Photo: Marie Laliberté/Le Verbe

L'envol de Juulie Rousseau

À observer les oies blanches ces jours-ci, je me prends à me demander pourquoi le chant des oiseaux nous fait un tel effet. Pour Juulie Rousseau, il symbolise d’une manière toute particulière la quête spirituelle qui l’habite. Avec Birds – La conférence des oiseaux, l’autrice-compositrice-interprète nous présente le fruit d’un long parcours.

Je l’ai connue à une autre époque, alors que j’enseignais la philosophie au Campus Notre-Dame-de-Foy. Parfois les profs se faisaient inviter par les étudiants autour d’un feu, parfois sur la rive sud, au bord du fleuve. Un certain soir, l’hôtesse s’était mise à chanter. Je savais que je n’oublierais pas cette voix.

C’est quelque 15 ans plus tard que je l’entends à nouveau dans l’entrée des bureaux du Verbe. Le sourire de Juulie n’a pas changé; j’ai toujours soupçonné que c’était le secret derrière sa voix.

Les réseaux sociaux m’ont permis au fil des ans de suivre le parcours, les voyages, les rencontres et les chansons de la jeune femme de Saint-Antoine-de-Tilly. Comme un oiseau, on aurait dit que sa trajectoire virevoltait.

J’ai voulu commencer par le début, découvrir le nid. Elle confie d’abord n’être pas entrée dans le monde de la musique, mais plutôt être arrivée dans le monde par la musique. «Ma mère me disait que je chantais dans son ventre, c’est ça mon canal. C’est comme un souffle. C’est mon oxygène, la musique.» Encouragée par l’ambiance musicale qui berce son enfance, elle comprend vite que sa vie, «c’est le chant».

Terres nourricières

Après un premier album qu’elle produit pendant ses études en musique, l’appel de l’ailleurs devient impératif et elle boucle ses valises. Elle part découvrir des terres inconnues, des personnes inspirantes et des voix nouvelles. Les destinations sont multiples : l’Inde, la Mongolie, l’Iran, la Turquie. Le chemin et les rencontres formeront l’artiste. Ce qui l’attire? «Le patrimoine vivant de notre humanité, les cultures, les religions, les différentes façons de concevoir la vie, de concevoir Dieu. Je sens que j’ai appris à chanter au travers des histoires humaines, des gens que j’ai rencontrés, c’est ça qui nourrit mon chant. […] La création, c’est le miroir de Dieu, j’ai donc eu envie de me rapprocher de tous ces peuples.»

Si l’on perçoit bien l’influence du voyage entre Comme le monde (2007) et Landscape (2014), la voix qui s’est façonnée au contact de différentes traditions vocales sacrées reste la même en son essence, chaude et envoutante. Il aura fallu encore une fois plus de sept ans de travail avant que le dernier projet ne prenne sa forme finale, celle d’un spectacle, mais aussi d’un album-livre qui comprend les paroles des chansons ainsi que certains de ses poèmes, des citations de penseurs orientaux et quelques passages de la Bible. L’ensemble est illustré par des images et des photos évocatrices qui accompagnent l’expérience d’écoute et de lecture.

Une envolée mystique

Le titre, La conférence des oiseaux, fait directement référence à un conte soufi persan de Farid al-Din Attar, datant de 1177. Le premier texte du livre s’inspire quant à lui du Sermon des oiseaux de saint François d’Assise pour donner le ton. Juulie plonge en effet dans les traditions mystiques tant orientale qu’occidentale, pour poser un regard bien à elle qui témoigne d’une grande quête de sens et d’absolu.

Pour moi, l’évocation de saint François fait aussi écho à la grande rencontre interreligieuse qui a eu lieu à Assise en 1986. Une journée de prière où des représentants des grandes traditions religieuses du monde s’étaient réunis à l’invitation du pape Jean-Paul II pour prier en faveur de la paix.

Le travail artistique de Juulie, frayant tantôt avec un syncrétisme de bon ton aujourd’hui, nous parait surtout comme une démarche sincère qui, au-delà de nos habituelles frontières géographiques et spirituelles, tente de débusquer la vérité.

«Ma quête, c’est une quête de l’amour. Comment se rapprocher de cette pulsation du cœur qui fait que tu es ému, et puis que tu as envie d’être au service, de donner? Puis c’est aussi une recherche de vérité, c’est surtout ça même. Parce qu’en fait, pour moi, de vivre dans ce monde, si ce n’est pas pour chercher pourquoi on est ici, ça n’a pas vraiment de sens. Qu’est-ce qu’on fait là? C’est tellement incroyable la création! Moi j’ai envie de me rapprocher de Dieu, de ce qui nous a créés.»

  • Photo: Marie Laliberté/Le Verbe

Pour l’artiste, la création se manifeste d’une manière toute particulière dans le chant des oiseaux, qui voyagent selon elle «entre les mondes»: «C’est lui qui peut toucher la terre, qui peut toucher le ciel, c’est le messager de Dieu en quelque sorte».

L’incarnation

Le mystique dont elle s’inspire se révèle être une forme de connaissance plus intuitive que rationnelle qui permet une union intime au divin. Au-delà du confluent entre les traditions chrétienne et soufie, c’est d’abord un attachement à la figure du Christ qui semble être au cœur de la démarche spirituelle de Juulie. «Le Christ est venu, il a pris chair, ce qui fait qu’on peut se relier davantage à lui qu’à un dieu… vaporeux, disons.»

Cet élan vers le Fils incarné passe également par une relation profonde avec sa mère Marie, et une grande confiance en l’Esprit Saint, ce «témoin bienveillant» qui nous accompagne alors que nous traversons les hauts et les bas, comme l’oiseau dans le vent. Toutes ces figures font partie du paysage spirituel catholique qu’elle perçoit comme un legs incontournable. «Si je veux m’approcher de ma foi profonde, j’ai à passer par ce qui appartient vraiment à mon héritage à moi.»

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Pour se mettre dans les meilleures dispositions afin d’être attentive à ce qui l’inspire, Juulie passe inévitablement par la prière. «Je suis toujours en train de parler à Dieu, et en train d’écouter aussi. C’est ce qui nourrit ma vie donc c’est ce qui nourrit ma pratique, mon art.»

Le résultat est une œuvre d’une richesse musicale impressionnante où plus d’une quinzaine de musiciens collaborent. L’album est empreint d’une poésie toute personnelle qui pointe néanmoins vers les grands thèmes universels de l’expérience humaine. Elle nous invite à faire comme l’oiseau et à partir à notre tour en voyage, vers ce qui pourra remplir notre profond besoin d’absolu.

Juulie Rousseau sera en spectacle au Palais Montcalm de Québec le 25 octobre à 20h. Le livre-album Birds – La conférence des oiseaux sera disponible sur place ou en ligne.

Stéphanie Grimard
Stéphanie Grimard

Après avoir enseigné la philosophie au collégial durant plusieurs années, Stéphanie est maintenant journaliste chez nous! Toujours à la recherche du mot juste qui témoignera au mieux des expériences et des réalités qu’elle découvre sans cesse.