Courtoisie de la Maison4tiers

«La mort n’existe pas», un film qui navigue entre passivité et violence

La mort n’existe pas est un film singulier, une incursion dans un univers symbolique et métaphysique. Entièrement conçu à la main — 12 dessins par seconde —, le long métrage d’animation du Québécois Félix Dufour-Laperrière aborde avec pudeur les questions propres à notre temps. Face aux oppressions qui menacent la paix, le recours à la violence est-il légitime? Entre le statuquo et la révolte violente, y a-t-il une voie médiane?

Le temps est suspendu. Nous pénétrons dans un univers onirique et oublions pratiquement que nous sommes dans une salle de cinéma. L’absence d’une structure narrative contextualisée déjoue les repères habituels sur lesquels s’accrocher. L’action et les personnages sont en réalité des représentations symboliques de ce qui se passe dans la psyché d’Hélène, la protagoniste. Ses questionnements, ses peurs, ses désirs et ses regrets résonnent étrangement avec les nôtres.

Nous sommes d’abord dans un palais. Des domestiques accomplissent leur besogne au milieu d’un jardin orné de statues dorées. Richissimes, les propriétaires possèdent la moitié du pays au détriment des habitants. Hélène, son amoureux Marc et leurs amis fomentent une insurrection. Le temps presse, il faut renverser l’ordre du monde pour que puisse émerger quelque chose de neuf.

Le groupe d’amis, armé de fusils, entre dans le palais et passe à l’acte. Dans cette scène sanguinaire que l’image animée permet d’aborder sans verser dans le sensationnalisme, le réalisateur veut montrer «toute la brutalité, le caractère disruptif, la stupeur que peut induire cette violence chez ceux qui la subissent et chez ceux qui la commettent.» Car cette violence, remarque-t-il après la projection, éclate actuellement de toutes parts sous diverses formes. Comment réagir?

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Fuite

Pendant l’assaut, Hélène a peur et prend la fuite, rompant le pacte de loyauté avec ses amis et son amoureux. Dans la forêt enchantée où elle trouve refuge, elle est hantée par une amie tuée lors de leur rébellion. Autour d’elles, des loups s’entretuent et s’acharnent sur une brebis, dont la toison est semblable à la chevelure d’Hélène. Les remords de sa conscience prennent ainsi vie.

Dans cet univers fantastique, une seconde chance lui est offerte. Veut-elle revenir en arrière, ne pas s’éclipser? Hélène est placée devant un dilemme : mener une vie normale et rentrer chez elle ou demeurer avec ses amis et tenter de renverser avec eux le pouvoir en place, encourant les risques inhérents à l’usage de la violence.

Impasses

La forêt présente à Hélène une version plus jeune d’elle-même, et cette rencontre la bouleverse. La petite fille la questionne. Va-t-elle suivre le chemin de l’amie qui la hante et la menace ou fera-t-elle son choix de façon assumée et éclairée? Quel est le motif qui sous-tend nos décisions? Est-ce l’amour du prochain, l’égoïsme, la peur?

«Je veux rentrer chez moi», dit Hélène. Elle revient alors chez elle, sur le lit de son petit appartement. Mais son amour pour Marc pèse aussi dans la balance. Elle fait volteface et choisit de revenir à la charge et de combattre sa peur. Pourtant, quand elle revit la scène dans le palais des riches, là où pourrait basculer l’ordre du monde, Marc est évanescent, insaisissable.

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Ce qui est pérenne

La mort n’existe pas est un conte tragique qui peut s’analyser sur divers plans. Le prisme écologique est le plus évident. Après la projection, Félix Dufour-Laperrière fait référence à l’écologiste David Suzuki, qui, devant l’état alarmant de la planète, se dit convaincu que la voie à suivre est de miser sur un réseau social solide pour affronter les maux à venir.

«C’est un film que j’ai écrit en pensant à ma fille et à mon fils, en projetant sur leur avenir encore entièrement ouvert les doutes, les inquiétudes et les grands espoirs qui me traversent et m’habitent. J’y ai évidemment laissé poindre mes propres questionnements, mes propres loyautés et faiblesses, les compromissions, audaces et convictions, petites et grandes, qui tissent mon quotidien. J’ai essayé de faire un film inquiet et amoureux à la fois, un film d’amitié aussi, de loyauté», explique-t-il.

La fin du film laisse pourtant perplexe. Questionné sur les statues de certains personnages — dont Hélène —, le réalisateur répond: «Nous avons l’autorité de décider quelle pose de nous-mêmes sera pérenne et durable». Mais en vue de quoi?

Nous sommes bien devant une impasse. Et c’est ici qu’il est possible d’en faire une lecture théologique. Les conditions pour former une société prospère et durable, exempte d’inégalités, existeront-elles tant que les hommes seront assoiffés de pouvoir et obnubilés par leur richesse? Une voie est-elle possible?

Si l’on en croit les Béatitudes, Jésus aurait déjà proposé une résolution à ce paradoxe: «Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.» (Mt 5, 10) N’a-t-il pas connu lui-même l’injustice et l’infamie et choisi de répondre par amour radical?

Dans ce monde où tout finira par passer, adopter une posture existentielle digne de l’éternité dans nos modestes choix de tous les jours pourrait être une ligne à suivre.

*

Présenté d’abord au Festival de cinéma de la ville de Québec le 13 septembre, le film sera disponible à partir du 26 septembre 2025 dans la plupart des grandes salles de cinéma.

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Sarah-Christine Bourihane
Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.