très nombreuses dans l’Ô Canada. En plus de la mention de la foi et de la croix dans la première strophe chantée encore aujourd’hui, la deuxième fait également référence à Dieu, à sa lumière et au ciel.

La troisième strophe est sans doute celle qui reflète le plus la foi catholique propre aux Canadiens français, car elle commence par « De son patron, précurseur du vrai Dieu », qui renvoie à saint Joseph, père adoptif de Jésus et saint Patron du Canada depuis 1624, à une époque où les Canadiens sont les colons français de la vallée du Saint-Laurent. L’« auréole de feu » du vers suivant évoque, quant à elle, celle dont on entoure les saints dans les peintures religieuses.

Enfin, le dernier couplet commence par « Amour sacré du trône et de l’autel », l’autel étant l’endroit où le prêtre célèbre la messe, et se termine par « Pour le Christ et pour le Roi ». Les racines catholiques de notre hymne national sont sans équivoques! Et ce n’est pas surprenant, car, jusque dans les années 1960, la langue, la culture et la foi sont étroitement liées pour les Canadiens français.

Ô Canada ! Terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de 
fleurons glorieux !
Car ton bras sait porter l’épée,
Il sait porter la croix
 !
Ton histoire
 est une épopée
Des plus brillants exploits.
Et ta valeur, de foi trempée,
Protégera nos foyers et nos droits,
Protégera nos foyers et nos droits.

Sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant,
Le Canadien
 grandit en espérant.
Il est né d’une race
 fière,
Béni fut son berceau
.
Le ciel a marqué sa carrière
Dans ce monde nouveau
.
Toujours guidé par sa lumière,
Il gardera l’honneur de son drapeau
,
Il gardera l’honneur de son drapeau.

De son patron, précurseur du vrai Dieu,
Il porte au front l'auréole
 de feu.
Ennemi de la tyrannie
,
Mais plein de loyauté,
Il veut garder dans l’harmonie,
Sa fière liberté.
Et par l’effort de son génie,
Sur notre sol  asseoir la vérité
,
Sur notre sol asseoir la vérité.

Amour sacré du trône et de l'autel,
Remplis nos cœurs de ton souffle immortel !
Parmi les races étrangères,
Notre guide est la loi
 :
Sachons être un peuple de frères
,
Sous le joug de la foi
.
Et répétons, comme nos pères,
Le cri vainqueur : « Pour le Christ
 et le Roi ! »
Le cri vainqueur : « Pour le Christ et le Roi ! »

Nouvelle langue, nouveau sens

Interprété à l’occasion de la visite du duc et de la duchesse de Cornouailles et d’York en 1901, le chant devient rapidement populaire au Canada anglais. Une version anglaise ne tarde pas à voir le jour. Il ne s’agit pas toutefois d’une traduction, mais une adaptation, car les paroles sont très différentes. Si Dieu est encore mentionné, les références catholiques sont complètement occultées. Ce choix n’est cependant pas surprenant, les anglophones du pays étant majoritairement protestants.

Les Québécois boudent peut-être l’Ô Canada, mais les francophones des autres provinces y sont encore très attachés. Est-ce en raison des évènements survenus à la suite de la Révolution tranquille? On se souvient que le Québec a alors décidé d’adopter une identité distincte et de suivre son propre chemin. D’ailleurs, c’est la chanson Gens du pays de Gilles Vigneault qui est considérée comme l’hymne du Québec aujourd’hui.

En ce 1er juillet, poussez la rébellion jusqu’au bout et chantez l’Ô Canada au complet.

Romain Martiny
Romain Martiny

Enseignant de sciences, Romain est également passionné d’histoire, de théologie et de langues étrangères. Il a vécu dans quatre pays différents et porte une affection particulière pour la langue et la culture irlandaises.